Actualités :: Burkina Faso : agir vite et avec subtilité pour prévenir la prolifération de (...)

La situation sécuritaire au Burkina Faso s’est fortement dégradée en 2018, avec l’ouverture de nouveaux fronts, notamment à l’est et au sud-ouest du pays, aussi avec un lent mais inquiétant ancrage dans le centre-nord. La pléthore des attaques et leurs formes trahissent une certaine haine contre non seulement le système politique actuel en place, mais aussi et surtout, contre les millions de burkinabè qui ne demandent qu’à vivre sereinement pour gérer, comme on aime à le dire, leur misère.

Les attaques visaient au départ les forces de défense et de sécurité avant de cibler les autres symboles de l’Etat, particulièrement les écoles. De plus en plus, les canons sont orientés vers les paisibles populations, dont le seul tort est d’exister et de nourrir l’espoir d’une vie apaisée, saine et agréable.

Dans ce contexte qui voit les populations devenir la cible privilégiée des groupes armés, peut-on éviter au sein de toutes les communautés, la naissance de milices que l’on appelle par euphémisme ‘‘groupes d’auto-défense’’ ? Au Mali comme au Burkina Faso, ces milices, ces groupes d’auto-défense sont au cœur de l’actualité.

Des voix se lèvent de plus en plus à tort ou à raison, pour exiger leur suspension, voire leur dissolution pure et simple. Nous ne sommes ni pessimiste, ni oiseau de mauvaise augure encore moins pour ces groupes, en affirmant que ce souhait trouvera difficilement un écho favorable sur le terrain, tant que la stigmatisation, tant que l’autre sera perçu comme un sous-humain voire un non-humain, un être à soumettre, à dominer, à renvoyer dans les périphéries de la société et de l’environnement, tant que la question d’un espace vital prendra progressivement hélas position dans des cœurs et des esprits, tant que le terrorisme ne sera pas réduit à sa portion la plus congrue.

La stigmatisation porte plusieurs habits et s’exprime de diverses manières. Elle a malheureusement toujours existé, elle existe et s’exprime encore dans toutes les communautés et contre toutes les communautés, sous des formes variées et à des degrés divers. Mais ses conséquences n’avaient jamais atteint les proportions actuelles, particulièrement mais pas seulement, à l’égard des peuls et des Kel-Tamasheq, parfois des sahéliens de façon générale. L’hydre terroriste qui frappe notre pays ces dernières années, sans y tirer ses sources, y a trouvé certainement et insidieusement, une possibilité d’ancrage.

La délicatesse de la situation réside dans le fait que toutes les communautés se sentent stigmatisées sur le terrain, dans les zones rurales touchées par le fléau de l’insécurité actuelle. Les ressentiments sur le terrain sont totalement différents des égos des citadins, des politiciens et autres intellectuels en quête de légitimité ou d’électorat. Des peuls, des dogons, des songoïs, des mossis, des kurunfès, des bobos, des Kel-Tamasheq …se sentent, de nos jours et de plus en plus, quelque part, dans ce pays, à des degrés divers et sous des formes variées, dans un certain sens, stigmatisés les uns par les autres.

Tout le drame est là. L’exacerbation de la stigmatisation actuelle avec ses corollaires vient sans nul doute d’intrus, d’éléments exogènes des communautés qui ont toujours vécu ensemble, avec certes des frictions, mais des frictions qui n’ont jamais mis en péril leur vivre-ensemble.

La situation actuelle est très grave parce que de plus en plus, les postures vont se radicaliser. Les communautés sont, mues par d’horribles certitudes les unes sur les autres, en train de dépasser le stade de suspicion pour s’inscrire dans une logique de confrontation ouverte et directe. Chaque communauté n’est pas loin de son dernier retranchement. Or, l’histoire enseigne que l’homme sans perspective, sans espoir, se tourne généralement et malheureusement vers la violence comme alternative.

C’est pourquoi il faut craindre la multiplication des groupes d’auto-défense. Chaque communauté pour ne pas dire chaque village verra dans ces groupes, l’ultime recours pour la survie. L’homme qui perd sa famille, ses biens, ses terres et sa dignité, qui perd presque tout, pour des raisons d’appartenance à un groupe, s’il lui reste encore la raison et quelques forces, trouvera à tort ou à raison dans la violence, une voie de renaissance, pas seulement de l’absurde et inefficace vengeance. Ne nous voilons pas la face.

Tant qu’une communauté se sentira menacée en tant que communauté, la violence aura de beaux jours devant elle, au détriment du vivre-ensemble. L’agriculteur qui perd toute chance de cultiver ses terres parce qu’il est agriculteur, l’éleveur qui perd toute sérénité et toute possibilité de paître ses animaux parce qu’il est éleveur, ne vit plus. La seule chose qui lui reste est de se liguer avec ceux qui vivent la même situation que lui afin de mourir dans l’honneur. Ou tout au moins, de se consoler du mérite d’avoir résisté. Comment nous tirer de ce bourbier vers lequel nous nous acheminons lentement mais sûrement ?

En relevant le défi sécuritaire. Comment ? C’est là tout le problème. Une chose est sûre, la réponse à l’insécurité qui frappe les populations sera endogène ou ne sera pas. Il faudra commencer, à la base, par appréhender la situation, par identifier l’adversaire ou les adversaires, ses/leurs motivations et sa méthodologie. C’est important parce qu’à l’analyse, la situation du Burkina Faso est différente de celles des autres pays dans la sous-région et même à travers le monde.

En effet, l’on a rarement vu un pays attaqué de toutes parts, en ville comme en campagne, pour des raisons religieuses ou pour des revendications territoriales. Il n’est pas superflu de penser donc que les causes réelles et profondes de l’essentiel des attaques contre le Burkina Faso n’ont rien à voir avec le djihadisme ou à avec des revendications territoriales.

Si ces deux facteurs étaient des mobiles majeurs, ce serait une ou deux régions du pays tout au plus qui allaient être concernées en plus des grandes villes. Les villages, les populations innocentes et les leaders d’opinion en zones rurales ne seraient pas des cibles principales. Les travailleurs civils du public et du privée ne seraient pas des cibles privilégiées, des écoles ne seraient pas brulées, des ambulances seraient épargnées.

Et, la stratégie serait probablement de soumettre les communautés et non pas de les tuer, de les opposer, surtout qu’aucune communauté ne prendra jamais le dessus de façon durable sur une autre si tout le monde prenait les armes. Si le problème devenait véritablement communautaire, personne ne gagnera. C’est certain.

En tout état de cause, nous devons tout faire pour éviter que notre pays se « centrafricanise ». Les communautés qui vivent ensemble en zone rurale doivent se parler. Qui peut organiser ou favoriser ce dialogue ? Ce ne sera pas en tout cas l’Etat seul. Au sein des différentes communautés dans ces zones, il ne manque pas de gens qui conservent un minimum d’audience.

La solution viendra d’eux et de ceux avec qui ils sont en relation et qui ont une envergure communale ou provinciale. Il faut renouer les anneaux qui reliaient les communautés et qui leur permettaient de vivre ensemble. C’est possible et c’est là l’une des alternatives les plus plausibles pour fermer toutes les portes aux acteurs exogènes qui réussissent par des mises en scènes à opposer les communautés.

Faisons tout pour que au Burkina Faso, quelqu’un ne se sente pas menacé parce qu’il est bobo, peul, kurunfè, Kel-Tamasheq, songoï…Dans notre pays, toutes les communautés veulent vivre ensemble et en paix. Avec les limites objectives de l’Etat, le collectif contre la stigmatisation pourrait jouer un grand rôle, à commencer par diligenter une étude sur la stigmatisation pour cerner tous les contours du phénomène en zone urbaine comme en zone rurale.

Ce nouveau-né de la société civile burkinabè peut favoriser la rencontre des communautés sur le terrain, de nos jours, avec l’accompagnement de l’Etat et de certaines ONG, de personnes de ressources. Il pourrait prospecter par zone touchée pour identifier les voies et moyens susceptibles de favoriser une réelle articulation entre les communautés à la base.

Il peut utiliser les réseaux sociaux particulièrement WhatsApp pour des spots publicitaires, pour des messages sonores et visuels rappelant aux communautés ce qui les a toujours lié, pour les avertir/les prévenir sur les pièges qui leurs sont tendus par ceux qui veulent nous diviser... On sait aujourd’hui qu’en zone rurale, des populations maîtrisent très bien ce réseau. Beaucoup sont dans des groupes WhatsApp.

Il est utile d’anticiper cette approche dans les zones peu/non touchées par le phénomène. Travaillons à partir de la base à renouer le contact entre les communautés. Sinon, les milices auront de beaux jours devant elles, au détriment de tous et de chacun. Que Dieu nous épargne une telle perspective et sauve le Burkina Faso.

Boubacar Elhadji
boubacar.elhadji@yahoo.fr

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