Actualités :: France : Discriminations au cœur de la République
Yacouba Barry, 34e sur 800 candidats et 1er de l’académie de Reims s’est heurté à hostilité de la proviseure du lycée Jean Monnet de Franconville, Muriel Rivière

« On se doutait bien qu’il y avait quelque chose, mais on était loin d’imaginer qu’il puisse y avoir autant de racisme dans l’éducation nationale. C’est quand même là qu’on inculque les valeurs fondamentales de la république et du vivre ensemble. En enquêtant, on s’est rendu compte que le racisme dans l’éducation nationale n’était pas seulement le fait d’individus, mais qu’il tenait au fonctionnement général de l’institution ». Constat désabusé de Mathieu Méranville, co-auteur avec Serge Bilé, tous deux journalistes, d’un livre publié en 2009 intitulé : « Au secours, le prof est noir ; enquête sur le racisme dans l’éducation nationale » Le livre fourmille de témoignages édifiants sur les discriminations dont sont victimes les Noirs et les Arabes, suspectés d’office d’incompétences et qui doivent, tous les jours prouver aux yeux de leurs collègues, de l’administration, des parents d’élèves et même des élèves, qu’ils méritent bien leur place.

Dans la « patrie des droits de l’homme », les propos tenus il y a plus d’un siècle par Jules Ferry à l’Assemblée nationale française, semblent trouver encore un écho chez certains fonctionnaires de l’éducation nationale. Le père de l’école laïque et républicaine avait déclaré : « Messieurs, il faut dire ouvertement qu’en effet, les races supérieures ont un droit vis à vis des races inférieures. […] Elles ont un droit de civiliser les races inférieures ».

Comme si l’expérience de l’ancien président sénégalais Léopold Sédar Senghor, qui a enseigné le français à Saint-Maur et à Tours, ou Joseph Zobel, écrivain martiniquais qui a enseigné à Fontainebleau et de tant d’autres n’avaient servi à rien, faire carrière dans l’éducation nationale française comme enseignant ou dans l’administration relève d’un vrai parcours du combattant quand on n’a pas la bonne couleur de peau. « En fait, c’est un bouleversement de la perception des choses qui se produit, car dans l’inconscient occidental, le savoir est forcément blanc », écrivent les auteurs de livre.

Autant, on tolère facilement les Français originaires d’Afrique noire, du Maghreb et des Antilles quand ils enseignent le sport ou la mécanique, autant on n’est pas loin de penser qu’ils nourrissent d’ambitions démesurées lorsqu’ils se piquent d’enseigner les matières dites nobles comme le français, les maths ou la philosophie. Comme ce professeur de physique-chimie de terminal d’origine camerounaise dont les cours sont boycottés par certains élèves qui ne comprennent pas très bien comment un Noir peut enseigner cette matière. Professeur de Lettres durant 20 ans en Métropole et 10 ans à la Réunion, Mohammed Amiour, un franco-algérien s’est toujours heurté à l’hostilité de certains parents d’élèves qui s’imaginent mal qu’un Arabe puisse enseigner le français à leurs enfants.

Admis au concours de principal adjoint, il est affecté au Lycée d’Arnouville Lès-Gonesse, dans la banlieue parisienne pour suivre un stage de deux ans. Fraichement accueilli par la proviseure, le stage se déroule dans des conditions exécrables. « Elle m’a interdit de communiquer avec les collègues sur quelque sujet que ce soit. Elle m’a dit que le concours que j’ai passé à La Réunion n’était pas valable et en tant que fille de militaire français, elle ne supportait pas l’idée que je puisse devenir un jour chef d’établissement », raconte Mohammed Amiour, consterné. Non titularisé au bout de deux ans stage, il a introduit un recours contentieux et a repris son métier d’enseignant à La Réunion.

Le même sort s’est abattu sur le franco-burkinabè, Barry Yacouba. Reçu 34e sur 800 candidats et 1er de l’académie de Reims en 2007, il s’est heurté à hostilité de la proviseure du lycée Jean Monnet de Franconville, Muriel Rivière, étonnée qu’il soit affecté dans son établissement alors que « d’autres le méritaient ». Quelques semaines après la rentrée, elle lui conseille gentiment de demander une mutation parce qu’avec elle, il n’avait aucune chance d’être titularisé. Sûre de son droit, elle claironne, devant témoins, qu’elle fera tout pour se débarrasser de lui. Elle ne rate aucune occasion d’humilier celui dont elle est chargée de former aux fonctions de principal adjoint, voyant en lui un « loubard de banlieue », « un con », « un roquet » et « un incapable », qui ferait mieux d’aller « faire comme ses semblables devant les magasins ». La première année de stage terminée, et constatant que ses brimades n’avaient nullement la détermination de Yacouba Barry à bien assumer ses fonctions, elle revient à la charge : « Tu as commis une erreur en ne demandant pas à partir d’ici.

C’est la fin de ta carrière de personnel de direction », lui lance t-elle. Hélas, Muriel Rivière a atteint son objectif puisque le 24 avril 2009, le recteur de l’académie de Versailles, Alain Boissinot a émis un avis « défavorable » à la titularisation de Yacouba Barry, une décision qui n’a été rendue possible qu’avec la complicité des inspecteurs d’académie. Les différents rapports que ces derniers ont rédigés étant tous à charge contre Yacouba Barry, tout laisse penser que les dits rapports ont été commis pour légitimer d’avance sa non titularisation. Ainsi quand une inspectrice du Val d’Oise l’épingle pour n’avoir pas « choisi de mettre en pratique les conseils formulés » qui lui ont été recommandés au cours d’une formation, ceux qui ont assuré la dite formation disent le contraire. Ils louent en lui « des convictions affirmées et un positionnement éthique constant, une capacité avérée à analyser sa pratique professionnelle » et soulignent chez lui « l’acquisition d’une grande technicité dans les domaines relatifs aux fonctions d’adjoint ».

Dans un autre rapport, on pointe « son manque de vision claire des tâches et des missions qui lui incombent » et le fait « qu’il ne semble pas avoir pris la pleine mesure de sa fonction », alors que l’ensemble du personnel de l’établissement le décrit comme « un homme calme, courtois et motivé par son métier, ayant des qualités humaines d’écoute et de dialogue et le souci du service ».

Comme Moahammed Amiour, Yacouba Barry est retourné à son poste d’avant, en tant que conseiller principal d’éducation, mais ne baisse pas les bras face à ce qui apparaît comme un acte de discrimination raciale. En août dernier, conseillé par un avocat, il a introduit un recours auprès du tribunal administratif pour « excès de pouvoir ». Alerté, le Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) s’apprête à déposer également un recours auprès de tribunal pour excès de pouvoir. « Nous appuyons la procédure de Yacouba Barry et si nous obtenons gain de cause, c’est à dire que si la décision de non titularisation était reconnue comme injustifiée et abusive, nous pourrions alors intenter un procès contre la proviseure pour abus de pouvoirs », nous a confié Bernard Schmit, du service juridique du MRAP. En attendant, Muriel Rivière, qui était à la tête d’un grand établissement qu’est le lycée Jean Monnet de Franconville, a été mutée dans un collège d’Evry !

Une partie de l’émission « Envoyé spécial » diffusée ce soir sur France2 sera consacré à ce sujet sensible, la discrimination dans l’éducation nationale

Joachim Vokouma

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