Actualités :: Burkina : « Il nous faut de vrais idéologues, pas des griots, qui (…)

Se tiendront ? Ne se tiendront pas ? Les assises nationales sur la transition s’annoncent finalement pour se tenir dans quelques heures, à moins de deux mois de l’échéance impartie à la transition. En attendant le contenu de ces concertations des 25 et 26 mai, on relèvera que ces 18 mois du MPSR II n’ont pas été un terrain aisé à la production d’idées, pour ne pas dire favorable aux « intellectuels », compris ici comme ceux-là qui émettent des analyses-critiques ou qui ne sont pas prompts à applaudir tout ce qui vient de la gouvernance du moment.

Qu’à cela ne tienne, ces 18 mois auraient été également ceux de Burkinabè qui, par leur option de rester zen, bravent insanités et menaces de supposés partisans et inconditionnels du pouvoir. Ceux-là ont continué, par divers canaux, de poser leurs regards-critiques sur la gouvernance et les sujets qui engagent la vie du pays.

« Monsieur le Président, le MPSR II que vous avez l’honneur de diriger m’a emballé au départ, mais actuellement j’ai de sérieuses inquiétudes que je voudrais partager avec vous », tels sont par exemples, et pour n’illustrer qu’avec une de ces dernières sorties, les propos d’approche de l’ancien ambassadeur du Burkina en Libye, ancien CDR, Mousbila Sankara, dans une lettre qu’il a adressée (début mai 2024) au président Ibrahim Traoré.

Il dit observer que depuis quelques temps, le président s’applique à commettre « les mêmes fautes graves » que ses prédécesseurs, ce qui, selon ses mots, l’inquiète.

« C’est pourquoi, en vertu du devoir de tout aîné de guider les puînés (petit frère et sœur) je viens vous dire ceci : La plupart de vos prédécesseurs se sont trompés de cible et ont toujours pris les syndicats et leurs organes pour des adversaires. Ils ont également confondu les réalités des travailleurs aux lubies de leurs courtisans. Tous ou presque se sont acharnés sur les premiers responsables des organisations de masses ou de parti politique à travers les tracasseries diverses (policières, judiciaires administratives). Aucun ne s’est penché sur le problème du moment. Leurs supporteurs zélés ont été à l’origine de leurs malheurs en commettant l’irréparable (destruction d’organe, assassinat de journaliste et détournement crapuleux du bien public propos incendiaire et provoquant). Ils ont tous voulu affronter l’impérialisme et à mains nues. Leur cabinet était rempli de tout sauf de cadres compétents. Tous ont rusé avec le peuple en s’annonçant sauveur ou libérateur. Leurs programmes n’étaient jamais clairement définis », lit-on dans cette sorte de devoir de mémoire politique assortie de propositions.

Et parmi les nombreuses réactions suscitées par sa lettre également publiée par la rédaction, celle d’un fidèle du forum, répondant au pseudonyme “Ka”, que nous retenons volontiers, au regard de l’angle d’analyse. « Merci camarade : Belle analyse, impartiale et simplement citoyenne : Faut-il douter sincèrement de la bonne foi de ceux qui prétendent être venus pour libérer le territoire national de l’emprise djihadiste au regard de l’intérêt et la concentration portés sur des réformes politiques ? Vraiment la réponse à ces questions donne la chair de poule de nos jours ! Oui, le MPSR 2 est en train dangereusement de passer à côté des objectifs qui étaient les siens lorsqu’il disait au peuple pourquoi il a pris le pouvoir. Ici camarade tu as tout dit, même si la vérité fait mal, titille les viscères, rend parfois insomniaque, elle mérite la peine d’être visitée. Avec ce régime qui joue avec son peuple, la moindre des choses, c’est la faute à la Côte d’Ivoire ou la France, et on se guette, on se piège, on se ment à gogo... Et chacun y va de sa tromperie... Et chacun y va de ses mensonges sur tout, sur rien, sur l’endroit où il se trouve, et chacun cherche à exploiter l’autre. Drôle d’ironie consistant à appeler "transition" un régime qui a visiblement l’intention de rester au pouvoir jusqu’à la fin des temps ! En clair camarade, ce coup d’Etat ne sert que les auteurs, car en définitive ils ne sont jamais responsables de leurs actes. Quoi qu’il en soit, le peuple sait tout, maintenant qu’on s’est débarrassé de la France, de la CEDEAO, pour être libre de tarauder son peuple sur tous les plans et s’éterniser au pouvoir. Mais camarade, comme je ne cesse de le repéter dans ce forum très riche en contradictions entre les uns et les autres, ’’’’’’’’’un régime qui refuse d’entendre les critiques, et, pire, qui les fait taire par tous les moyens possibles et imaginables, n’a aucun avenir dans le pays des hommes intègres,’’’’’’’’’ puisque depuis la nuit des temps au Burkina, la façon de penser, de voir les choses ou de les considérer par chacun est strictement en fonction de son existence sociale. Et ce régime doit le savoir en respectant sa parole donnée », prête main-forte l’internaute, dans ce champ de réactions hostiles à cette sortie du “vieux” Mousbila Sankara.

Ils sont également importants, ces citoyens burkinabè qui préfèrent, pour une raison ou une autre, garder le silence ou, à la limite, partager en « off » leurs analyses de la situation politique ou sur les sujets d’intérêt national. C’est le cas de cette personne-ressource en sciences sociales et humaines, rencontrée autour de l’actualité politique de l’espace AES (Alliance des États du Sahel). Quand bien elle affiche, arguments à l’appui, son penchant pour les trois pouvoirs de transition en cours, elle ne se prive pas de soulever des inquiétudes. S’attardant d’ailleurs sur le cas de son pays, le Burkina Faso, elle exprime, là, un regret : « Je le dis haut et fort (et je l’assume) : il nous faut des idéologues. Quand les États occidentaux nous colonisaient, ils avaient des idéologues (à l’image de Jules Ferry) qui accompagnaient l’acte de colonisation. Les Etats-Unis, pour se développer, avaient des idéologues. Mais nous, nous n’en avons pas. Ce sont les discours, les individus qu’on met devant pour apaiser une situation. Il faut chercher des idéologues, les payer pour faire le travail. Ils peuvent se tromper, bien se tromper, mais on aurait quand même avancé. Il nous faut de vrais idéologues, pas des griots, qui réfléchissent et qui proposent. Maintenant, ces réflexions et propositions ne doivent être ni pour l’Occident ni pour la Russie ni autre chose, ces idéologues doivent avoir un discours qui permet qu’aujourd’hui, on se respecte comme vous et moi nous nous respectons, qu’on échange, qu’on dialogue, qu’on s’asseye sur la même table de négociation, sans que je ne puisse pour autant dire qu’on est assis sur la même table, mais tu ne peux pas toucher à ça ou faire ceci ou cela. On mobilise par exemples les leaders religieux, les leaders d’opinion, mais derrière tout ce mécanisme de communication, quel est le substrat sur lequel ça se repose ? Il n’y a pas une idéologie purement nationale qui peut fédérer toutes les énergies derrière ».

« Sans identité, on n’avance pas et les sciences sociales sont-là pour cela »

Dans un institut de recherche en sciences sociales et humaines, elle insiste que le Burkina est assis sur des études qui, malheureusement, dorment dans les tiroirs. « Dans les situations d’urgence ou d’exception comme celle-là, il faut trouver des moyens, pour mettre à la disposition de personnes qui travaillent ou qui sont spécialisées dans ce domaine, pour réfléchir. En sciences, ce qui est intéressant, c’est que vous pouvez réfléchir, mais vos pairs sont-là pour évaluer vos réflexions (si c’est erroné, on vous le dira, sans langue de bois). Les philosophes sont utiles à notre société, les historiens sont utiles, les littéraires sont utiles… Sans eux, vous avez quelles mémoires en histoire, en éducation, en géographie. Il faut les mettre à contribution ! Si aujourd’hui, on se rend compte que le Liptako contient des ressources et est un enjeu, c’est grâce aux historiens qui ont fait un travail de mémoire. Les politiques font ce qu’ils veulent, parce qu’ils se disent que la réalité qu’ils vivent n’est pas celle de tout le monde, mais il y a des gens qui peuvent aider à prendre les décisions et la recherche doit être au service de la prise de décision. Sans identité, on n’avance pas et les sciences sociales sont-là pour cela », a poursuivi l’interlocuteur.

Sondé sur l’avenir des transitions et la perspective de prolongation, il avance : « Je ne suis pas pour une prolongation des transitions, je suis pour une légalisation de la situation pour permettre de donner plus de légitimité à nos États aux yeux du monde. C’est important, parce qu’aujourd’hui, sous le couvert d’États putschistes, on nous prive de beaucoup de choses. Pourtant, un État qui fonctionne conformément aux principes en vigueur (parce que, c’est un mode de gouvernance) a plus de voix sur la scène internationale. Il faut donc aller vers la régularisation des situations nationales. Qu’il y ait un arrangement pour que ce soient les mêmes qui restent par des processus électoraux, peu importe, il faut aller vers la normalisation, sortir de cette situation pour éviter qu’on dise que ce sont des pouvoirs qui sont illégitimes. Il faut qu’on les légitimise, quel qu’en soit le mécanisme ».

Pour l’analyste et chercheur, dans le contexte actuel du pays, les Burkinabè ont intérêt à se comprendre. « J’espère que les politiques qui nous gouvernent aujourd’hui comprennent que les populations ont compris les enjeux, en consentant d’énormes sacrifices, pour que justement, on puisse nous libérer de cette situation. Il faut aussi que ces mêmes politiques comprennent que quand vous avez fabriqué un monstre, il peut se retourner contre vous. Il faut avoir l’intelligence nécessaire pour faire les choses », a-t-il conclu dans un ton d’invite.

A la veille donc de ces assises nationales, censées aboutir à un nouvel élan qui intègre les insuffisances et fait passer le pays au-dessus de toute autre considération, il faut simplement dire avec les Bamananw : « Allah tchien dèmè » (Que Dieu aide la vérité !).

Oumar L. Ouédraogo
Lefaso.net

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