Actualités :: Burkina/Révision constitutionnelle : « La barrière linguistique est un sérieux (...)

La Société burkinabè de droit constitutionnel a organisé une conférence le samedi 13 janvier 2024 à Ouagadougou sur le thème principal : « Révision constitutionnelle du 30 décembre 2023 ». L’un des moments forts de cet événement fut la présentation de la communication de Dr Awa 2e jumelle Tiendrébéogo/Sawadogo sur la thématique « Révision constitutionnelle et officialisation des langues nationales ».

La spécialiste des questions linguistiques de l’Université Joseph Ki-Zerbo (UJKZ), a souligné que la communauté scientifique burkinabè partage l’opinion selon laquelle, le développement doit se réaliser dans et par sa propre langue. L’exposé de la secrétaire permanente de la promotion des langues nationales a ainsi mis l’accent sur les enjeux d’officialiser les langues nationales au Burkina Faso.

En guise d’introduction, Dr Awa Tiendrébéogo donne en premier lieu un aperçu de l’intégration de la langue française en Afrique, et en particulier au Burkina Faso. « Le français était la langue institutionnelle du Burkina Faso depuis l’indépendance. Il nous a été imposé depuis 1896 et il a régné sans partage dans le pays, surtout dans l’administration. Et le choix de cette langue est un fait d’exclusion des masses qui ne la comprennent pas », a-t-elle conté.

Dr Awa Tiendrébéogo relate qu’en 2000, selon le Français Daniel Barreteau, linguiste et spécialiste des langues africaines, il y avait 1,09% des Burkinabè qui étaient des francophones confirmés. Et pour lui, être francophone confirmé était d’avoir au minimum le niveau de la classe de 3e.

« On peut donc dire tout simplement qu’au Burkina Faso, il y a un hiatus entre gouvernants et gouvernés à cause de la barrière linguistique. Cette barrière constitue un obstacle sérieux à la mise en œuvre des programmes et projets de développement », analyse-t-elle. Pour elle, la langue n’est pas seulement un outil de communication, c’est aussi un instrument qui construit notre identité, notre vision du monde, notre culture, nos valeurs et civilisations.

Selon Dr Awa Tiendrébéogo, tout ce qu’elle a pu bien évoquer jusqu’ici semble justifier la décision des autorités de la transition d’officialiser les langues nationales. « Mais quels peuvent-être les enjeux ? », s’est-elle interrogée.
De l’avis de l’experte, sachant que la politique linguistique est une détermination des grands choix en matière des relations entre langues et société, elle pourrait contribuer au renforcement des instances gouvernementales et/ou de la société civile.

« L’impérialisme linguistique »

La conférencière développe ses idées, en déclarant que l’Afrique a vécu jusqu’ici ce qu’elle pourrait qualifier « d’impérialisme linguistique ». Afin d’argumenter sa thèse, elle met en exergue une assertion d’Henri Gautier. « Henri Gautier, qui était le chef de cabinet du ministre français de l’instruction publique, au Congrès international de l’enseignement colonial, en 1931, disait ceci : Faites que chaque enfant né sous notre drapeau, tout en restant l’homme de son continent, de son île, de sa nature, soit un vrai Français de langue, d’esprit et de vocation », a cité Dr Awa Tiendrébéogo.

Puis d’ajouter que Pierre Foncin, premier secrétaire général de l’Alliance française, affirmait : « Tout client de la langue française est un client naturel des produits français ». Elle mentionne ensuite, que Pierre Foncin confiait : « c’est pour le commerce que travaille l’Alliance française qui a justement été formée à cet effet ».
« C’est dire que la propagation de la langue française est la clé des marchés extérieurs », relève Dr Awa Tiendrébéogo. « C’est pourquoi, il n’est pas rare d’entendre dans nos sociétés, “telle chose n’est pas à la mode’’, “ceci vient directement de la France ou de l’Amérique’’ », renchérit-telle.

De son analyse, les comportements qu’elle décrit sont la conséquence d’une assimilation mentale. « Ils l’on voulut ainsi et c’est à travers la langue qu’ils ont pu aboutir à ce résultat, de sorte que nous devenions des consommateurs qui ne “réfléchissent pas’’ », a-t-elle dit en s’excusant du terme employé.
Elle révèle que n’ayant pas reconnu les langues et les cultures africaines comme des valeurs, les colons, en particulier les Français, ont traité les langues africaines de « parlées », « d’idiomes », et de « dialectes ».

« J’aurai aimé ce matin que nous parlions tous fulfuldé, dioula, mooré… », Dr Awa 2e jumelle Tiendrébéogo/Sawadogo, secrétaire permanente de la promotion des langues nationales

Dr Awa Tiendrébéogo estime que « si le développement de tout peuple va de pair avec celui de la langue », un défenseur des langues africaines faisait remarquer que « l’option des langues coloniales comme seules langues officielles des pays africains est un frein au développement du continent noir ».

Après le rappel de cette citation, Dr Tiendrébéogo revient sur les propos des autorités burkinabè pendant les campagnes électorales. « Nos autorités ont souvent dit lors des campagnes, que nul ne peut se développer dans la langue d’autrui », dévoile-t-elle. Avant de noter que la mise en œuvre de la souveraineté linguistique du Burkina Faso a été longtemps attendue.

En effet, la secrétaire permanente de la promotion des langues nationales indique que l’officialisation des langues nationales au Burkina Faso le 6 décembre 2023 est le combat qu’ont toujours mené les scientifiques du pays, précisant qu’ils ne manquent pas de propositions dans leurs bibliothèques en ce sens.

Le boulevard de la reconquête de la souveraineté linguistique et identitaire étant tracé, déduit-elle, il leur appartient de se mettre au travail pour proposer aux décideurs des conditions de l’opérationnalisation de cette loi révisée. « Et nous sommes déjà à pied d’œuvre, car il nous faut une politique de langues inclusive », a-t-elle observé.

Dr Awa Tiendrébéogo signale également qu’à l’issue d’une étude, il est ressorti que le Burkina Faso possède exactement 59 langues nationales. « Jusqu’ici, nous avions une dizaine de langues utilisées dans l’éducation bilingue (français comme langues nationales) et une vingtaine de langues utilisées dans l’alphabétisation », a-t-elle montré.

Unir tous les Burkinabè autour d’un même idéal

Sur la multiplicité des langues nationales burkinabè, l’experte des questions linguistiques s’y attarde un instant. « Le patrimoine linguistique riche du Burkina Faso n’est pas une divergence. Car c’est une richesse qui doit nous unir davantage. Parce que si nous avons pu accepter qu’une langue venue d’ailleurs, à savoir le français, devienne une langue fédératrice afin que nous puissions nous comprendre, ne serions-nous pas fiers si c’était une langue burkinabè ? », questionne-t-elle.

Selon l’interprétation de Dr Tiendrébéogo, parmi les obstacles liés à l’aménagement linguistique au profit de l’officialisation, il faut signaler la réticence des diplômés et intellectuels. Car tous prétendent défendre la langue de leur terroir, déplore-t-elle.
« Personne n’a une langue, c’est le Burkina Faso qui a des langues et un patrimoine linguistique ! Tout comme l’hymne national, nous devons tous ensemble d’un même pas, reconnaître les langues majoritaires, et celles qui peuvent assurer les besoins communicationnels sur tout le territoire national, comme des langues officielles », sensibilise-t-elle.

Pour conclure, Dr Awa Tiendrébéogo a insisté qu’au niveau du Secrétariat permanent de la promotion des langues nationales, les actions sont entreprises pour fournir aux autorités un aménagement linguistique qui soit inclusif, promeut le patriotisme et l’esprit d’équipe. Cela, en vue d’unir tous les Burkinabè autour d’un même idéal.

Lire aussi : Burkina / Révision constitutionnelle : « On peut conclure que le pouvoir judiciaire a subi une atteinte majeure à son indépendance », Dr Aristide Béré

Hamed Nanéma
Lefaso.net

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