Actualités :: Affaire « deals de parcelles » : Le film d’un procès entre le journal L’Opinion (...)

Initialement annoncé pour le 30 mai 2016, et sur demande de la défense, c’est finalement lundi, 6 juin 2016 que le procès opposant le journal L’Opinion à Me Guy Hervé Kam (porte-parole de l’organisation de la société civile, Balai citoyen) a connu son dénouement à l’issue d’un long procès dans la salle N°3 du tribunal du Travail, Tribunal de grande instance (TGI) de Ouagadougou. Au canard, il était reproché l’infraction de « diffamation » et l’infraction d’« injure ».

Ce procès revêtait sans doute un enjeu particulier pour la presse burkinabè en ce sens que, c’est le premier après l’adoption de la loi 057 portant dépénalisation des délits de presse. Ce qui pourrait signifier la présence de plusieurs responsables d’associations et organisations professionnelles des médias notamment le président de la Société des éditeurs de la presse privée (SEP), Boureima Ouédraogo ; l’ex-président de la SEP, Lookman Sawadogo et le président de l’Association des journalistes du Burkina Faso (AJB), Guézouma Sanogo.

Par citation directe, le directeur de publication de l’hebdomadaire, L’Opinion, était appelé à répondre de l’infraction de « diffamation » et de l’infraction d’« injure ». Il était un peu plus de 9 heures, lorsque le tribunal a ouvert l’audience. Les ‘’hostilités’’ commencent par des questions de forme soulevées par la défense. La forme tenant le fond en l’état, dit-on, il fallait régler cette question préalable. En effet, les avocats du prévenu ont soulevé une exception de non-recevoir en se fondant sur l’article 139 de la loi 057 portant régime juridique de la presse écrite qui stipule que le tribunal est tenu de statuer au fond dans un délai maximum de sept jours à compter de la date de la première audience. Pour eux, du 30 mai au 6 juin, cela fait huit jours et non sept. Ce qui va obliger les avocats de la partie civile à un comptage aux allures d’« un bâtonnet plus un bâtonnet égale deux bâtonnets ». Ces derniers relèvent dans leur lancée que les jours fériés, le samedi, et le dimanche qui sont des jours non-ouvrables ne sont pas pris en compte dans le délai. Après de très houleuses thèses et antithèses, le tribunal va observer une suspension d’environ 30 minutes pour examiner et trancher. A la reprise de l’audience à 11 h 10, la défense est déboutée. Dès lors, place est faite aux débats sur le fond. Pendant plusieurs heures, les parties vont se livrer à des démonstrations, s’appuyant sur l’article incriminé qu’elles vont décortiquer dans tous les sens et sur les textes et autres jurisprudences en la matière.

Plain-pied dans les débats de fond … !

Que faut-il retenir des faits ? Dans l’article intitulé : « Deals de parcelles à Ouaga 2000 » : « Trafic d’influence et escroquerie » et signé de Paloumdé Ilboudo, l’hebdomadaire L’Opinion dans sa parution du 02 mars au 08 mars 2016, publiait que : ‘’Beaucoup d’activistes membres des Organisations de la société civile, très influents et proches du Premier ministre et du ministre Bagoro, qui avaient pignon sur rue sous la Transition, ont eux aussi acquis des parcelles au nom de leurs épouses ou de tierces personnes pour brouiller les pistes. Des sources concordantes font état de ce que, par exemple, Me Guy Hervé Kam, porte-parole du Balai citoyen, avocat de l’Etat dans l’affaire de la loi d’exclusion, serait attributaire de trois parcelles jumelées dont les numéros sont : 11,12 et 13 du lot 4, section SC à Ouaga 2000 pour un montant de 30 768 000 FCFA. Il en aurait également deux autres de 600 m2 chacune : les parcelles 5 et 6, lot 2, section GI, zone B au nom de son épouse, acquise à 9 600 000 FCFA. Le contexte de l’acquisition de ces terrains (en fin de Transition), les acquéreurs de ces terrains et les changements intervenus dans les prix de vente de ces biens publics, les manipulations sur leurs identités nous fondent à dire qu’il s’agit de trafics illicites sur des biens publics. Que dire de ces responsables d’organisations de la société civile qui ont passé le temps à abuser de la confiance des populations par des dénonciations tous azimuts et qui se retrouvent à faire pire ? De vulgaires bandits à cols blancs que nous allons traquer et forcer à reconnaître leurs forfaitures’’.

Dès l’entame, le prévenu, Issaka Lingani, a plaidé non-coupable des délits de « diffamation et d’injure » retenus contre lui.

« La partie civile a attendu en vain que le prévenu vienne s’excuser mais il n’est jamais venu, d’où cette assignation. J’ai pensé ce matin que Lingani viendrait s’excuser et on aurait mis fin au procès. Mais rien, il a plutôt dit que c’est nous qui ne connaissons pas la grammaire et la conjugaison », a campé Me Batibié Benao, entrant de plain-pied dans les plaidoiries. Des propos corroborés plus tard par Me Guy Hervé Kam qui a dit sa peine d’attraire un journal devant la justice, car « durant des années, j’ai défendu la liberté de la presse ». Pour les avocats de la partie civile, le journaliste a tenu à écrire, quand bien même il savait bien qu’on ne pouvait rien reprocher à leur client. « C’est une grave atteinte à l’honneur et à la considération de Me Guy Hervé Kam », ont-ils affirmé. Pour Me Séraphin Somé, « ce procès est celui d’un briseur d’images, d’un mercenaire de la plume. Si vous voulez avoir Lingani sur votre chemin, attaquez-vous à Blaise Compaoré et à ses sbires. A coup sûr, vous l’aurez », faisant un lien général avec ses opinions.

Forts de ces faits soulevés et des arguments développés, les avocats de la partie civile ont demandé au tribunal de reconnaître la constitution des infractions de « diffamation et d’injure ».

Selon le procureur, la dépénalisation des délits de presse a accru en réalité la responsabilité du journaliste dans le professionnalisme. Pour lui, les règles de précaution et de prudence sont des règles de la vie, « même pas des règles professionnelles ». Après avoir écouté les plaidoiries et adressé des questions d’éclaircissements, le procureur est arrivé à la conclusion que les infractions reprochées au prévenu sont largement constituées et a demandé au tribunal la condamnation du prévenu.

A contrario, pour la défense, les propos indexés comme « diffamatoires et injurieux » ne visent en aucun cas et spécifiquement Me Guy Hervé Kam. L’article est parti, selon elle, d’un contexte global pour aboutir à des interrogations. Mieux, relèvent les avocats, en utilisant le conditionnel (aurait, serait…), le journaliste a émis une réserve et fait preuve de bonne foi. Pour eux, sauf déduction donc (ce qui ne serait pas admis en matière pénale), l’on ne peut dire que le journaliste a fait des injures à Me Kam. Les faits ne devaient pas être, selon eux, punis parce que relatant un contexte général à des fins de renseignement. Une démarche qui aurait même permis à l’ASCE-LC d’investiguer et de livrer un résultat qui a montré que Me Guy Hervé Kam est « effectivement » attributaire de parcelles à Ouaga 2000 « mais » acquises en 2010 « et non sous la Transition ». La défense fait également ressortir que, nulle part dans l’article, il est dit que l’acquisition des parcelles a été faite sous la Transition ou à la fin de la Transition. Partant de là, les avocats estiment qu’il aurait été plus logique, si la plainte venait des responsables de la SONATUR (Société Nationale d’Aménagement des Terrains Urbains), seuls compétents à attribuer des parcelles. « Me Kam n’attribue pas des parcelles », soulignent-t-ils.

Pour M. Lingani, l’écrit ne viole en aucun cas, les règles relatives à la profession car, il s’agit également d’une technique d’investigation qui consiste à ‘’jeter un pavé dans la mare pour avoir des réactions…’’.

En soutien au professionnalisme porté en discussions, les avocats ont fait observer que L’Opinion a été lauréat de plusieurs prix Galian en matière d’investigation et a également à son actif, un « prix Norbert Zongo » (du nom du célèbre journaliste) pour l’investigation et bien d’autres prix spéciaux d’institutions publiques.

Outre cela, la défense estime que les délits de « diffamation » et d’ « injure » indexés ne valent pas les mêmes selon que les propos sont dirigés vers un homme public ou un citoyen anonyme. ‘’Les gens doivent donc être appréciés au regard de leur situation et de leur position’’, indiquent-ils, estimant que Me Kam étant une figure influence de l’espace public, l’appréciation doit se faire en tenant compte de cette réalité.

Les avocats de la défense ont estimé que leur client n’est pas animé d’une intention de nuire, regrettant au passage que les avocats de la partie civile aient fait une incursion dans les opinions de leur client par notamment un rapprochement avec le régime Compaoré et ses proches. « Votre juridiction est là pour des questions de droit et non de morale », a adressé Me Anna Ouattara au tribunal, déplorant que l’on fasse le procès des opinions de son client. De son avis, il fallait s’en tenir au fait qui est reproché à M. Lingani et pour lequel les parties ont été appelées à la barre.

En dernière réaction au prétoire, le directeur de publication de L’opinion, Issaka Lingani, a tenu à dire « merci » à Me Guy Hervé Kam « pour avoir choisi la voie judiciaire » parce que, révèle-t-il sans détails,« des gens de son camp voulaient autre chose ».

Puis ..., le verdict !

15 h 05, c’est la fin des plaidoiries. Le tribunal se retire pour le délibéré. Après une longue attente marquée de suspens, les hommes en toge font leur entrée dans la salle d’audience à 17h30. Puis, le verdict : L’Opinion est reconnu coupable de « diffamation » et condamné à verser un million de FCFA d’amende, trois millions de FCFA de dommages et intérêts et 500 mille FCFA de frais d’avocats. En outre, le tribunal ordonne la publication du verdict dans deux quotidiens de la place (L’Observateur Paalga et Sidwaya) et également dans le journal, L’Opinion.

« Je m’attendais à un tel verdict, parce que le procès, vous l’avez suivi, est passé de procès de Me Kam contre L’Opinion, à l’ensemble du système contre L’Opinion, contre la liberté d’expression, contre la liberté de presse. A écouter même le procureur du Faso, il était évident que le parti pris de la justice était clair. Mais, nous allons poursuivre la procédure avec mes conseils, nous allons réfléchir. Dans tous les cas, nous ferons tout pour que la défense de la liberté de presse prime et que le droit des journalistes de dire ce qu’ils pensent, l’existence du journalisme d’investigation soit préservé dans ce pays, en dépit de ce que les uns et autres veulent », a confié le directeur de publication, Issaka Lingani. A l’en croire, interjeter appel n’est pour le moment pas à l’ordre du jour, « ce qui est certain, c’est qu’on n’en restera pas là » ; soulignant qu’il travaillera toujours selon les droits que lui confèrent la Constitution et les textes relatifs à l’exercice du métier.

Me Guy Hervé Kam, lui, exprime « le sentiment de quelqu’un qui a été meurtri ». « Je pense que le procès de ce jour a montré aussi, malheureusement, que nous avions totalement raison de mener ce procès ; lorsque j’ai entendu de la bouche de M. Lingani, lui-même, qu’il avait toutes les informations, y compris les dates d’acquisition de ces parcelles, et qu’il a choisi de retenir ces informations. Je me suis dit Dieu merci de m’avoir donné l’idée de le poursuivre en justice, non seulement pour cette vérité mais aussi et surtout pour la responsabilité des journalistes parce que, pour être moi-même engagé depuis très longtemps dans le sens de la liberté de la presse, je crois que de telles pratiques sont des pratiques qui sont, elles-mêmes, des ennemis de la liberté de la presse. La liberté de la presse, son penchant est la responsabilité des journalistes et là, nous avons eu tous les éléments que le journaliste n’a pris aucune précaution ou au contraire, qu’il a d’ailleurs pris toutes les précautions pour utiliser son journal et nuire à mon image », a confié Me Kam à l’issue du verdict.

Me Benao qui s’est dit satisfait du verdict, a indiqué que le procès est (avant tout) un tremplin pour les hommes en société de régler leurs différends plutôt que de les régler par coups de poings sur la place publique. C’est donc l’affirmation, dit-il, de la primauté du droit et du recours au droit pour pacifier les relations conflictuelles qui peuvent exister entre les hommes en société. Pour l’avocat, ce procès est comme tout autre de ce genre. « Nous n’avions pas l’intention particulièrement de poursuivre le journaliste en question parce que, personnellement, j’étais, ou j’ai toujours été du côté des journalistes poursuivis. Nous avons pensé, jusqu’à la dernière minute, qu’il ferait une démarche qui puisse donner le choix à notre client de ne pas exercer le recours pénal. Nous n’avons pas vraiment eu le choix », a reconstitué Me Benao.

Pour l’avocate de la défense, Anna Ouattara, « nous avons plaidé dans les sens de l’inexistence même des infractions, parce que nous avons développé que nulle part, dans l’écrit incriminé de M. Lingani, il n’est dit que Me Guy Hervé Kam est auteur de trafic illicite de parcelles, que Me Guy Hervé Kam est un délinquant à col blanc. Nous sommes en matière pénale et la loi dit qu’il faut des faits précis, imputés à une personne déterminée. Or, le tribunal s’est contenté, si l’on croit la décision, à retenir des allégations et déductions qui ont été faites. Pour notre part, la loi dit qu’il faut que le fait allégué soit destiné à une personne précise. Nous ne comprenons pas non plus la requalification par le tribunal de l’infraction d’injure en infraction de diffamation. On ne nous a pas demandé de nous exprimer sur la question. Il y avait deux infractions dans la citation de Me Guy Hervé Kam ; il s’agit del’infraction de diffamation et de l’infraction d’injure. A notre grande surprise, le tribunal nous annonce qu’il a décidé de requalifier l’injure en diffamation ». Toute chose qui montre, selon elle, l’embarras de la part du tribunal lorsqu’il « a requalifié l’infraction d’injure en diffamation, alors que ce n’est pas ce qui lui a été demandé dans la citation directe de Me Guy Hervé Kam ».

Le procès s’est déroulé, peut-on le souligner, sans un esprit d’animosité car, on pouvait noter des ‘’échanges détendus’’ entre les deux parties (Issaka Linagni et Me Guy Hervé Kam ou certains des avocats de ce dernier).

Oumar L. OUEDRAOGO
(oumarpro226@gmail.com)
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