Actualités :: De l’indépendance réelle de la justice dans notre pays

Sur les colonnes du journal en ligne AFRIK.COM du 1er juin 2016, le Ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Monsieur René BAGORO à la suite des décisions de mise en liberté provisoire qui ont été prises au profit de certains inculpés détenus tant devant les juridictions civiles que devant le tribunal militaire, notamment certains responsables du régime déchu dit « lire dans la presse, sur les réseaux sociaux que les gens ne comprennent pas et mettent en cause le gouvernement ». Des commentaires de ci- de là, le Garde des Sceaux considère que c’est à tort « qu’il y aurait une sorte de deal entre le gouvernement actuel et les personnes détenues, pour dire qu’il y aurait une interférence du régime dans le rendu des décisions ».

C’est donc dans le but de rassurer, prétend Monsieur René BAGORO, Ministre de la Justice que celui-ci a déclaré : « Il n’est pas dans l’intention du gouvernement de remettre en cause les acquis de l’insurrection, notamment en ce qui concerne la justice. Le stade actuel de l’indépendance de la justice est un des acquis de l’insurrection. L’indépendance de la justice a longtemps été souhaitée et réclamée, elle est maintenant réelle, avec tout ce qu’elle implique. Il faut que les populations aussi admettent que cette indépendance a des conséquences ; qui peuvent plaire ou ne pas plaire. L’une des conséquences, c’est que le juge étant indépendant, il rend ses décisions en son âme et conscience au regard des faits dont il dispose, et au regard des arguments que les parties invoquent devant lui ».

Nous avons été nombreux à applaudir cette belle position démocratique de Monsieur René BAGORO, Garde des Sceaux, Ministre de la Justice et, tout à coup, patatras !

S’agissant de l’arrêt de cassation de la Cour de Cassation sur le recours formé par les Avocats du Général BASSOLE à l’encontre de la décision de la Chambre de Contrôle du Tribunal militaire qui déniait aux avocats étrangers le droit de se constituer devant la juridiction militaire, le Garde des Sceaux s’était, la veille de ses belles déclarations d’intention le 31 mai 2016, s’auto-affranchi de cette ligne rouge en soutenant malencontreusement que « contrairement à ce qui se dit, c’est une victoire d’étape bien évidemment, mais ce n’est pas une décision qui les a remis en selle ». Cette position du Garde des Sceaux est littéralement erronée et il en conviendra sûrement, d’ailleurs par humble « mea culpa ».

En effet, le Garde des Sceaux ajoute : « La Chambre de contrôle avait refusé même que ces avocats puissent introduire des recours d’irrecevabilité. C’est cette décision qui a été remise en cause. Ça veut dire que la procédure au fond va se poursuivre. Contrairement à ce qu’on dit, on n’a pas remis ces avocats dans le jeu. Ça pourra arriver…. ».

Ainsi donc, selon Monsieur René BAGORO, Ministre de la Justice, dans la décision qui a été prise par la Cour de cassation, « il y a deux choses qu’il faut savoir : Lorsque les avocats étrangers sont venus se constituer, on a rejeté leur constitution. Ils ont fait appel devant la Chambre de contrôle. Et les juges de la Chambre de contrôle ont dit que comme ils ne sont même pas admis, ils ne peuvent même pas venir devant la Chambre de contrôle. C’est cette décision que la Cour de cassation a remis en cause. Ça veut dire qu’on dit maintenant qu’ils ont le droit de se plaindre contrairement à ce que la Chambre de contrôle avait dit ». Quelle tournure en rond autour de la quadrature du cercle !

Cette gymnastique intellectuelle inutile du Garde des Sceaux (parce qu’il doit, justement, en tant que n° 1 de la justice, s’abstenir tout simplement de commenter les décisions de justice) témoigne sans conteste, de sa profonde et grave méconnaissance, d’une part, de son obligation de s’abstenir de commenter publiquement les décisions de justice, surtout lorsqu’elles émanent de la plus haute juridiction, mais également d’une atteinte gravissime de la part du Garde des Sceaux de notre pays à la présomption d’innocence des accusés dans ces différentes procédures. En effet, le Ministre de la justice ne peut, en aucun cas, soutenir qu’au « regard du rôle que certaines personnes ont joué par rapport à la déstabilisation de notre pays, ce n’est pas de gaieté de cœur que nous constatons que certaines personnes se retrouvent dehors. Nous en prenons acte, même si ça nous fait mal »
C’est n’est, ni plus, ni moins, qu’une forme avérée d’immixtion du pouvoir exécutif dans la sphère de l’autorité judiciaire et le Garde Des Sceaux ne pouvait, de cette manière, préjuger et poser le postulat du « rôle que certaines personnes ont joué par rapport à la déstabilisation de notre pays » tout en contestant, à peine voilée, ces mises en liberté provisoire puisque Monsieur René BAGORO indique clairement que « ce n’est pas de gaieté de cœur…qu’il constate que ces personnes se retrouvent dehors et qu’il en prend acte, même si cela lui fait mal »

Cette position ouverte d’hostilité avérée aux mises en liberté provisoire décidées souverainement par le Tribunal militaire est, une fois de plus, une grave atteinte au principe de la séparation des pouvoirs entre l’exécutif qu’il incarne et l’autorité judiciaire souveraine, mais également une atteinte inacceptable au principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire sans compter, au passage, l’atteinte intolérable à la présomption d’innocence des personnes accusées.

Le Ministre de la justice, Garde des Sceaux, Magistrat chevronné ne pouvait légitimement ignorer ces graves atteintes et le Premier Ministre devrait, « ceteris paribus » dans un régime véritablement démocratique, le rappeler impérativement à l’ordre. Si besoin en était, il faut rappeler que l’inculpé est toujours présumé innocent jusqu’à ce qu’une juridiction légalement constituée le déclare coupable. En outre, une personne inculpée, qui est placée sous mandat de dépôt peut bénéficier d’une liberté provisoire dans l’attente de son jugement soit que le juge estime qu’il n’a plus de raison de l’entendre ou que la personne est souffrante et nécessite des soins. La justice, sans l’once d’une certaine humanité n’est qu’un leurre…

Il est vrai que l’adage selon lequel « le pouvoir rend fou et le pouvoir absolu rend absolument fou » reste d’une actualité troublante et déconcertante dans un contexte où les hautes autorités de notre justice devraient plutôt faire preuve de retenue et de veille citoyenne sans trop de commentaires déroutants et subjectifs dans le respect de certains principes élémentaires de la justice que sont l’indépendance des Magistrats et la présomption d’innocence.

Le dire relève d’une banale contribution à l’œuvre de construction d’une justice saine et démocratique débarrassée de tous les carcans partisans et autres entraves innommables.

Paul KERE,
Docteur en Droit de L’Université de Paris 1 Panthéon Sorbonne.
Avocat

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