Actualités :: Des limites du légalisme aux potentielles dérives populistes : Le difficile (...)

L’attention portée sur le phénomène des koglwéogo suscite des prises de position radicales, qui opposent deux modèles de gouvernance : les « légalistes » et les « populistes ».

L’intérêt d’une analyse sociologique succincte de la question, est de mettre en lumière les facteurs favorables à l’émergence et la persistance des koglwéogo ainsi que les raisons qui fondent les oppositions entre les deux modèles.

Au cours du débat à la RTB, le sociologue invité faisait cas de « la solidarité organique » et de « la solidarité mécanique ». Une introduction pertinente qui aurait pu faciliter une meilleure compréhension chez les téléspectateurs, s’il avait eu le temps de s’expliquer davantage.

La solidarité organique et La solidarité mécanique sont des concepts introduits par Émile Durkheim dans son ouvrage De la division du travail social (1893). Ils désignent deux systèmes d’organisation sociale foncièrement déterminés par le mode d’attribution des tâches entre les individus. [Cf. Wikipédia]
La solidarité organique est caractéristique de la société moderne. Ici, la cohésion sociale est fondée sur la différenciation et sur l’interdépendance des individus entre eux que favorise la division du travail [Cf. Wikipédia]. On y trouve par exemple des catégories professionnelles diversifiées telles que les économistes, les médecins, les juristes, les institutions en charge de la sécurité qui au moyen des textes en vigueur, sont chargés de la gestion des crimes, litiges etc. Ces différentes catégories agissent en symbiose pour le fonctionnement de l’Etat.

La solidarité mécanique quant à elle, relève de la société traditionnelle. Elle résulte de la proximité entre les individus. Ils vivent ensemble dans des communautés. Le poids du groupe est très important (famille, travail). Ils partagent des valeurs communes très fortes : la conscience collective est élevée et aucun écart à la norme n’est toléré car, en remettant en cause la conscience collective, c’est la cohésion sociale dans son ensemble qui peut être mise en question [Cf. Wikipédia]. A lire ce dernier paragraphe, on se rend compte que le parallèle avec le cas des koglwéogo est sans équivoque.

Dans le contexte burkinabè, on peut parler d’une coexistence de ces deux modes d’organisation, avec un ascendant vraisemblable de la solidarité mécanique. Exemple : dans l’administration, l’évolution d’un dossier dépend fortement des liens parentaux/amicaux/affectifs que l’on peut avoir avec les personnes en charge de cette question. Un autre exemple moins reluisant est la gestion des conflits entre éleveurs et agriculteurs : avant même que les responsabilités soient situées, bien souvent, chacun des groupes protagonistes s’organisera pour réprimer le camp d’en face et ce, indépendamment de l’existence des voies légales.

Etymologiquement koglwéogo est la fusion du verbe mooré « Kɔgle » qui pourrait se traduire par « protéger » « préserver » et du mot « Weogo » qui renvoie « à la brousse », « l’environnement inhabité » etc. l’objectif des koglwéogo est donc de sécuriser les populations rurales, au regard de l’emprise des bandits de grands chemins et du vide sécuritaire constaté. On pourrait désigner par koglwéogo, une organisation informelle d’autodéfense ancrée dans les communautés et qui, du fait de sa proximité physique, sociale et normative avec les usages locaux, bénéficie de l’adhésion des populations. Cela est d’autant plus accentué par le mode opératoire des koglwéogo, qui se caractérise par un règlement immédiat des faits de crime, à travers l’application directe d’un certain nombre de sanctions où la répression physique et les amendes occupent une place de choix.

L’attrait que les populations ont pour les koglwéogo se justifie principalement par les failles du système sécuritaire et judiciaire, traduites par la recrudescence des braquages, les crimes impunis, l’opacité, la durée, le caractère déconnecté et procédural du fonctionnement judiciaire. L’esprit légaliste s’en tient à l’existence d’un Etat de droit qui tire sa légitimité par le fait même que la loi s’impose à tous et devrait être connue et reconnue par tous comme telle. On peut alors se demander comment une norme peut-t-elle s’imposer si au meilleur des cas elle est sujette à interprétation et au pire, ignorée ? Comment évoquer la pertinence du droit devant un éleveur/agriculteur qui après des années de durs travaux se retrouve démuni des vaches grasses qu’il s’apprêtait à vendre ? Comment pallier à un tel dénuement chez un individu dont le seul mérite est de respirer la poussière des voitures de luxe des hommes politiques ?

L’état actuel des choses suscite des interrogations sur les rôles et responsabilités à attribuer aux koglwéogo. Comment parvenir à encadrer des organisations informelles d’utilité publique et dont le mode d’action diffère des voies reconnues à l’international ? Faudrait-t-il au Burkina Faso se conformer aux normes internationales ou envisager des formes d’innovation organisationnelles qui tiennent compte des réalités du pays ? Comment s’assurer que les atouts reconnus aux koglwéogo ne vont pas un jour se muer en menace ? Autant il existe des juges corrompus et une mainmise du politique sur le judiciaire, comment s’assurer que des groupes d’autodéfense [partis d’une intention bénévole et dont le système de cooptation reste encore à élucider, aussi bien sur le plan des modalités d’adhésion et du profil des membres] qui au gré du travail gratuit, des amendes perçues et du renoncement aux activités personnelles, ne vont pas se laisser hameçonner par des politiciens véreux ou par un quelconque groupe terroriste ? Jusqu’à quel moment les koglwéogo accepteraient-t-ils de travailler de manière « bénévole » ? Comment peuvent-t-ils jouer un rôle consensuel sans pour autant se substituer aux institutions de l’Etat de droit ? Comment les hommes de droit et des services sécuritaires envisagent-t-ils redorer leur image pour jouer efficacement le rôle qui est attendu d’eux ? Comment parvenir à restaurer l’intégrité, la morale, le patriotisme dans un Etat où la course à l’accaparement injuste et disproportionné des richesses est devenu un symbole presque national. Quel sens peut-t-on donner à la réussite, si les jeunes valorisent dans le discours quotidien, l’obtention inique des véhicules hors de prix et des villas à 36000 chambres ?

L’existence des koglwéogo est la conséquence d’un phénomène. Le débat sur la pertinence de ce groupe ne saurait se mener sans poser les bases d’un dialogue social ouvert [cadre multi-acteurs], qui tient surtout compte de l’importance à accorder à la justice sociale, à l’équité et au développement au sens véritable.

Adolphe YEMTIM
Sociologue consultant en Innovation et Développement Rural
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E-mail :yemtimadolphe@gmail.com

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