Actualités :: Les langues nationales au service des politiciens, et après ?

Sur un plateau de télévision, à la veille des résultats, dite nuit électorale, un journaliste qui animait les débats a avancé que les programmes politiques des différents candidats étaient difficiles à traduire en langues nationales parce que certains concepts ne peuvent pas être traduits en langue nationale. Un de ses invités l’a rectifié que tous les concepts sont traduisibles dans n’importe quelle langue au Burkina. Ce dernier a relevé l’existence de recherches linguistiques et souligné la qualité des enseignants sociolinguistes de l’université d’Ouagadougou en plus des efforts d’alphabétisation et des programmes d’éducation et de formation en langues nationales au Burkina Faso. Ce journaliste semblait l’ignorer. Mal lui en a pris.

Ce qui m’offre l’occasion de prendre ma plume, au lieu de la ranger et de la fermer, pour défendre et interpeller les nouveaux responsables sur la promotion des langues nationales comme instruments de développement et d’enracinement de la démocratie.
Nous avons suivi avec intérêt et fort à propos comment chaque candidat, chaque parti a bien inséré dans sa stratégie de conquête du pouvoir les langues nationales. Même le candidat qu’on dit qu’il est né avec la langue de Molière dans la bouche a fait l’effort de s’exprimer dans la langue des électeurs. On trouvait des candidats qui, dans chaque localité du Burkina, essayaient de formuler des phrases dans la langue du coin soit pour dire « bonjour », soit pour dire « merci » et pour terminer par « voter pour moi » !
Les stratégies de communication de chaque camp ont aussi pris en compte les langues nationales. Les déclarations radio télé, sauf au niveau de la presse écrite, étaient délivrées en langues nationales. Les interviews des portes paroles, des candidats eux-mêmes réalisées en langues nationales. On a même retrouvé quelques affiches, des discours et des plaquettes libellés dans les langues locales.
La sensibilisation et autres messages pour inviter les électeurs à participer, à préserver la paix, à connaître les opérations du vote ont été traduits en langues nationales. Au cours des trois semaines, le Burkina s’est reconnecté avec ses racines, sa culture ses langues nationales. Tout le monde se rivalisait pour qui saura mieux sortir l’expression, l’anecdote, le proverbe en langues nationales pour se faire comprendre et accepter par ses militants. Pendant cette période celui qui savait bien manipuler sa langue était le savant, l’intellectuel du coin.
Malheureusement, les langues sont toujours reléguées au second plan une fois que les campagnes électorales passent. On craint fort que cet engouement ne retombe une fois les résultats proclamés. La preuve est que les entrepreneurs politiques n’en font pas assez cas dans leurs programmes. Certains n’en parlent même pas et se doutent qu’au Burkina il existe des programmes d’alphabétisation et qu’il n’existe cependant pas de politique claire de promotion des langues nationales. Alors qui dit langues dit culture, identité, personnalité. Qui sommes- nous ? C’est curieusement en Afrique que le développement et les stratégies de développement se conçoivent avec la langue des autres. La Chine qui est en passe de devenir la première puissance économique mondiale invente ses technologies, fait des progrès scientifiques dans sa langue. Presque tous les pays du continent asiatique en pleine croissance se développent dans leurs langues. Le développement se fait donc à partir de sa propre culture, qui en premier lieu est la langue nationale.
Par cet écrit, nous invitons tout simplement les nouvelles autorités à mettre au cœur du développement et de leur politique la promotion des langues nationales et leur préservation. Permettre d’approfondir la recherche sur nos langues, leur permettre d’occuper la même place que les langues étrangères dans les domaines de l’information et de la communication, dans l’éducation et la formation. Les laisser s’épanouir dans leur diversité et leur multiplicité. Ces langues souvent, reléguées au second plan sont celles qui peuvent être la clé de nos balbutiements. Elles ont en elles mêmes la réponse à des questions pointues politiques, sociales et économiques.
Evoquer aujourd’hui la colonisation pour expliquer la situation de nos langues n’est pas un argument valable. Relever le manque de volonté politique est peu probable. Avoir la crainte de la vérité de nos langues dans le débat social politique et économique de la vie de notre pays me semble être l’explication qui vaille. Parce que beaucoup perdront le pouvoir et le contrôle des affaires. Le risque est en effet très grand que le pouvoir échappe aux nouveaux analphabètes dans les langues nationales et se décentre dans les campagnes. On a parfois évoqué des questions ethnocentriques pour justifier la non prise en compte des langues nationales dans sa plénitude. Ces arguments me paraissent aussi trop légers, lorsque l’on sait comment les langues cohabitent dans un contexte multilingue. Elles se créent et se recréent et gardent de la vitalité entre elles sans toutefois s’affronter.
Après cette période transitoire de la vie politique et sociale du Burkina Faso, le changement tant voulu doit prendre les langues nationales comme véritables enjeux du développement et de la démocratisation de notre pays. Après cette campagne il est clair que la vie va continuer et que nos langues vont repartir dans nos campagnes et nos villages, là ou elles préserveront encore nos valeurs et notre identité. Quelques médias continueront à émettre en langues nationales, les journaux en langues nationales poursuivront difficilement à paraître, les campagnes d’alphabétisation continueront timidement. Alors que ce qu’on attend est un engagement fort à en faire un outil de développement et non sous utiliser les langues pour la conquête du pouvoir uniquement.

Evariste ZONGO
Journaliste,
Spécialiste en études de développement

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