Actualités :: « Avec les présents avant-projets de loi, même les justiciables peuvent saisir (...)

A l’occasion de sa session du 26 juin dernier, le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) a examiné et adopté deux avant-projets de loi. L’un relatif au statut du corps de la magistrature et l’autre portant organisation du CSM. Avec le secrétaire général du Syndicat autonome des magistrats burkinabé (SAMAB), Antoine Kaboré, nous avons voulu appréhender les contours de ces textes. Avec lui, nous avons également planché sur la suite attendue du processus d’effectivité de ces textes après leur adoption au CSM. Voici ce qu’il en dit…

Le 26 juin dernier, le Conseil supérieur de la magistrature tenait sa deuxième session de l’année 2015. Pouvez-vous nous préciser l’importance d’une telle session pour l’appareil judiciaire ?

Je dois dire que le Conseil supérieur de la magistrature est prévu par la Constitution du Burkina Faso et il a pour rôle d’assister le président du Faso, président du Conseil supérieur de la magistrature, dans son rôle de garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Dans ce sens, le Conseil supérieur de la magistrature tient des instances qui permettent de débattre d’un certain nombre de préoccupations liées à la Justice. Il s’agit de sessions de nomination de magistrats pour lesquelles le président du Faso est présent. Mais il y a d’autres sessions telles que le Conseil de discipline ou la commission d’avancement, où le président du Faso et le ministre de la justice ne sont pas présents.
La session que nous avons eue le vendredi 26 juin 2015, consistait à analyser les textes sur le statut de la magistrature et sur le Conseil supérieur de la magistrature pour reformuler ces textes de sorte à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire. Et comme il s’agit justement de l’indépendance du pouvoir judiciaire à travers ces textes, il était obligatoire que le Conseil supérieur de la magistrature puisse statuer.

Et quelle devra être l’incidence de ces textes sur le fonctionnement de la Justice ?

Je voudrais rappeler que ces textes ont fait l’objet d’un processus qui a commencé depuis 2010-2011. Et nous sommes arrivés en 2014 à fournir deux avant-projets de loi. Pour ce qui concerne le projet de loi sur le statut de la magistrature, l’ancien projet remontait à 2001, et il avait tenté de corriger une ordonnance de 1991 lorsque le pays passait du Front populaire à un régime je dirais démocratique avec la Constitution de la quatrième République. Il faut dire que c’est un texte qui avait des limites, parce que beaucoup de ses dispositions faisaient référence au statut de la fonction publique. Il fallait donc corriger ces aspects pour permettre au corps de la magistrature de pouvoir réglementer toutes les questions liées à la carrière du magistrat sans référence au statut de la fonction publique.
Le deuxième élément que je voudrais relever, c’est qu’il y avait dans ce texte, un certain nombre de dispositions qui étaient imprécises. C’est le cas en ce qui concerne le contrôle que le ministère exerçait sur les magistrats du parquet ; ce contrôle n’était pas défini de sorte qu’il y avait un impact négatif sur le bon fonctionnement du parquet.
Il y avait également des termes comme la nécessité de service qui amenait le ministre de la justice à vider de tout son sens le principe de l’inamovibilité en déplaçant les magistrats comme il le souhaitait et à tout moment.
Dans la présente relecture, on a tenté de corriger tous ces aspects pour permettre aux magistrats d’avoir une véritable indépendance et de pouvoir travailler efficacement dans leur carrière.
Pour ce qui concerne la loi sur le statut du conseil supérieur de la magistrature, vous savez qu’on a toujours critiqué le fait que ce Conseil dans son fonctionnement, était un outil à la disposition du pouvoir exécutif, en ce sens que le président du Faso et le ministre de la justice pouvaient influencer négativement la carrière des magistrats.
Avec les présents avant-projets de loi, la notation des magistrats qui était faite par le ministre de la justice, sera maintenant déléguée aux supérieurs hiérarchiques immédiats. Il y a aussi que le conseil de discipline, ce n’est plus le ministre de la justice seul qui peut l’enclencher ; les chefs de Cour, l’inspection générale des services, et même les justiciables peuvent saisir le Conseil de discipline pour voir sanctionner un magistrat pour un certain nombre de manquements.
Il y a aussi le fait que les magistrats de grade exceptionnel étaient limités à quatre échelons et qu’ils ne pouvaient plus avancer. Avec le nouveau texte, on est en passe d’instaurer huit échelons. En sus, on crée un secrétariat permanent qui a une certaine autonomie, mais qui est rattachée à la présidence du Faso. Et ce secrétariat s’occupera de la gestion de la carrière des magistrats.
Avec ces nouveaux textes, nous pensons que la carrière des magistrats sera mieux protégée. Nous souhaitons qu’ils soient adoptés le plus rapidement possible pour pouvoir permettre aux magistrats de fonctionner de façon optimum.

Avec l’entrée en jeu de la loi en perspective sur le statut des magistrats, les magistrats nouvellement formés ne seront plus nommés par décret pris en conseil des ministres, mais par un simple décret du président du Faso. Quelle sera l’incidence de cette nouvelle donne sur la carrière du magistrat ainsi nommé ?

L’avènement de cette nouvelle mesure est une logique. Vous savez que le conseil des ministres est une instance du pouvoir exécutif. Mais toutes les délibérations du Conseil supérieur de la magistrature présidé par le président du Faso, passaient devant le conseil des ministres pour être entérinées. En droit, cela veut dire que le conseil des ministres pouvait modifier les délibérations du conseil supérieur de la magistrature qui est pourtant l’instance suprême du pouvoir judiciaire.
Nous avons voulu rectifier le tir. Dans ce sens, nous avons pensé que le chef de l’Etat, en tant que président du Conseil supérieur de la magistrature, son décret seul suffit pour donner effet aux délibérations du conseil supérieur de la magistrature. Et ce n’est pas un élément nouveau.
Dans la Constitution, il y a des dispositions sur la base desquelles le chef de l’Etat signe des décrets en tant que première personnalité du Burkina Faso. Il en est ainsi avec la nomination de certains ambassadeurs, les nominations au niveau de la haute hiérarchie militaire, n’interviennent pas par décret pris en conseil des ministres, mais par décret simple du président du Faso. Et nous avons voulu montrer que les décrets qui seront pris par le président du Faso, le sont en sa qualité de président du Faso et président du conseil supérieur de la magistrature et non en tant que président du Faso et président du conseil des ministres. Ce sont des choses qu’il faut clarifier ; et cela participe de la séparation des pouvoirs que nous voulons au Burkina Faso.

Le Conseil supérieur de la magistrature sera désormais animé par quatre instances. N’est-ce pas trop ?

Non ; ce n’est pas trop. Le conseil de discipline c’est une instance qui existait, la commission plénière, c’est celle que nous avons tenue la dernière fois, le secrétariat permanent c’est un outil indispensable parce que la carrière des magistrats était gérée par la direction des ressources humaines du ministère de la justice, alors que cette direction gère aussi des agents publics qui ne relèvent pas du statut de la magistrature.
Et pour nous, la commission de nomination, c’est un instrument crucial qu’il faut déconnecter du pouvoir exécutif, parce que c’est à partir de là que se joue la carrière du magistrat.
Tous ces aspects étaient entre les mains du pouvoir exécutif, que nous disions que les magistrats n’étaient pas indépendants sur le plan statutaire. Et le fait d’avoir désormais ces instances, va participer davantage à un meilleur encadrement de la carrière du magistrat et à lui donner les moyens juridiques et matériels nécessaires pour qu’il puisse s’affirmer.
De plus, je dois ajouter que la loi prévoit qu’il doit y avoir plusieurs sessions du Conseil supérieur de la magistrature. Malheureusement dans la pratique, nous n’avons qu’une session par an, la session de nomination ; le Conseil n’avait pas le budget nécessaire pour pouvoir le faire. Son rattachement à la présidence du Faso, donc au président du conseil supérieur de la magistrature, devrait être un atout pour nous, parce que le budget du secrétariat permanent sera inscrit dans le budget de la présidence du Faso.

Ces deux textes ont-ils aussi des limites ?

Oui, ces textes ont des limites ; et ces limites tiennent à la Constitution qui voudrait que la présidence du Conseil supérieur de la magistrature soit assurée par le président du Faso. Alors que, pour pouvoir avoir un conseil supérieur indépendant, il faut le déconnecter du pouvoir exécutif.
Pour nous syndicats, le président du Faso et le ministre de la justice ne devraient pas siéger dans le conseil supérieur de la magistrature. Mais nous ne pouvons pas faire ce changement tant que la Constitution n’est pas modifiée.
Un autre élément qui nous semble important, c’est qu’il faut arriver à donner une autonomie financière au pouvoir judiciaire au Burkina Faso. Et donc le budget du pouvoir judiciaire doit être inscrit au budget de l’Etat comme celui du parlement. Malheureusement, nous n’avons pu obtenir ce décrochage parce qu’il faut qu’il soit préalablement affirmé dans la Constitution.
Il y a aussi le fait que pour nous, il faudrait que le secrétariat permanent du conseil supérieur de la magistrature puisse non seulement établir le budget des juridictions, mais aussi le défendre. En sus, il y a un certain nombre de préoccupations soulevées dans le Pacte pour le renouveau de la justice, en l’occurrence le rééquilibrage du pouvoir judiciaire avec le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif, ne ressortent pas dans ces avant-projets de loi. Et pour nous, ce sont des limites.
Nous attendons que la Constitution soit rapidement modifiée pour que nous puissions travailler à ce qu’au Burkina Faso, il y ait trois pouvoirs égaux, et non un premier pouvoir, un deuxième et classer le pouvoir judiciaire en tant que troisième pouvoir comme aiment à dire les journalistes. Il n’a jamais été question d’une classification dans la Constitution, et il faudrait que la nouvelle Constitution puisse nous aider à mieux l’affirmer. Parce qu’en réalité, si vous regardez bien dans un Etat de droit, ce n’est pas le pouvoir exécutif qui est le premier ; en réalité, c’est le pouvoir judiciaire qui est le premier pouvoir au regard des fonctions qu’il doit pouvoir exercer à l’égard non seulement des autres tenants de pouvoirs, mais aussi pour tous les citoyens parce que nous sommes les garants de l’existence de l’Etat démocratique. S’il n’y a pas de justice, tous les autres pouvoirs disparaissent, parce que ce sera l’anarchie dans l’Etat. C’est pour vous dire que dans un Etat démocratique, le pourvoir qui est le garant des libertés individuelles et collectives, c’est la justice ; et la justice devrait être le premier pouvoir.

Maintenant que ces avant-projets de loi ont reçu l’aval du conseil supérieur de la magistrature, quelle est la suite du processus de leur effectivité ?

Au niveau du pouvoir judiciaire, comme vous le savez, les magistrats ont accepté d’aller aux états généraux parce qu’il avait été dit que c’était cela la solution à nos problèmes. Maintenant, nous attendons que les engagements qui ont été pris à ces états généraux par le président du Faso, président du conseil supérieur de la magistrature, par le Premier ministre, chef du gouvernement, par le président du CNT, président du parlement, soient respectés. Que toutes ces personnalités qui ont signé le Pacte pour le renouveau de la justice, avec bien d’autres acteurs burkinabè, puissent s’assumer en donnant les moyens à la justice de fonctionner.
La justice a accepté de se faire critiquer, de se faire laver dans tous les sens, parce que pour nous, si cela est le passage obligé pour nous restaurer dans notre dignité à travers l’action des pouvoirs publics, nous n’en voyons pas l’inconvénient. Nous voulons aujourd’hui que tous ceux-là qui ont diagnostiqué les maux de la justice avec nous, puissent assumer leurs responsabilités en donnant les moyens à la justice de fonctionner.
C’est pourquoi, pour nous, l’étape la plus urgente qui suit, c’est de demander aux membres du gouvernement d’adopter ces avant-projets de loi le plus rapidement possible, dans un délai maximum de deux semaines, et qu’avant la fin du mois de juillet, le Conseil national de la Transition puisse adopter ces lois ; et que par la suite, le gouvernement puisse adopter les décrets d’application. Nous ne souhaitons pas que la situation que vivent aujourd’hui nos greffiers, puisse se répéter. On adopte une loi et trois ans après, il n’y a pas encore les textes d’application.
Pour nous, avant octobre 2015, les autorités de la Transition qui nous ont fait croire qu’elles veulent bâtir une justice forte et indépendante, doivent faire en sorte qu’avant la fin de la Transition, ces lois soient adoptées avec leurs textes d’application. C’est à cela que nous allons mesurer et apprécier la bonne foi des autorités de la Transition vis-à-vis du pouvoir judiciaire.
Nous ne doutons pas un seul instant de leur bonne foi ; mais encore une fois de plus, nous attendons de les voir réaffirmer cette bonne foi à travers l’adoption ces lois.
Nous voulons également profiter de l’occasion pour dire au peuple burkinabé qui est venu, dans toutes ses composantes aux états généraux, que le combat pour l’indépendance de la justice est leur combat. Ce n’est pas le combat des syndicats de magistrats seuls, mais leur combat aussi que de travailler à avoir une justice indépendante.

Interview réalisée par Fulbert Paré
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