Actualités :: Moriba Traoré : « Nous espérons que ces états généraux donneront un autre visage (...)

Moriba Traoré est le nouveau secrétaire général du Syndicat Burkinabè des Magistrats (SBM). Président du Tribunal de Grande Instance de Léo, le SG du SBM séjourne en ce moment à Ouagadougou dans le cadre des états généraux de la justice qui s’ouvrent ce mardi même dans la capitale. Il aborde dans cet entretien ses attentes vis-à-vis de ces assises, ses ambitions à la tête du SBM et bien d’autres questions du monde judiciaire dont celle de la grève des greffiers.

Lefaso.net : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Moriba Traoré : Je suis Traoré Moriba, magistrat, président du Tribunal de Grande Instance de Léo depuis octobre 2012. Cependant, avant d’être appelé à ces responsabilités, j’ai servi comme juge au siège au Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou de 2005 à 2012. Dans le cadre syndical, j’ai d’abord occupé au niveau du Syndicat Burkinabè des Magistrats le poste de Secrétaire adjoint à l’Organisation de 2010 à 2012, avant de devenir par la volonté des militants, le nouveau Secrétaire Général depuis le 28 février 2015.

Les états généraux de la justice s’ouvrent ce mardi. En tant que responsable de syndicat, comment appréciez-vous cette démarche du Gouvernement de Transition ?

Je voudrais, avant de répondre à cette question, rendre hommage à l’ensemble des membres du Conseil syndical précédent qui était dirigé par le Camarade Gnanou Karfa qui n’est plus à présenter. Ils ont été parfois amenés à travailler dans des circonstances difficiles et dans un climat d’incompréhension, voire d’hostilité, mais la foi commune que nous avons au niveau du syndicat en certains idéaux leur a permis de tenir.
Ceci étant et revenant à votre question, les états généraux ambitionnent, suivant les documents reçus de la chancellerie, de restaurer l’indépendance de la justice, de réhabiliter la confiance entre les citoyens et la justice, d’assurer le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire, et que sais-je encore. On peut polémiquer sur d’autres aspects, mais vu sous l’angle des objectifs qui sont hautement nobles, la démarche ne peut qu’être approuvée.
D’aucuns pensent que les problèmes de la justice sont bien connus et considèrent ces assises comme une perte de temps. Apparemment, ce n’est pas votre avis …
Il existe effectivement une pléthore de rapports qui ont diagnostiqué à merveille les problèmes de la justice et proposé des solutions. On peut alors se permettre beaucoup de réserves quant à la possibilité de mettre en exergue, à l’occasion de ces états généraux, des problèmes qui n’auraient jamais été identifiés. Donc, si on se limite à ce seul aspect, par un effet de logique, on conclura que les états généraux constituent une perte de temps. Mais je vois le problème autrement : dans la mesure où les états généraux offriront l’occasion de se parler, et peut-être de se comprendre désormais, c’est un motif suffisant pour y aller.

Vous êtes là justement dans le cadre de la tenue de ces états généraux. Quel sera votre rôle ?

Mon rôle est d’écouter ce que les uns et les autres peuvent avoir à dire sur leur justice et d’être le porte-parole de ces nombreux magistrats qui auraient voulu également être là, mais qui sont obligés de suivre de loin en raison de la nécessaire limitation du nombre de participants.
Quelles sont vos attentes en tant que responsable de syndicat de magistrats ?
Notre souhait est que les états généraux puissent atteindre pleinement les objectifs pour lesquels ils ont été envisagés et qui coïncident, en tout cas pour bien d’entre eux, avec les objectifs poursuivis par notre syndicat. Mais il ne peut en être ainsi que si on s’interdit les approches sensationnelles ou populistes à l’occasion des échanges. Or, sur ce point, la leçon suivant laquelle l’œuvre de justice s’accommode mal du sensationnel ou du populisme semble devoir être enseignée d’abord aux plus hautes autorités de la transition.

Pensez-vous que ces états généraux pourront trouver des solutions à tous vos problèmes ?

Il ne peut être raisonnablement attendu des états généraux qu’ils apportent des solutions à tous les problèmes de la justice. Non, cela n’est pas possible. Cependant, comme il est prévu qu’ils débouchent sur un pacte de responsabilité, on va espérer que la qualité de ce pacte, et surtout sa mise en œuvre, contribuent à donner à la justice un autre visage et qui relèvera les magistrats du malaise qui les étouffe aujourd’hui.

Quelles sont vos préoccupations prioritaires qui méritent vraiment de trouver solution à ces assises ?

En termes de préoccupations prioritaires, nous souhaitons :
Premièrement : qu’à l’occasion des états généraux, il soit affirmé ou rappelé que le pouvoir judiciaire n’est pas un sous-pouvoir par rapport aux autres pouvoirs. Il y a une malheureuse perception qui s’est installée et qui fait du pouvoir judiciaire le troisième pouvoir. Or, une telle perception qui n’a pas de fondement dans la Constitution a abouti dans les faits à des conséquences inouïes ;
Deuxièmement : qu’il soit reconnu la nécessité de relire les textes pendant la période de la transition pour renforcer l’indépendance du pouvoir judiciaire, renforcer la déontologie et améliorer conséquemment les conditions de vie et de travail de ses acteurs.

Vous venez d’être porté à la tête de votre syndicat, quelles sont vos ambitions à court et moyen terme ?

Je suis élu pour un mandat de trois ans. De ce fait, mes ambitions ne peuvent être qu’à court et moyen terme. Ceci étant, lesdites ambitions sont à mettre en rapport avec les objectifs du syndicat tels qu’ils figurent dans les statuts, et je voudrais relever à ce sujet que le syndicat poursuit les objectifs suivants :
-  La défense des intérêts moraux, matériels et professionnels des magistrats ;
-  La recherche de l’indépendance de la magistrature ;
-  Le progrès du droit et des institutions judiciaires ;
-  La recherche de l’unité des magistrats du Burkina Faso.
Pour ce qui concerne les deux premiers aspects, à savoir la défense des intérêts moraux et matériels des magistrats, la recherche de l’indépendance de la magistrature, je nourris l’espoir que de nouveaux textes soient adoptés avant la période des vacances judiciaires, avec leurs décrets d’application. Si la transition est cohérente avec elle-même, elle qui a déclaré faire de la réhabilitation de la justice une priorité, cela ne devrait pas poser de problème. Mais comme tout ne semble pas être accessible à la raison au cours de cette transition, au cas où il en serait autrement, on se donnera les moyens, de préférence dans le cadre de l’intersyndical des magistrats, pour faire traduire cette déclaration de priorité dans les faits ;
S’agissant de l’unité des magistrats, je crois en leur force s’ils sont unis. Mais hélas, le constat s’impose que le temps a créé tellement de fissures dans le corps que je ne suis pas sûr de pouvoir aboutir à une unité syndicale en trois ans. Il me reste donc à envisager des formules beaucoup plus réalistes pour amoindrir les effets de ces fissures sur le corps. Et sur ce point, il y a deux idées qui me tiennent à cœur :
-  Premièrement : la reprise de l’unité d’action des trois syndicats de magistrats sur les questions majeures. A ce sujet, je voudrais dire publiquement que je tends la main aux responsables des autres syndicats de magistrats pour qu’on puisse d’une manière sincère et sans calcul, fédérer nos énergies pour la défense des intérêts du corps ;
-  Deuxièmement : la tenue le lendemain de chaque rentrée judiciaire d’une Assemblée Générale de tous les magistrats, syndiqués ou non, à l’initiative des trois syndicats de magistrats pour prendre des engagements dans le sens du bon fonctionnement du service public de la justice ou faire des recommandations aux autorités politiques pour la même fin et vérifier le seuil d’attention accordé à ces recommandations à la prochaine assemblée.
Je pense qu’à travers de tels mécanismes, l’apaisement pourra revenir progressivement dans le corps.
Enfin, pour ce qui est du progrès et des institutions judiciaires, je pense à des universités judiciaires incluant chaque année des magistrats, des avocats, des huissiers, des professeurs d’université, etc., pour échanger de façon objective et courtoise sur des thématiques préalablement arrêtées par un comité mixte.

On parle souvent aussi de corruption dans la magistrature. Est-ce une réalité ou une intoxication ?

Je ne saurai dire que c’est une intoxication étant donné que plusieurs rapports ont attesté de l’existence du phénomène au sein de la magistrature. Mieux, la lutte contre la corruption dans la magistrature a toujours fait partie des préoccupations du SBM depuis sa création. De ce point de vue, nous ne dérogerons pas à la règle.

Personnellement, avez-vous été confronté dans l’exercice de vos fonctions à des tentatives de corruption ?

Personnellement, je n’ai pas connu des cas de tentatives de corruption.

Vous avez été élu dans un contexte de transition. Est-ce une chance ou un handicap pour vos actions ?

Si j’avais eu le choix, j’aurais voulu arriver plus tôt. Il y a eu tellement d’inconséquences sous l’ancien régime envers le pouvoir judiciaire qu’à un moment donné, ne supportant plus la situation, j’avais proposé qu’on engage une lutte radicale pour sortir du statut de petits gamins que le pouvoir semblait nous avoir attribué à travers sa façon d’agir. Mais je n’ai pas été compris à l’époque et l’idée qui avait été retenue était que si on engageait une telle lutte, au regard du débat qui avait cours sur le référendum, on allait nous reprocher de faire de la politique. Malheureusement, cette situation se retourne aujourd’hui contre nous parce que dès qu’on veut parler, on nous considère comme des opportunistes qui veulent profiter d’une révolution à laquelle ils n’ont pas participé.
Ceci étant, au tout début de la transition, l’attachement à un minimum de décence interdisait toute action syndicale et constituait donc une sorte de handicap. Mais après cinq mois sur les douze que doit durer la transition, on ne peut plus se laisser retenir par la même pudeur du début si une action s’impose à nous. Nous attendons donc de voir l’attitude qui sera celle des autorités après les états généraux, et c’est en fonction de cela qu’on pourra s’imposer une certaine conduite.

Que pensez-vous des revendications des greffiers qui souhaitent plus d’égalité dans le traitement salarial au niveau des agents de la justice ?

Les greffiers sont nos collaborateurs immédiats et vous avez pu vous rendre compte à travers les différents mouvements qu’ils ont menés que lorsqu’ils ne travaillent pas, il y a une certaine paralysie dans les palais. Il en est de même des agents de la garde de sécurité pénitentiaire. Au regard donc de cette complémentarité absolument nécessaire, une approche objective commande d’admettre que même si les magistrats sont dans les conditions et qu’eux, c’est-à-dire les greffiers et les gardes de sécurité pénitentiaires, se spécifient par une certaine misère, vous ne pourrez pas avoir la justice telle que vous la souhaitez. Vu sous cet angle, nous sommes préoccupés par l’amélioration de leurs conditions et on espère sur ce point que les autorités de la transition prendront enfin les décrets d’application des lois qui ont été votées pour leurs statuts respectifs.

Là où je me sens obligé souvent de recadrer, c’est lorsque certains d’eux fondent le besoin d’amélioration de leurs conditions sur une comparaison inadéquate avec les magistrats parce que sur ce point, je le dis et je le maintiens que le magistrat est au pouvoir judiciaire, ce que sont le député au pouvoir législatif, et le ministre au pouvoir exécutif. Et à ce que je sache, personne ne semble oser la comparaison avec les tenants des autres pouvoirs. Mais c’est peut-être dû au fait qu’on a tellement ridiculisé le magistrat sous nos cieux et lui-même s’est tellement abaissé qu’on n’arrive plus à croire qu’il est lui aussi le dépositaire d’un pouvoir au même titre que les dépositaires des autres pouvoirs.

Entretien réalisé par Grégoire B. Bazié
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