Actualités :: Manifs au Burkina : Une conscience citoyenne dévoyée

Comme s’il s’agissait d’otages fraîchement libérés ou s’ils avaient à leur actif un haut fait d’arme, les 11 taximen interpellés puis déférés illico presto à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) le vendredi 8 juin 2012 ont été triomphalement accueillis par leurs camarades lundi en début de soirée à leur sortie de prison. Célébrés tels des héros.

On peut comprendre la joie somme toute légitime des détenus de humer de nouveau l’air de la liberté et la fierté de leurs collègues d’avoir enregistré ce qu’ils considèrent être une « victoire sur l’arbitraire ». On peut aussi saluer la décision du parquet qui n’était pas, il est vrai, obligé de garder les frondeurs du vendredi dans les liens de la détention, laquelle est l’exception, la liberté étant la règle. Pour sûr, cette mesure d’élargissement participe sans doute de l’apaisement voulu par les responsables burkinabè.

Le blocus du commissariat de police de Bogodogo, qui a valu aux croquants d’être arrêtés, fait suite, rappelons-le, à l’incarcération d’un des leurs après une altercation sur la voie publique avec un usager de la circulation. Il faut dire que ces mouvements « spontanés » contre l’autorité établie semble devenus le sport favori des Burkinabè qui, pour un oui ou pour un non, ruent désormais dans les brancards. Quand ce ne sont pas les taximen qui entravent la circulation, ce sont les revendeurs de carburant frelaté qui menacent de s’en prendre aux fond rouge (acquis en partie grâce à leurs impôts s’ils en paient) par suite de saisies opérées dans leur milieu, ou les parents d’une victime de meurtre qui érigent des barricades sur certaines artères de la ville.

Ces mouvements d’humeur contre ce qui est souvent considéré comme de l’abus de pouvoir est fort compréhensible et participe, à n’en pas douter, de la formation d’une conscience citoyenne qui amène les puissants à faire plus attention, eux qui ont tendance à penser qu’ils ont droit de vie et mort sur les autres. De ce point de vue, elle est loin, très loin, l’époque où on te faisait et il n’y avait rien. « De nos jours, si même ton pigeon sort le matin et ne rentre pas le soir, Blaise peut avoir des problèmes », aurait un jour lancé un simple mortel à une autorité qui voulait le brimer.

C’est dire ! Cette agitation récurrente constitue également, dans une certaine mesure, une forme de catharsis pour éviter le trop-plein, qui finit par exploser à force d’être contenu, et mieux vaut un peuple de braillards que des moutons faciles à tondre. « Si dans l’intérieur d’un Etat, vous n’entendez le bruit d’aucun conflit, vous pouvez être sûr que la liberté n’y est pas », disait fort justement Montesquieu dans Considérations sur les causes de la grandeur des Romains.

Mais pour compréhensibles, et même souhaitables qu’elles soient, ces frondes itératives ne constituent pas moins un vrai problème de nos jours, car, si certaines causes sont défendables, même les arguments les plus frêles et les plus contestables sont aujourd’hui érigés au rang de dogmes. Il est vrai que les mutineries de 2011 sont passées par là et, avec elles, la boîte de Pandore, qui a libéré tous les maux du Faso. Tout se passe en effet comme si cet esprit citoyen qu’on appelait de tous nos vœux avait été dévoyé par des administrés pour qui tout est permis, des anarchistes qui ne veulent « ni Dieu ni maître ». Qu’y a-t-il par exemple de mal à refuser un règlement amiable comme si on était obligé d’être ami avec tout le monde, surtout quand on sait comment se terminent bien souvent ces arrangements et que les taximen ne sont pas réputés être les plus “réglos” ?

Mais que voulez-vous quand on distille savamment une acception idéologique des droits de l’homme, dont on a une lecture de classe en vertu de laquelle les plus faibles ne peuvent être que des anges qui ont tous les droits et aucun devoir pendant que les autres, les démons, que des obligations.
L’illustration la plus courante et la plus éloquente de cette raison du plus faible se voit chaque jour sur nos routes.
Les (moto)cyclistes peuvent se permettre tout et n’importe quoi ; faire les 24 heures du Mans en plein Ouaga ; slalomer entre les voitures et leur faire des queues de poisson ; abandonner la piste cyclable, etc. Et si, au bout de telles acrobaties, ils terminent leur course sous les pneus d’un bolide, c’est l’automobiliste qui a d’office tort. Encore heureux est-il si on ne le lynche pas ou si on ne brûle pas son véhicule.

En vérité, tout cela est symptomatique de l’effritement de l’autorité de la puissance publique. Ce doit être ça qu’on appelle doctement délitement de l’Etat, qui veut caresser tout le monde dans le sens du poil, surtout ne pas faire de vague, or il faut parfois courir le risque d’être impopulaire. Un ancien Premier ministre canadien, qui savait sans doute de quoi il parlait, faisait remarquer qu’un gouvernement a le choix entre deux choses : être populaire ou être efficace. Certes l’abus qu’on peut faire d’une chose ne doit pas être un prétexte pour en interdire l’usage modéré, mais il est impérieux, sans faire dans la démesure, de reprendre la main puisqu’au rythme où vont les choses, on court tous à notre perte.

Si on peut impunément attaquer un commissariat ou une gendarmerie ; si on peut incendier une mairie ou un gouvernorat sans être inquiétés, le jour viendra forcément où on aura besoin de ces mal-aimés pour la quiétude de notre vie quotidienne, car, après tout, ceux que servent le plus ces flics et cette maréchaussée, c’est moins Blaise et les siens, qui sont déjà suffisamment protégés, que le bon petit peuple. Et pour une « mauvaise » décision policière, “gendarmière” ou judiciaire de prise, il y a peut-être quatre vingt dix-neuf services inestimables qui sont rendus chaque jour.

Certains pourraient être tentés de se réjouir, pour des raisons politiques, de ces poussées de fièvre régulières, qui peuvent être perçues comme autant de manifestations du ras-le-bol envers un système et ses méthodes, mais ce serait avoir une courte vue. Car l’après-Blaise, c’est déjà demain, et si on inocule le venin de l’incivisme dans les veines de nos compatriotes, on prépare à coup sûr les révoltes de demain, que celui qui va emménager en 2015 à Kosyam s’appelle Roch, Bénéwendé, Zéphirin ou Hermann.
Cela dit, peut-on raisonnablement enseigner aux civils le minimum civique quand ceux-là même qui sont chargés de faire respecter l’ordre, de protéger les populations et leurs biens sont les premiers à se rendre coupables d’actes pendables comme ceux auxquels on a eu droit en début 2011 ?

Ousséni Ilboudo

L’Observateur Paalga

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