Actualités :: Piraterie : Ces vampires qui sucent le sang des artistes

Dans nos villes et villages, la piraterie prend de plus en plus de l’ampleur ; et le laxisme semble encourager ceux qui s’adonnent à cette basse besogne. Les producteurs de films sont ainsi devenus de véritables vaches à lait dont les pirates s’abreuvent goulûment. Aujourd’hui au Burkina, il y a des vendeurs ambulants qui ne vivent que de cette pratique. Chaque jour que Dieu fait, ils sillonnent les débits de boisson et les endroits à forte affluence pour écouler leurs produits. Au vu et au su de tous, parfois même des créateurs à qui ils ont l’outrecuidance de proposer leurs produits illicites. A quelques jours de la biennale du cinéma africain (du 27 février au 5 mars 2011), halte sur cette hydre dont les têtes repoussent à chaque fois qu’on les coupe.

Ouagadougou, la capitale du 7e art africain, est en passe de devenir la métropole des films contrefaits. Dans cette ville burkinabè, les films en format CD (Compact Disc) piratés se vendent comme de petits pains sous le regard impuissant des vrais auteurs de ces œuvres.

En dépit des efforts des autorités pour l’éradiquer, le piratage fait toujours la sourde oreille au concerto de sensibilisation sur la contrefaçon, ce qui montre bien que le phénomène a pris de l’ampleur et même qu’il génère de l’emploi pour certains jeunes désœuvrés.

Du vendeur ambulant au sédentaire en passant par le gérant de vidéoclub, pour ne prendre que ceux qui sont au bas de l’échelle, tous vivent de plus en plus du fruit de la piraterie. Une randonnée à l’intérieur et aux alentours de Rood-Woko, le plus grand marché de Ouagadougou, nous a permis de prendre le pouls de la situation. J.T., un jeune vendeur ambulant qui a requis l’anonymat pour des raisons évidentes : « Les affaires sont florissantes.

Je vends au moins 15 CD par jour. Les gens préfèrent nos produits qui sont moins chers que les originaux ». Il achète les films à 500 F l’unité pour les revendre à 600 F CFA minimum. Le public serait-il donc le vrai bourreau des cinéastes ? C’est ce que semble soutenir notre interlocuteur : ”C’est vrai que nous disposons de CD originaux, mais la plupart des clients refusent de les acheter à 3 500 F CFA. Donc nous sommes obligés de leur fourguer ce qui fait notre affaire pour avoir de quoi nous mettre sous la dent”.

Parlant des pratiques qui contribuent à l’amplification de la piraterie, les propriétaires des vidéos clubs dans les quartiers se défendent bec et ongle lorsque l’on pointe vers eux un doigt accusateur. Un des leurs qui a requis l’anonymat a tenté de donner des justifications face à l’utilisation des CD piratés. Le problème des films, selon lui, c’est le coût des cassettes.

Si tu paie, soutient-il, un film, à 3 000 F CFA pour une entrée de 50 personnes maximum à raison de 50 F CFA l’entrée, le tout fait 2 500 F CFA. Vous voyez que c’est une perte. Sans compter les factures d’électricité, de location de la place et de certaines taxes. Par ailleurs, ce qu’il faut savoir c’est que « nous payons aussi des taxes à 38 500 F CFA chaque année au BBDA. Donc vous voyez que nous n’avons pas d’autre choix que d’utiliser les CD piratés si on veut rentabiliser.

Avant, un DVD (digital versatil disk) original était cher, pas moins de 75 000 F CFA, et ça ne pouvait pas lire les cassettes piratées. Mais maintenant avec les DVD « chinoiseries » moins chers (10 000 F CFA) qui lisent tout, (qu’elle soit originale ou piratée) on ne peut pas s’en passer », se défend ce gérant.

En plein tournage de la deuxième saison de la série télé Ina, la productrice-réalisatrice Valérie Kaboré, que nous avons rencontrée sur son plateau à Ouaga 2000, confie qu’un “cinéaste aurait tenté d’utiliser le réseau des pirates pour revendre ses œuvres, mais il a trouvé que c’était cher.

Le contrefacteur a estimé qu’en achetant au prix réel, il ne pourra pas obtenir de bénéfice et partager avec toute la chaîne de protection dont il bénéficie”. D’aucuns accusent même parfois l’entourage des réalisateurs d’être souvent à la solde des bandes de la contrefaçon. Mais pour son cas, Valérie croit savoir que les pirates l’auraient volée plutôt à travers le signal de TV5.

« Mêmes ceux qui sont censés lutter contre le phénomène achètent les produits piratés »

A écouter certains, même ceux qui doivent faire appliquer la loi succombent souvent au péché de la contrefaçon « Vous, vous pensez que quoi ? », lance familièrement le jeune Harouna, le regard malicieux, comme pour dire quoi que l’on fasse il n’y a pas de remède contre ce mal. Le sujet de la piraterie divise d’ailleurs les citoyens. « Moi, je défie quiconque, jure Albert Doulkoum, de m’avoir vu acheter un film piraté burkinabè. Mais on ne peut pas m’empêcher de payer les CD contrefaits d’ailleurs ». A l’en croire, il n’y a pas d’autre choix lorsque l’on veut être au diapason de l’actualité cinématographique.

A défaut, il faudrait attendre des mois, voire des années, avant que les salles ne projettent ces films étrangers. « J’ai par exemple actuellement avec moi des CD piratés des trois saisons de Twilight, alors qu’aucune version n’est encore projetée en salle au Burkina. Expendables est également le titre d’un autre film américain que j’ai découvert sur le net et j’ai déjà son CD grâce à la contrefaçon », confesse cet accro de films américains.

Le développement des technologies de la communication aidant, la piraterie a étendu ses tentacules dans presque tous les domaines de l’art et est devenue incontrôlable. Selon le directeur des affaires juridiques du BBDA, la contrefaçon des œuvres engendre des pertes énormes pour l’économie nationale. Les chiffres du plan triennal révèlent des pertes estimées à environ 4 700 000 000 F CFA pour l’industrie culturelle burkinabè entre 2004 et 2006.

Toujours selon la même source, les dommages en termes de droit d’auteurs pour la même période étaient estimés à plus de 500 millions. Comment vaincre ce mal qui ne cesse d’infester les œuvres artistiques ? Ousmane Kaboré, un mordu de films africains, estime que les vrais pirates ne sont pas les petits revendeurs ; il faut s’attaquer à la racine du mal, c’est-à-dire « arrêter les grands qui sont tapis dans l’ombre ».

Issa Bebané (stagiaire)


Des citoyens donnent leurs points de vue

Adama Sorgho, membre de la Fédération burkinabè des cinéclubs : La piraterie est le ver qui attaque sérieusement le cinéma. Cela est beaucoup favorisé par le développement de la technologie. Et on ne pourra venir à bout du problème sans une réelle volonté politique. C’est inquiétant parce que ça se vend au vu et au su de tout le monde. Je pense qu’il va falloir interdire la vente de ces CD. Lorsqu’on vous dit qu’on investit près d’un million par jour pour les moyens matériels et la mobilisation de l’équipe de tournage, vous n’allez peut-être pas croire. Si tu dois tourner comme ça pendant dix mois et qu’à la fin ça se retrouve dans les mains de pirates, vous imaginez ce que ça fait.

Je pense de mon côté qu’il faudrait que les cinéastes fassent un effort pour rendre le cinéma accessible au public. Parce qu’aujourd’hui on sait que les salles ne marchent plus, c’est devenu des vidéoclubs, c’est devenu aussi du cinéma à domicile. Alors comment adapter le cinéma à ce contexte ? Je crois que c’est à ça qu’il va falloir penser pour que la piraterie ne soit pas encouragée de la sorte. Pour l’instant, il n’y a que le BBDA qui fait ce qu’il peut pour faire de la sensibilisation et mener des actions de communication, mais ce n’est pas suffisant ! Il y a longtemps que nous communiquons ; il faut sanctionner maintenant si nous tenons à notre cinéma.

Nafissatou Boro, étudiante en communication : Lorsque moi je suis un film une seule fois, je n’ai plus envie de le revoir ; donc je trouve que ça ne sert à rien de payer un CD cher pour suivre un film une fois. Avec le CD piraté, tu peux le suivre à la maison quand et comment tu veux.

Eugène Barry, informaticien : Je suis contre la piraterie, car c’est le mal qui détruira nos artistes si ce n’est déjà fait. Si aujourd’hui les salles de ciné se ferment de plus en plus, c’est dû au phénomène de la piraterie. Le film Blue diamond, on se rappelle, a fait salle comble ici à Ouaga ; cela a permis à l’Etat d’engranger des dividendes. Les salles ne se remplissent plus parce qu’avant que l’original ne soit projeté, les gens ont déjà regardé le film sur des CD piratés. C’est dommage pour l’avenir du cinéma.

Oumar Sebgo, acteur de théâtre : Moi, je pense que nous sommes tous complices dans cette histoire de piraterie. Si les artistes n’arrivent plus à vivre du fruit de leur œuvre, c’est parce que nous refusons d’acheter les cassettes originales. Prenez l’exemple de la musique. Aujourd’hui à peine un artiste fait-il sortir son album que les sons sont déjà dans les téléphones portables. Les gens n’ont plus le réflexe d’acheter les CD originaux. Si l’on continue à cette allure, la création va mourir.

Propos recueillis par I. B.

L’Observateur Paalga

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