Actualités :: Tunisie : Le chef s’est enfui ; mais son régime politico-affairiste n’est pas (...)
Capture d’écran de l’allocution de Zine El-Abidine Ben Ali à la télévision le 13 janvier 2011 (© AFP Fethi Belaid)

Il y en a un paquet qui vont avoir du souci à se faire. Leurs fins de mois vont être difficiles. Ce sont ceux qui ont choisi non seulement de fermer les yeux sur la réalité du régime instauré par Zine el-Abidine Ben Ali, mais ont largement profité des prébendes « médiatiques » pour chanter, à longueur de colonnes, les louanges « d’un chef d’Etat qui a su prendre les décisions qu’il fallait pour le bien-être des Tunisiens dans le respect de leur opinion » (Afrique Asie - novembre 2007).

Ils pouvaient bien nous expliquer « pourquoi ça marche » (Afrique Asie - octobre 2009), on pouvait bien ne pas regretter ce qu’était devenue la Tunisie de Habib Bourguiba à qui il « arrivait d’oublier les décisions prises la veille, de s’étonner lui-même des nominations dont il avait pris l’initiative » (Ben Ali - Washington Post du 1er février 1988), on pouvait bien penser qu’il valait mieux, parfois, être Tunisien qu’Algérien, on pouvait bien nous vanter « les acquis démocratiques de sa société et surtout la nature des ennemis qui guettent son éventuelle faiblesse » (Alexandre Adler dans Le Figaro du 31 octobre 2009), il n’empêche que personne ne pouvait être dupe : le pire, depuis trop longtemps, l’emportait sur le meilleur ; et le miracle tunisien n’était qu’un mirage pour des millions de laissés-pour-compte.

Le 17 décembre 2010, à Sidi Bouzid, Mohamed Bouazizi, jeune marchand des rues de 26 ans, un bachelier sans emploi orphelin de père, dont l’oncle, chez qui il travaillait, avait vu sa terre confisquée, et qui venait d’être, une fois encore, dépouillé par la police municipale, injurié, humilié, s’est immolé par le feu après que sa plainte n’ait pas été reçue. « Mort pour tous ceux qui en ont marre de vivre de petits boulots de misère ! » ont dit ses sœurs.
Il faut oublier les plages, la « magie du désert tunisien », la beauté des femmes, les hôtels de luxe avec leurs piscines et leurs SPA, la drôle de tête des dromadaires sur les photos de vacances pas chères mais tellement « exotiques »….

La Tunisie, c’est la misère dans les quartiers, le chômage pour les diplômés, les journalistes traqués, les démocrates et les syndicalistes emprisonnés, l’exode en Europe… C’est aussi, désormais, le sang dans le rues et le décompte des morts. Le mouvement parti de Sidi Bouzid a fait tâche d’huile malgré la censure, malgré les pressions, malgré la répression. Partout, dans tout le pays, manifestations et rassemblements se sont multipliés, les jeunes aux côtés des parents, les avocats aux côtés des chômeurs. La Tunisie a été en insurrection pour faire sauter la chape de plomb que Ben Ali et son clan avaient posé sur le pays. Le couvercle a sauté et Ben Ali avec. Contre toute attente. « Les Tunisiens sont-ils sortis de leur apathie et de leur résignation, ou n’est-ce là qu’un feu de paille » s’interrogeait Abdelaziz Barrouhi dans Jeune Afrique, voici une semaine (9 janvier 2011) comme si les Tunisiens étaient responsables de l’obsession sécuritaire et des dérives mafieuses d’un régime qui veut tout contrôler et ne rien concéder, comme s’ils étaient fautifs de n’avoir pas exigé « haut et fort […] de participer activement aux choix opérés par les dirigeants.

Prendre part au débat national, contester, revendiquer, s’exprimer, exiger des comptes, bref, s’approprier la politique » (Marwane Ben Ahmed - Jeune Afrique du 4 novembre 2007).

Il y a un syndrome Ben Ali que les mots de Jeune Afrique traduisent bien. Parce que les éditeurs du groupe sont d’origine tunisienne. Chacun y est conscient que ce régime était « autoritaire », pour ne pas dire « dictatorial » ; mais personne n’a jamais osé l’écrire tant il est vrai que l’image de la Tunisie de Ben Ali était celle d’un pays arabe qui avait endigué l’islamisme radical, promu la femme, formé massivement les jeunes, ouvert son territoire au tourisme et dont l’ancrage « occidental » était incontestable. La « lisibilité » du régime instauré par Ben Ali était rassurante pour « l’occident ». Rien à voir avec les élucubrations anti-impérialistes et les circonvolutions diplomatiques de Mouammar Kadhafi, la rigidité nationaliste d’Abdelazziz Bouteflika ou la dolente luxuriance souverainiste du roi Mohammed VI.

Pour « l’occident », Ben Ali était un arabe « fréquentable » ; et on véhiculait à son sujet des idées fausses dont l’opposant Moncef Marzouki (emprisonné en 1994 pour avoir osé annoncé qu’il voulait être candidat à la présidentielle, il a été libéré à la suite d’une intervention de Nelson Mandela) a fait récemment l’inventaire dans Le Monde (daté du 12 janvier 2001) : « Le régime tunisien n’est certes pas une démocratie, mais ce n’est pas une dictature, tout juste un régime autoritaire » ; « Le pays doit à Ben Ali un miracle économique » ; « Ben Ali a éradiqué le danger islamiste » ; « Il n’y a pas d’opposition crédible. L’opposition tunisienne est faible, divisée et impuissante » ; « Quelle alternative à Ben Ali ? ».

Il n’a jamais été facile de critiquer le régime Ben Ali. Celui qui s’y risquait se voyait rétorquer qu’il devait préférer les pratiques militaro-affairistes de l’Algérie, l’obscurantisme du Maroc profond, les règlements de compte religieux de l’Egypte ou les tueries ethniques de l’Afrique noire, le fondamentalisme islamique du Soudan… La Tunisie était « moderne » - autrement dit « occidentale » - grâce à Ben Ali. Et les Tunisiens, même s’ils n’en n’avaient pas conscience, étaient des gens heureux. Le discours était tellement rodé en France que pour évoquer le déclenchement de la crise, Libération (mardi 21 décembre 2010) titrait : « La Tunisie ose s’insurger ». Personne n’aurait parié un dinar sur la chute du leader tunisien. « Les oppositions sont quasiment inexistantes en Tunisie. Les syndicats sont sous le contrôle du pouvoir, les islamistes en prison et les opposant souvent en exil […] Le régime de Ben Ali ne me semble pas menacé », commentait, dans Le Parisien (7 janvier 2011), Pierre Vermeren, maître de conférence en histoire du Maghreb contemporain. Il n’était pas le seul à le penser.

Il aura fallu, pourtant, moins d’un mois pour, qu’entre l’immolation de Mohamed Bouazizi et la fuite en Arabie saoudite de Ben Ali, la Tunisie tourne une page de son histoire. Moins d’un mois alors que pas un mot de « l’occident » n’est venu critiquer la répression menée par l’homme fort de Tunis. « Le président Ben Ali est quelqu’un qui est souvent mal jugé […] Il a fait beaucoup de choses [pour son pays] » a déclaré, alors que les morts s’ajoutaient aux morts, Bruno Le Maire, ministre de l’Agriculture de Nicolas Sarkozy, diplomate de carrière, ex-directeur de cabinet de Dominique de Villepin à Matignon, tandis que Michèle Alliot-Marie, ministre d’Etat, ministre des Affaires étrangères et européennes, proposait à Ben Ali le savoir-faire français en matière de maintien de l’ordre. C’est dire que « l’occident » est mort de trouille. « Ben Ali est le premier dirigeant arabe contemporain contraint à abandonner le pouvoir sous la pression de la rue.

Au-delà du monde arabe, le souvenir de la chute du shah d’Iran, en 1979, qui devait ouvrir la voie à la révolution islamiste de l’ayatollah Khomeyni, s’impose à tous », écrivait ce matin dans Le Figaro (samedi 15 janvier 2011), l’éditorialiste Pierre Rousselin. Sans dire que ce sont les dictatures qui ouvrent les portes aux « radicaux ». Il ne faut pas se leurrer d’ailleurs. Ben Ali a été victime d’une révolution de palais bien plus que de manifestations de rue. Les mafieux du régime ont perçu que son omniprésence nuisait à leurs connexions affairo-politiques. Ils l’ont vire ; eux sont encore là. Prêts à d’autres alliances. C’est, dirait Coluche, « l’histoire d’un mec… » ; et cette histoire là pourrait bien arriver à d’autres « mecs » en Afrique. Même les dictatures ont leurs limites ; celles où les « affaires » sont difficiles à mener à bien !

Jean-Pierre Béjot
La Dépêche Diplomatique

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