Actualités :: Pr. BASILE GUISSOU : "Le temps de l’Afrique", enfin une vraie réflexion (...)
Le Pr Basile Laetare GUISSOU

Le Pr Basile Laetare Guissou, directeur de recherche en sociologie politique, a voulu partager avec les lecteurs du "Pays", sa lecture d’un récent ouvrage : "Le temps de l’Afrique". Dans l’écrit ci-dessous, il indique que ce livre "nous apprend à nous regarder avec plus de profondeur".

Introduction : en dehors et contre les sentiers battus

Messieurs Jean Michel Severino et Olivier Ray, tous anciens dirigeants de l’Agence française de développement (AFD), viennent de publier un livre, « Le temps de l’Afrique » , qui est une véritable critique et auto-critique de la vision néo-colonialiste de l’Afrique et ses perspectives de progrès socio-économique et politique. Tous les prophètes de malheur "de gauche" comme "de droite" du FMI/Banque mondiale et consorts qui, depuis des décennies ne cessent de répéter après René Dumont que "l’Afrique noire est mal partie", s’ils lisent ce livre, devront regarder autrement notre continent. Même si d’éminents savants africains comme Cheick Anta Diop, Joseph Ki Zerbo, Théophile Obenga ou Samir Amin sont royalement ignorés dans l’ouvrage, leurs idées forces sont là dans l’approche "endogène » des problèmes de ce géant endormi qu’était redevenu l’Afrique depuis les "demi-victoires" des indépendances politiques de 1960.

L’âme des peuples est invincible. Et le livre démontre clairement et scientifiquement que ce sont les peuples qui font leur histoire et non pas les jugements partiels et partiaux des experts en tous genres au service des "puissants du jour". En quoi Jean Michel Severino et Olivier Ray prennent à contre-pied toute la littérature ventilée à tous vents sur la "malédiction africaine", "les records en catastrophes", "l’immobilisme de l’Africain" sinon "le refus de rentrer dans l’histoire" ?

L’effort de mémoire

Il me faut souligner cette importante particularité du livre qui permet de mieux expliquer et comprendre que comme l’Asie et la Chine aux XVIIe, XVIIIe et XIXe siècles, l’Afrique revient de plus loin encore que les "puissances émergentes" d’aujourd’hui. Faute de volonté politique, d’une prise de conscience de l’importance de "mettre beaucoup d’argent" pour financer la recherche scientifique et connaître par nous-mêmes qui nous sommes, qu’avons-nous déjà fait et que pouvons-nous faire avec notre propre potentiel et notre propre génie pour avancer ? La mémoire collective africaine peine à exister. Parfois, il nous faut subir des « électrochocs » comme la dévaluation du franc CFA pour savoir réagir et « bondir hors du feu ». A mon humble avis, très peu de pratiquants et « experts en développement » de l’Occident chrétien ont osé aller si loin dans le passé d’une Afrique qui n’a jamais accepté l’asservissement et l’exploitation sous le couvert de "l’aide au développement" qui n’en finit pas de finir. Le livre permet de comprendre que le langage et les mots ne sont jamais « neutres ».

Ils ont une histoire. Et les fameux Objectifs du millénaire sont une fable incompréhensible par des cadres pressés d’arracher "projets et programmes" financés à coups de milliards, mais programmés pour l’échec, avec en prime des bagarres entre clans, tribus et autres, fragilisant toujours plus le tissu social en déstabilisant les Etats post-coloniaux.

Etats-rentiers, Etats-fragiles, Etats zéro

En 1980-1990, la Banque mondiale prônait haut et fort que le privé le plus corrompu était toujours mieux que l’Etat en Afrique. En français facile, disons que l’Etat en Afrique devait être réduit à zéro dans presque toutes ses missions régaliennes, hormis la police, l’armée et les impôts. Le cas somalien cité par les auteurs montre où conduit "l’Etat zéro" : au chaos, à l’anarchie, à d’interminables guerres civiles. Les Etats-rentiers subissent « la malédiction des ressources naturelles" ou la "Dutch disease" (le syndrome hollandais). "La... pathologie des Etats- rentiers est la "maniaco-dépression financière » et "le cholestérol institutionnel". Cette dernière clé de l’énigme a trait au rapport du citoyen à l’Etat". J’évite ici de citer un seul pays. Celui qui veut savoir plus consultera très utilement le livre "Le temps de l’Afrique". Les "Etats-fragiles" ou "Etats faibles", s’ils sont en paix et relativement bien organisés, ils avancent même s’ils n’ont pas les moyens de très grandes ambitions. Leur taux de croissance est constant et s’améliore dans la durée.

A la page 199, on peut lire : "L’histoire du Botswana rappelle qu’à côté des RDC, Gabon et Congo Brazzaville se trouvent des Etats qui, bien que pauvres dans leur ensemble, tracent d’année en année leur chemin hors du dénuement. Le long épisode de croissance que cet ensemble a priori disparate traverse depuis une décennie est peut-être le meilleur signe que l’Afrique subsaharienne n’est pas embourbée dans une inexorable "trappe à pauvreté". En 2008 et 2009, dans un contexte économique mondial chancelant et alors que le moteur des matières premières toussait, ce sont aussi eux qui ont tiré la croissance subsaharienne. Les progrès économiques sont au rendez-vous chez eux depuis le tournant du siècle : 5% en moyenne annuelle au Ghana, 5,4% au Burkina Faso, 6,4% en Tanzanie, 7,4% au Mozambique alors qu’aucun de ces pays ne disposait jusqu’à présent de réserves minières ou pétrolières abondantes ». Enfin, il y a "les Etat- rentiers en crise", les "Etats-rentiers vertueux" et "les Etats-rentiers stables" : aucun commentaire.

L’Afrique aura 2 milliards d’habitants en 2050

L’analyse prospective du livre permet d’ouvrir tous les horizons du possible et du réalisable sur le plus vaste continent du monde. L‘Afrique battra tous les records mondiaux en « repeuplement rapide" après les razzias d’esclaves (exclusivement ses 60 à 100 millions de jeunes filles et garçons), les réquisitions de « tirailleurs sénégalais" (140 millions), 100 ans de colonisation et travaux forcés. Les auteurs abordent les mille et une facettes de cette irréversible montée en puissance de l’Afrique avec statistiques, chiffres, figures, courbes et cartes. A la lecture de cette analyse froide, lucide et scientifique qui expose les forces et les faiblesses du continent que les auteurs limitent intentionnellement à "l’Afrique subsaharienne", c’est à Mao Tsé Toung que j’ai pensé. C’est lui, le « père de la Chine moderne » qui, en novembre 1956, à la commémoration de l’anniversaire de l’indépendance de la Chine en 1911, écrivait : « Les choses se développent sans cesse.

45 ans seulement se sont écoulés depuis la Révolution de 1911, et aujourd’hui, l’aspect de la Chine est totalement différent. Encore 45 ans, et en l’année 2001 qui marquera l’entrée dans le XXIe siècle, la Chine aura vu de nouveaux et plus importants changements. Elle sera devenue un puissant pays socialiste industrialisé. Et il le faut bien, car, avec sa superficie de 9 600 000 km2 et ses 600 millions d’habitants, la Chine se doit d’apporter une plus grande contribution à l’humanité. Notre contribution, pendant longtemps, a été bien minime, et cela est regrettable". Ce chef d’Etat-là, avait et de la vision et de la foi. Il est mort en 1976. Il savait pertinemment qu’il ne vivra pas jusqu’en 2001 pour voir "la Chine debout". Déjà en 1970, Alain Peyrefitte, à son retour de Chine, publiait un livre avec comme titre : « Lorsque la Chine s’éveillera, le monde tremblera » . Aujourd’hui, c’est une réalité. A lire les auteurs du livre, "Le temps de l’Afrique", il est déjà là, en 2010. C’est l’absence d’une hauteur de vue intellectuelle qui la rend invisible ou "floue" à tous les afro-pessimistes conscients et inconscients.

Conclusion : l’Afrique est debout

Entre le rêve d’un Kwamé N’Krumah de voir l’Afrique unie à Addis Abeba le 24 avril 1963 et l’état actuel de la construction de l’intégration continentale en 2010, beaucoup d’esprits sains déclareront que l’échec est total et sans appel. Et après ? Que faire ? La lecture du livre "Le temps de l’Afrique" nous apprend à nous regarder avec plus de profondeur pour pouvoir espérer et vivre positivement notre appartenance au continent, "mère de l’humanité". Des problèmes de fond, théoriques et pratiques sont frontalement abordés dans l’ouvrage.

Les auteurs choisissent de dépasser les débats théoriques abstraits sur l’existence ou non "d’Etats-nations », de « tribus, ethnies et Etats » en Afrique, pour regarder les institutions et les hommes en action, au quotidien dans les villes et villages. Ils observent l’exercice du pouvoir politique et ses composantes sociales au quotidien pour l’analyser et l’interroger. Ils n’ont pas toutes les réponses à toutes leurs questions. Toutes les disciplines de la recherche scientifique sont interpellées pour trouver des réponses. C’est à nos yeux le plus grand mérite de ce livre d’Européens qui osent penser autrement notre continent. Ce faisant, ils s’exposent naturellement à toutes sortes d’attaques "du dedans" comme "du dehors" des cercles étroits et fermés des "spécialistes de l’Afrique" et leurs "fidèles serviteurs" qui foisonnent dans les rangs des élites locales de nos pays embourbés dans l’ultra-libéralisme avec son slogan : "Hâtons-nous, jouissons ! Laissons les rêveurs idéalistes discuter et réfléchir !".

Et pourtant, c’est bien les discussions, les réflexions et les travaux de recherche des "chicago boys" du Professeur Milton Friedman, "…grand gourou du mouvement en faveur du capitalisme sans entraves. C’est à lui qu’on attribue la paternité du credo de l’économie mondialisée contemporaine caractérisée par l’hypermobité" qui soutendent le "laisser-aller, laisser-faire" que pratiquent aveuglément beaucoup de nos élites africaines qui refusent de réfléchir. Bonne lecture à toutes les militantes et à tous les militants de la cause de l’Afrique debout !

Pr Basile Laetare GUISSOU, directeur de recherche en sociologie politique INSS/CNRST

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