Actualités :: Le rôle des Moose dans le processus de la constitution de l’ethnie Gurunsi (...)

La pratique de l’esclavage était d’abord le fait d’une prédisposition d’un esprit collectif acquise par un système de représentation dont rendait compte le discours. A ce propos une attention de linguiste est recommandée pour la lecture du discours des peuples esclavagistes. Le terme Gurunsi nous révèle que cette démarche a été une réalité chez les Moose aussi. Il illustre ce que Claude Meillassoux a déjà relevé dans une étude générale de l’esclavage en Afrique lorsqu’il a dit : " les relations entre les peuples ravisseurs et les peuples victimes sont dans leur pratique inégales, brutales.

D’une part, on a des sociétés historiquement identifiées et géographiquement circonscrites, politiquement, militairement et commercialement organisées, produisant sur la base des rapports de classes qui les structurent hiérarchiquement et dans lesquelles les esclaves, une fois admis, s’insèrent organiquement. De l’autre, des populations lointaines et sans nom, dispersées, souvent mal connues des premiers et confondues dans un ensemble vague et inorganisé de " Sauvages ". Ce qui révélait aux Moose la sauvagerie de ceux qu’ils ont appelés les Gurunsi était l’absence de chefferie chez eux. Et cette absence qui ne relevait que de la vue d’un esprit de domination avait permis aux Moose de concure à l’anarchie qui justifiait leur asservissement.

L’ethnie c’est un ensemble de questions qui préoccupent beaucoup en Afrique aujourd’hui compte tenu de son impact sur la construction des nations. La représentation négative de l’autre persiste dans les discours à propos desquels Félix Iroko a noté : " Ce sont des jugements de valeur qui expriment la déconsidération, voire le mépris nourri par les uns pour les autres. A l’autre on reconnaît les défauts de tous les ordres. Au temps de l’esclavage, ces jugements de valeur résumés souvent par un terme générique, rendaient compte de la distance entre les ethnies ; chose qui fondait la légitimité de l’asservissement. Cette distance était traduite, comme l’a relevé Claude Meillassoux, par le terme d’identification que les esclavagistes attribuent aux peuples pillés.

" Pour marquer la distance sociale, les sociétés esclavagistes donnaient généralement aux populations pillées un nom générique qui ne leur appartient pas ". Gurunsi était ce terme générique par lequel les Moose avaient opéré ici le rassemblement d’une multitude de peuples qu’ils pillaient. Ceci apporte un complément à l’essai d’explication que Emmanuel Bayili a donné du terme Gurunsi et qui ne satisfait pas Blaise Bayili qui, à ce propos, a dit : " Pour lui (Emmanuel) en effet l’aspect dénigrant du mot (Gurunsi) vient seulement des Mossi-Dagomba - Mamprussi qui, selon la logique de l’ethnocentrisme, traitent leurs voisins (qui ne sont pas comme eux) de moins hommes… Cette position du Père Bayili, bien que séduisante, laisse interrogateur le lecteur car si la logique d’ethnocentrisme était le vrai fondement de l’utilisation du mot Gurunsi, ce dernier devrait être attribué aux autres voisins des Mossi-Dagomba-Mamprusi.

Or ce n’est pas le cas. C’est dire que la cause du problème semble dépasser la raison d’ethnocentrisme ". Et pour dépasser la raison d’ethnocentrisme, il donne une explication formulée en hypothèse selon laquelle le sens du mot Gurunsi serait essentiellement politique : c’est celui qui ignore le naam, dit-il. Les frères Bayili disent la même chose sans cependant achever l’explication. Cet ethnocentrisme qui intégrait l’appréciation de l’organisation politique des autres avait pour conséquence l’asservissement de ceux que la razzia permettait de prendre. Ce traitement réservé aux autres ainsi perçus à travers la mire de la culture a été constaté ailleurs et en d’autres temps.

L’auteur arabe Edrissi (vers 1154) rapporte que les populations du désert et des Etats soudanais (Barisa, Silla, Tekrur, Ghana, Ghiyaro) réduisent en captivité les habitants Lam-Lam ou Nyam-Nyam. Lam-Lam était un nom générique donné par les auteurs maghrébins aux populations réputées sauvages d’Afrique tropicale chez lesquelles étaient capturées les victimes de l’esclavage. Aussi les Peuls musulmans du Fouta-Djalon désignaient du nom de Keeseero les populations chez lesquelles ils capturaient leurs esclaves. Chez les Tuarga et les Berbères du Sahara, Ganawen (pluriel : Dajnawen) signifie esclave noir. A l’arrivée des Européens, ce terme Djanawen donna Guinéens. Pour les Soninké, précise Claude Meillassoux, Bambara est synonyme d’esclave. Et en guise de décconstruction de cette ethnie bambara Jean Bazin dit : " Les populations appelées Bambara n’ont presque rien en commun, sinon d’apparaître globalement semblables du point de vue des Juula ".

Ces termes génériques affectés aux populations razziées pour l’esclavage, avaient toujours une charge négative qui a conduit à leur donner un sens connotatif.

Entre les Moose mêmes, Gurunsi était souvent sollicité pour fustiger un comportement jugé contraire aux règles de conduite caractérisant les Moose. Ainsi on pouvait entendre traiter un Moaga de Gurunga. Le terme a alors valeur d’injure comme Jean Bazin l’a remarqué à propos des emplois du terme Bambara. " Pour le musulman, le Bambara, c’est l’infidèle, le païen, le buveur d’alcool ; pour les pasteurs (Maures, Peuls) le Bambara, c’est le cultivateur et aussi le nègre (…). Pour ceux qui ont détenu le pouvoir, le Bambara, c’est l’esclave pour tous, c’est le primitif, l’individu socialement inférieur. A force d’être ainsi employé " comme simple épithète ", ce vocable a pris une valeur péjorative au point de devenir parfois une injure grave ".

Son champ d’application élargi, le gurunga n’était plus strictement cet étranger absolu chez les Moose. Le terme servait d’exutoire pour évacuer du groupe des Moose ceux dont l’attitude était jugée répugnante. Il a fallu attendre l’avènement de la colonisation pour que les contours ethniques et géographiques du Gurunsi se précisent.

Source : L’apport de l’esclavage dans la construction de l’ethnie Gurunsi au Burkina Faso, Maurice Bazémo, in Cahiers du Centre d’études et de recherches en lettres, sciences humaines et sociales (CERLESHS).

Par Bendré

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