Actualités :: Santé : Des malades abandonnés à Yalgado !

A la base de la création des hôpitaux, il y a la volonté pour les sociétés humaines de se soigner, de prendre soin les uns des autres et de ne pas laisser les maladies et la faim emporter les plus faibles. Les religions ont beaucoup œuvré pour cela, exprimant une des vertus qu’elles adorent toutes : la charité. L’Etat moderne, revendique un traitement équitable de tous les citoyens. Mais notre pays abandonne une bonne partie de ses enfants au bord de la route au moment où ils ont le plus besoin de solidarité, d’aide et de compassion. L’hôpital Yalgado est un des lieux où l’humanité souffre le plus dans cette ville de Ouagadougou. Petite virée nocturne dans un des hauts lieux de la douleur, où l’Etat accepte que des Burkinabè souffrent et meurent.

Lundi 26 juillet 2010. 23h. Centre hospitalier national Yalgado Ouédraogo de Ouagadougou, Service des urgences en traumatologie. Une forte odeur vous accueille. De grosses bouffées étouffantes déclenchent chez le visiteur un malaise.

La salive aussitôt vous remplit la bouche et vous avez envie de cracher, de vomir, de partir, de quitter ce lieu inhospitalier. Vous prenez votre courage à bras le corps, vous l’embrassez fortement et à deux vous réussissez à franchir la porte et à entrer dans ce lieu où vos pas n’auraient jamais dû vous conduire. Vous avez de fortes appréhensions, parce que votre odorat vous a donné des signaux d’alerte terrifiants. Dans votre tête les souvenirs se télescopent, votre « logiciel » analyse, fait des recoupements et essaie de savoir à quoi associer ces effluves. Les associations les plus courantes et les plus fortes semblent être sang, sueur, alcool, boue, saleté, chlore, crasse... Englué dans ce cauchemar déclenché par l’odeur, vous êtes réveillé par un autre de vos sens : l’ouïe. C’est une plainte lancinante, un cri de douleur, un appel à l’aide. Vous avancez et le spectacle de l’horreur se dévoile dans toute sa cruauté sous vos yeux incrédules.

Un couloir où s’entassent comme ils peuvent - des blessés - souffrants sur des matelas, des nattes, et à même le sol, couchés sur le carreau, par terre. Oui comme des bêtes abandonnées à l’agonie. Et parmi ces déshérités, qui n’ont pas pu avoir le privilège du lit d’hôpital, du matelas, de la natte pour couche, la voix faible qui vous était parvenue reprend son cri de supplication : mon frère donne moi à manger. J’ai faim mon frère. Les yeux qui refusaient de s’accommoder à cette misère éclatante, rouge de sang et noire de boue voient enfin le fils d’Adam qui appelle au secours, qui réclame à manger, qui crie sa douleur. Que faire ? Qu’est ce que je fais dans ces lieux où mon cœur ne m’a pas appellé ? Une irrésistible envie de fuir me prend de la plante des pieds jusqu’à la pointe de mon cerveau. Une envie d’air pur, de souffler, de ne pas être confronté à ce que je vis. Fuir est la solution la plus simple, mais elle n’efface pas pour autant la réalité, ces images sont gravées à jamais dans la conscience.

Et dans le cas d’espèce je serai coupable d’une double lâcheté couplée à une ignominie si je veux suivre mes instincts. Car je ne suis pas ici pour une balade que je peux interrompre si le film des évènements ne me plaît pas. Je suis appelé au chevet d’un frère accidenté. Je me résous à pénétrer dans l’antre du diable et je regarde celui qui m’appelle par le doux nom de frère, dont l’humanité est niée par l’état dans lequel l’hôpital national Yalgado Ouédraogo l’a abandonné et qui n’a personne dans cette jungle pour le soulager. Pour réussir à l’oublier je me décide à rechercher mon autre frère, mon frère de sang, et de lait en me disant qu’il souffre peut être plus que lui, et que son état peut être réclame toute mon attention, mon énergie et mes ressources. Va-et-vient dans le couloir. Tout le monde passe à côté de lui (mon frère, notre frère laissé pour compte) sans répondre à ses supplications. Les infirmiers et les médecins retiennent le plus mon attention.

C’est leur lieu de travail, on leur a emmené cette pauvre personne pour qu’ils la soignent. Pourquoi ne semblent-ils pas entendre ses cris ? Et je me dis que si les maître de céans n’en font pas un problème, peut être ne devrait-je pas être plus royaliste que le roi et m’occuper que de mes problèmes. Lesquels concernent mon frère accidenté qui attend depuis plus de 24h des soins. Lui, a fait un accident à 200Km de la capitale et a mis 24h pour obtenir une ambulance pour l’emmener à Ouagadougou. Parce que l’ambulance de son district sanitaire est en panne, il a fallu attendre que celui d’un district voisin à une cinquantaine de kilomètres puisse venir l’évacuer. C’est une journée ordinaire pour ce qui est des problèmes de la santé au pays des hommes intègres. Cette soirée à l’hôpital Yalgado, je n’en suis pas ressorti indemne. J’étais malade de ce que j’ai vu, vécu, subi.

L’hôpital se fout de la charité

Pourquoi en plein vingt-et-unième siècle, l’Etat burkinabè fait il subir de tels avilissements à ses concitoyens ? Comme disent les Français, dans notre pays, l’hôpital se fout de la charité. Il faut aller à la source des premiers hôpitaux du monde pour comprendre que ce que nous avons vécu est une hérésie. Nulle part au monde, même en temps de crise on ne peut accepter que l’hôpital reste sourd à la faim et à la douleur des plus démunis, lui qui veut soigner, guérir toute douleur. Mais le Burkina Faso abandonne ses malades dans des couloirs sans soins et sans nourriture. Le Directeur de l’hôpital Yalgado et le ministère de la Santé vont s’inscrire en faux sûrement, arguant qu’il y a une prise en charge. On a déjà entendu à la RTB, un ancien ministre de la Santé très volubile, avancer que le Burkina s’occupait si bien de tous ses malades qu’il en était félicité pour le caractère égalitaire de son système d’évacuation sanitaire à l’étranger. Pour appuyer le clou il a énoncé que le non port du casque par les motocyclistes augmentait fortement le budget de ces évacuations.

Tout le monde sait que ce ministre affabulait. On peut se référer aux demandes d’aide publiées par les journaux pour se rendre compte que les évacuations sanitaires sont très ciblées et qu’elles ont un caractère de classe très marqué. Le 26 juillet 2010 il n’y avait aucune prise en charge pour aucun malade. L’interne de garde n’avait que les bulletins d’examens et les papiers pour les ordonnances. L’hôpital ne leur fournit rien, même les stéthoscopes sont achetés par les médecins eux-mêmes. C’est seulement à l’hôpital que l’employeur ne donne pas les outils de travail. Obliger des travailleurs à s’endurcir le cœur, à ne pas être charitables envers autrui, voilà ce que notre gouvernement impose aux travailleurs de la santé. Le malade achète tout à l’hôpital national de référence : de la paire de gant au coton, sans parler des médicaments. Le seul service que l’Etat burkinabè offre à ses citoyens, c’est la possibilité de rencontrer un médecin qui peut vous examiner. Nous sommes dans le cas d’une arrivée aux urgences où ceci est vrai. Mais dans d’autres conditions, c’est une autre paire de manches.

L’hôpital a un restaurant qui sert à manger mais pas aux malades des services d’urgences qui sont supposés être en transit vers un autre service. Mais si vous n’avez pas d’accompagnant, il reste votre terminus sans soins. Notre système hospitalier est la plus grosse honte de ce pays. La manière dont nous traitons nos malades est révélatrice de la barbarie de nos élites. Les actes criminels comme les détournements de fonds, les marchés de gré à gré, le refus d’une alternance démocratique sont des pratiques de dirigeants barbares qui ignorent l’intérêt général, et ne savent pas qu’il faut aimer son prochain comme soi même. L’absence de charité de nos dirigeants, d’amour pour leur peuple, fait de notre hôpital un enfer où qu’à Dieu ne plaise, vous ne soyez pas obligé d’y aller. Sinon vous verrez de vos yeux les pires horreurs. Si vous êtes malades sans le sous et sans parents vous finirez sur le carreau, où le diable aura votre peau.

Sana Guy

L’Indépendant

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