Actualités :: Affaire BIB # EROH : Combat de gladiateurs au prétoire

Une relation d’affaires qui tourne au vinaigre entre une banque et son client. La justice s’en mêle et la Cour d’appel de Ouagadougou donne raison au client en condamnant la banque à lui verser, au titre des dommages et intérêts, plus de 3 milliards de FCFA. Estimant qu’il y a eu « fraude » dans la procédure, l’établissement financier engage une demande de révision de ce jugement. Ainsi, le 5 février 2010, la Banque internationale du Burkina (BIB) et la société Etudes et réalisation d’ouvrages hydrauliques (EROH) étaient devant la Cour d’appel pour l’examen de ce recours en révision. La technicité des débats était telle que le citoyen lambda n’y aurait pigé que dalle. Le verdict est attendu le 2 avril prochain.

Le long feuilleton judiciaire qui met en scène la Banque internationale du Burkina (BIB) et la société Etudes et réalisation d’ouvrages hydrauliques (EROH) était à l’affiche vendredi dernier devant la chambre commerciale de la Cour d’appel de Ouagadougou. Objet de ce énième duel : la demande de révision de la décision de la Cour d’appel favorable à EROH et condamnant la BIB à lui verser près de 3,180 milliards de FCFA au titre des dommages et intérêts.

Mais avant toute chose, il est important de faire un rappel des faits pour mettre tout le monde au même niveau d’information. Pour cela, situons-nous en 2003-2004. La société EROH remporte un marché d’appel d’offres international pour la réalisation de pistes rurales au Bénin pour un montant de 1,3 milliard de FCFA.

Pour l’exécution des travaux, l’entreprise s’assure le soutien de la BIB en y nantissant son marché. Un contrat est signé entre les deux parties. De façon caricaturale, on peut résumer le deal ainsi : la banque débloque par tranches l’argent et EROH s’en sert pour travailler, mais rembourse selon un échéancier prédéfini, puisque le marché est payé par fractionnements.

Pour la BIB, justice n’a pas été rendue

C’est la lune de miel entre les deux partenaires. La BIB décaisse alors près de 932 millions FCFA pour EROH. Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Pourtant, très rapidement, cette entente cordiale tourne au vinaigre. Le problème est que l’entreprise a visiblement du mal à respecter les délais de remboursement selon les termes du contrat. Pire, entre-temps, le Bénin résilie le marché attribué à EROH. Décidé à sauver son pactole, la BIB demande à l’entreprise de lui rembourser le quasi-milliard déjà avancé.

Une palabre naît alors entre les partenaires d’hier : tandis que la BIB réclame son avance, EROH, elle, l’accuse d’avoir arrêté de la financer et d’être, de ce fait, à l’origine de ses problèmes au Bénin. Inévitablement, le différend est porté devant les tribunaux. C’est la source de l’affaire dite EROH # BIB et le début d’un feuilleton marathon devant les juridictions. Le tribunal de grande instance, la Cour d’appel, la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et même la Cour commune de justice et d’arbitrage d’Abidjan. Après le prononcé de l’irrecevabilité du pourvoi en cassation de la BIB en mai dernier, nous sommes au stade où la décision à appliquer dans cette affaire est l’arrêt de la Cour d’appel.

Mais pour sa part, la BIB estime que le droit n’a pas été dit puisque, selon elle, il y a eu fraude et que le juge d’appel a été trompé par EROH. C’est la raison pour laquelle par exploit d’huissier elle a intenté un recours devant la Cour d’appel pour révision de l’arrêt de mai 2009. Programmé le 15 janvier 2010, le procès en révision avait été renvoyé au 5 février. Face à la Cour, les intérêts de la BIB sont défendus par le cabinet Kam et Somé (Hervé Kam et Séraphin Somé, tous deux anciens magistrats). EROH, elle, est défendue par quatre avocats, dont Mes Benoît Sawadogo et Abdoul Ouédraogo.

Selon Me Hervé Kam, « la révision est une procédure particulière qui est ouverte dans certaines conditions, notamment lorsqu’il y a eu fraude, c’est-à-dire lorsque le juge a été trompé. Nous avons estimé, au regard du dossier, que le juge a été trompé. Lorsque l’entreprise EROH a demandé la condamnation de la BIB, elle a dit que c’était par la faute de la BIB qu’elle n’avait pas pu honorer son contrat avec le Bénin. Pourtant, il y a des éléments qui montrent que le fait que EROH n’ait pas pu exécuter le marché n’a rien à voir avec la BIB puisqu’au même moment, elle avait d’autres marchés qui, eux, n’avaient rien à voir avec la BIB mais qui ont été résiliés. Si le juge savait tout cela, il n’allait pas rendre la décision qu’il a rendue ».

Bagarre autour d’un avis de passage

A l’entame du procès, les avocats de l’entreprise ont levé des exceptions relatives à « l’exploit d’assignation, car il est entaché de graves irrégularités ». Pour eux, cette assignation doit être frappée de nullité parce qu’elle ne comporte pas l’avis de passage. « C’est une formalité d’ordre public qui n’a pas été respectée ».

Si les conseils de la banque reconnaissent l’absence de l’avis de passage, ils ne font, par contre, pas la même lecture que leurs confrères d’en face. Ils soutiennent qu’en matière d’assignation, l’objet, c’est d’informer le défendeur qu’une assignation est là et qu’il doit venir répondre.

Pour Me Benoît Sawadogo, « l’avis de passage est un élément substantiel et fait partie des dispositions garantissant une bonne administration de la justice. Avec l’absence de cet avis, les droits d’EROH ne sont pas respectés puisqu’elle n’a pas eu le temps de se préparer pour l’audience. Alors dire qu’il n’y a pas de grief ou de préjudice nous étonne. Il faut déclarer nulle l’assignation du 27 août 2009 ».

Dans sa contre-attaque, Me Kam estime qu’il y a « une confusion entre la nullité de forme et la nullité de fond ». Puis il dit à espérer que la Cour va « tempérer les ardeurs des défendeurs qui vont à la pêche d’une nullité, même vénielle ».

Interpellé le président de la Cour, le parquet général a déclaré que le dossier peut être retenu et jugé. Alors Me Kam se propose de poser quelques questions aux avocats d’EROH. Sa première est : “Est-ce que EROH a payé le 10 février 2006 la somme de 6 000 FCFA au greffe du tribunal ?” Refus catégorique de Me Benoît pour qui, seule la Cour peut leur poser des questions. « Répondre directement, c’est nous piéger et rendre recevable leur assignation.

On vous prie, monsieur le président, de déclarer la nullité de l’assignation et l’irrecevabilité de l’acte de la BIB. Le recours en révision est une mesure extraordinaire qui suppose qu’il y a eu fraude dans l’enrôlement d’un acte d’injonction de payer. Votre juridiction ne peut apprécier la fraude d’un acte fait au Tribunal de grande instance ».

A la pêche d’une nullité, même vénielle

Pour les avocats d’EROH, la BIB a commis un chapelet d’erreurs tout au long de cette procédure. Et Benoît Sawadogo soutient même que « ce serait un séisme juridique », car la Cour d’appel ne peut pas rendre une décision sur un acte mené par le Tribunal de grande instance. Ce à quoi Me Kam rétorque que « la décision du Tribunal de grande instance n’existe plus dès lors qu’un arrêt a été rendu. C’est donc devant la Cour d’appel qu’il faut faire la révision du jugement ».

Défendant EROH, Me Abdoul Ouédraogo a déclaré qu’un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès et a déploré le fait que la BIB n’ait jamais voulu d’arrangement. Puis il a cité les quatre conditions de révision d’un arrêt.

Prenant la parole, Me Kam a reposé sa question, à savoir si EROH a payé ou non la somme de 6 000 FCFA au greffe. Suite à cela, le parquet général est intervenu pour faire remarquer à la Cour que « c’est fondamental de savoir si EROH a payé ou pas cette somme, car c’est par là qu’on saura s’il y a eu fraude ou pas ».

“On nous pose des questions fermées”

Réponse de Me Benoît Sawadogo : « On nous pose des questions fermées où il faut répondre par oui ou non. Nous pensons que la Cour a les moyens et peut investiguer pour savoir ce qui s’est passé, si cette somme a été payée ou pas ». Sur ces entrefaites, Me Kam pose la question de savoir quel était, entre 2003 et 2004, le nombre de marchés conclus entre EROH et l’Etat béninois. En outre, il demande si tous ces marchés étaient nantis à la BIB.

Face à l’absence de réponse satisfaisante, Me Kam a soutenu qu’en fait, après la conclusion du premier contrat avec l’Etat béninois, EROH a bénéficié d’un avenant plus important que le marché principal, puisque évalué à 1,9 milliard FCFA. « Selon le pacte unissant la BIB et EROH, cet avenant devait être nanti aussi à la BIB, mais EROH n’a pas signalé, ce marché à la BIB. Cet avenant a été nanti à Ecobank-Bénin.

De plus, EROH soutient avoir exécuté le contrat à 67%. Là, il faut qu’elle nous dise si à la date du 5 mars 2005 les travaux avaient démarré et si le taux de 67% correspond au taux global du marché ou à une tranche du marché ». Toujours sur l’imputabilité, Me Hervé Kam a fait remarquer qu’EROH avait des informations selon lesquelles la BIB n’est pas responsable de ses difficultés. L’avocat a déclaré que ces éléments ont été cachés aux juridictions judiciaires.

Il a alors cité une dizaine de pièces réunies au Bénin ; des pièces non communiquées avant ni à la banque ni à la justice. « On demande à EROH de bien vouloir donner des éclairages sur ces points ». Branle-bas de combat chez les avocats de l’entreprise, qui considèrent que « ces questions ne font pas partie de la révision » faisant remarquer que « la révision n’est pas une séance de rattrapage ».

Six pages de malfaçons

Réponse alors de Me Kam : « La BIB ne plaide pas la découverte de nouveaux éléments mais la fraude qui a influencé la décision du juge. Les pièces dont nous parlons nous étaient cachées jusque-là ». Après cette longue séance de contradictoire, le temps des plaidoiries a sonné. Elles seront aussi longues que les débats.

Dans leurs plaidoiries, les avocats de la BIB se sont attelés à démontrer que « la fraude, les déclarations mensongères et les pièces cachées par EROH ont trompé le juge et que la BIB est totalement étrangère à la résiliation du contrat entre EROH et l’Etat béninois. EROH a fait croire au juge que les difficultés de décaissement ont fait que son contrat a été résilié. Mais en réalité, les difficultés financières de l’entreprise ne sont pas le fait de la BIB. Le retard accusé dans l’exécution des chantiers est dû aux malfaçons des travaux.

Le rapport de la mission de contrôle contient 6 pages de malfaçons ». Pour Me Séraphin Somé, ce procès est « la plus grande arnaque juridico-financière du Burkina. On a utilisé la justice pour faire du business, pour faire du fric. Heureusement que la loi est bien faite et lorsque la juridiction a été trompée, on peut faire réviser le jugement. Ce procès est une éducation ». Les avocats de la BIB sont revenus sur la question du paiement en retard du droit d’enrôlement après expiration du délai. Pour finir, ils ont demandé qu’il plaise à la Cour de déclarer caduque l’opposition formée par EROH et de laisser tomber l’injonction de payer.

“Des fautes inexcusables”

A leur tour, les conseils d’EROH se sont appesantis sur ce qu’ils appellent les « fautes inexcusables » de la BIB. Ils ont bâti leur argumentaire sur l’acquiescement de la banque qui, ayant reconnu sa dette, a demandé et obtenu un délai de grâce. Ils ont demandé à la Cour de rejeter cet acte de révision. Pour Me Benoît Sawadogo, « il faut éviter de faire un 3e degré de juridiction. La révision n’est pas un acte banal. Elle est enfermée dans des règles très strictes. Il ne faut pas faire de l’action en révision, une occasion d’institution d’un 3e degré de juridiction. On est à la croisée des chemins. L’autorité judiciaire doit s’affirmer. La BIB veut faire un passage en force. Mais il faut lui dire non ».

Avant d’entamer ses réquisitions, le parquet général a souligné qu’il n’allait pas faire de longs développements puisque l’instruction a été longue à la barre. Pour le procureur général, il y a lieu de valider l’assignation formulée par la BIB puisque EROH n’a pas pu justifier le préjudice qu’elle dit subir.

A propos de la recevabilité de l’opposition de EROH à l’injonction de payer, le parquet général a noté qu’il y avait deux oppositions formulées, dont la deuxième était non enregistrée au greffe. Enfin, le procureur général a soutenu qu’il y a eu fraude de la part de EROH puisque la conviction du juge sur la résiliation du marché a été trompée parce qu’il n’avait pas toutes les pièces à sa disposition.

Pour finir, le parquet général demande qu’il plaise à la Cour de recevoir ce recours en révision introduit par la BIB, de le déclarer bien-fondé et d’en tirer toutes les conséquences. Le délibéré a été fixé au 2 avril 2010. Si jamais la BIB remportait cette manche, alors ce dossier, qui défraie la chronique depuis des années, sera jugé à nouveau par la Cour d’appel de Ouagadougou. Affaire à suivre.

San Evariste Barro

L’Observateur Paalga

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