Actualités :: Dialogue étudiants-autorités académiques : Pourquoi ça coince souvent ? (...)
Laurent ILBOUDO, Doctorant en Economie à l’Université de Paris I

La communication entres les étudiants et les responsables des universités ne passe plus, et ça dure depuis au moins une décennie. Cette situation a conduit les deux parties à se regarder dorénavant en chiens de faïence, et non plus comme des partenaires qui ont intérêt à une même cause : l’éducation, la formation. La preuve réside dans les divers bras de fer qui les opposent et dont la caractéristique essentielle est le campement de chaque partie sur sa position. A qui la faute ?

A personne, nous diront les uns ; à tous, nous dirons les autres ! Pour ma part, je trouve que cette attitude de vouloir tout temps désigner des coupables ne participe pas à la résolution des tensions et à l’apaisement des relations entre autorités et étudiants. Le principal coupable, si coupable il y a, est l’asymétrie informationnelle symptomatique de la crise de légitimité des décisions et attentes des différents acteurs. Cette asymétrie d’information se manifeste de la façon suivante : vu du côté des autorités, les étudiants n’usent pas toujours des moyens légaux mis à leur disposition pour parvenir à leurs fins ; vu du côté des étudiants, les autorités ne prêtant pas attention à leurs mouvements pacifiques de protestation, il leur est plus rationnel d’utiliser des moyens radicaux afin de leur forcer la main. Pour être plus précis :

-  Les autorités administratives et académiques n’ignorent pas les difficultés des étudiants ; ils savent que ceux-ci manquent d’amphis, que la restauration est souvent mauvaise, et que les étudiants ont besoin de soutien personnalisé de logement ou d’aide financière. Ce qu’elles ne tolèrent pas cependant, c’est que ces revendications se fassent en dehors du cadre légal : rencontre de concertation avec les responsables, grèves de protestation respectant la déontologie de la marche pacifique sans dégradation des biens publics, dialogue apaisé et compréhension de la réponse non satisfaisante à toutes les revendications, pour cause de difficultés financières ou simplement de non budgétisation de certaines grosses dépenses dans la loi de finances. A ce malentendu s’ajoute le sentiment que les étudiants sont de sempiternels opposants (souvent politiques), des gens qui ne sont jamais satisfaits de rien. Ce sentiment est exacerbé lorsque la pomme de discorde porte sur des affaires sensibles d’atteinte aux droits de l’homme à l’occasion de manifestations organisées aux anniversaires d’assassinats (l’élève Flavien Nébié, le célèbre journaliste de l’Indépendant Norbert Zongo…) ;

-  Les étudiants, et leurs responsables syndicaux, n’ignorent pas que le Burkina Faso est un pays pauvre, et que les autorités ne sont pas en mesure de satisfaire la totalité de leurs plateformes revendicatives. Il n’y aura pas dans le court terme – il faut avoir le courage de le reconnaitre -, des amphis modernes et des logements flambant neufs pour tous les étudiants, pour la simple raison que les défis qui se posent aux pouvoirs publics ne se résument pas seulement à l’enseignement-recherche, mais s’étendent aussi à la santé, aux infrastructures de transports (routes, ponts…), aux attentes légitimes du monde paysan, à l’amélioration des conditions de vie des fonctionnaires, à la modernisation du secteur privé, etc. Pourquoi les étudiants ne semblent-ils donc pas compréhensifs sur les limites financières des gouvernants ?

Parce que les premiers ont le sentiment que les deuxièmes, préoccupées uniquement par le confort d’un fauteuil douillet, ne prêtent pas suffisamment une oreille attentive à leurs revendications, et qu’ils ne font pas « le minimum » qu’ils sont en droit d’attendre d’elles. Les divers conflits qui ont rythmé la vie académique au Burkina ont fini par forger un sentiment que les responsables académiques, et leur hiérarchie issue des pouvoirs politiques, font la sourde oreille lorsque la méthode de revendication est pacifique, et le ton posé dans le dialogue. « Nous avons fait des sit-in, nous leur avons donné plusieurs fois notre plateforme revendicative, et jusque-là aucune réponse satisfaisante. Puisqu’ils ne bougent pas le doigt quand on est pacifique, nous allons leur montrer l’urgence de nos attentes par le coup de force », c’est ainsi qu’on pourrait résumer, de façon caricaturale, le sentiment estudiantin qui se manifeste dans les casses et dégradations qui surviennent à l’occasion de certaines grèves.

Pour ainsi dire, il existe une crise systémique au sein de nos institutions de formation, imputable au déficit de dialogue entre les désormais adversaires. Les étudiants n’ignorent pas leurs droits, et leurs devoirs d’ailleurs, mais rechignent à attendre longuement les bonnes humeurs d’une administration bureaucratique. De même, les autorités ont parfaitement conscience des préoccupations des étudiants, mais refusent de se voir imposées des programmes non budgétisés et des délais unilatéraux. Dans cette lancée, les autorités enfreindront les droits élémentaires des étudiants (comme la fermeture récente des cités à l’Université Polytechnique de Bobo, pour « empêcher certains étudiants […] pyromanes de profiter de cette situation pour envenimer la crise »), et ces derniers, convaincus qu’ils n’ont pas en face d’eux un interlocuteur attentif, n’hésiteront pas à taper fort sur la table pour se faire entendre.

Quelles solutions ?

Pour désamorcer cette tension, je trouve qu’il serait profitable pour tous d’instaurer un forum de concertation entre les divers partenaires, une sorte d’assises nationales qui donnent l’occasion aux deux parties de s’expliquer et de forger un nouveau cadre qui régira leurs négociations en cas de désaccords. « Assises » ne veut pas dire conférence, ni sensibilisation (on est toujours dans l’unilatéralisme). Il s’agit plutôt d’un cadre institutionnel de dialogue, où les autorités et les représentants des étudiants (syndicats, associations) travailleront pour établir des règles claires en matière de revendication et de résolution des problèmes qui les opposent. Il existe déjà, bien entendu, des règles qui régissent le fonctionnement des universités et la manière de poser les revendications étudiantes, mais force est de reconnaitre que s’il elles sont inefficaces, il convient de les refonder sur de nouvelles bases.

Pour réussir, ces assises (ce forum, pour faire plus simple), doivent requérir l’adhésion des principaux syndicats et associations, des responsables d’UFR, et la hiérarchie des universités. Elles doivent être assorties de normes impératives, prévoyant la punition selon la loi (expulsion de l’université, jugement devant les tribunaux) des étudiants manifestement troubleurs de l’ordre public, et aussi la possibilité, surtout la « capabilité » pour les étudiants de demander des comptes aux responsables quand les bibliothèques sont closes, les infrastructures en décombre, les transports inefficaces, les cités fermées sans préavis et la restauration avariée, etc.
Le forum pourra être organisé dans toutes les institutions de formation du pays, et devront s’étaler sur une longue période, au moins deux ans. L’objectif est de permettre aux divers partenaires de (ré) affirmer des règles claires, comprises et surtout acceptées par tous.

Elles devront être suivies par une phase d’information à grande échelle au sein des associations et syndicats étudiants, pour inciter au civisme, et mettre chaque étudiant devant ses responsabilités quand à l’impératif de respecter ces règles. Je crois à la bonne foi des responsables estudiantins de promouvoir et de se plier et à des règles qu’ils ont contribué à établir ; je ne doute pas non plus de la capacité, ni de la volonté des administrations à assurer un minimum de bien-être aux étudiants, même dans les situations d’urgence qui demandent un effort supplémentaire au-delà de leurs engagements initiaux.

Vous me direz qu’il est fastidieux et difficile de mettre en œuvre de telles conventions. Certes, mais est-il plus aisé de désamorcer des bombes perpétuellement prêtes à détonner, de recoller les morceaux après des détériorations de biens collectifs, ou de mobiliser les forces de l’ordre pour parer à des débordements de grévistes protestant contre des arrestations des grévistes précédemment arrêtés ? Rien n’est facile en réalité, sauf la latitude de le dire !

En définitive, il faut restaurer la légitimité des interventions de chaque acteur. L’administration doit apparaitre légitime d’entreprendre des actions coercitives contre des étudiants anarchistes, comme fermer une cité, annuler un examen, augmenter les tarifs dans la restauration, etc. Les étudiants doivent retrouver la légitimité de protestation contre l’administration quand celle-ci ne veut pas assumer ses responsabilités, avoir la liberté de se regrouper et de boycotter une décision unilatérale prise par la puissance publique, etc.

C’est la force implacable de la loi qui fonde la cordiale entente dans toutes les sociétés. Il est difficile d’imaginer qu’il en soit autrement au Burkina Faso

Laurent ILBOUDO, Doctorant en Economie à l’Université de Paris I : Panthéon-Sorbonne (lilboudo@yahoo.fr)

- (1) Le titre est de la rédaction

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