Actualités :: Embargo sur les armes en Côte d’Ivoire : A quoi joue le Burkina (...)

Le dernier rapport du comité de suivi des sanctions en Côte d’Ivoire met le Burkina Faso à l’index. Les Forces nouvelles seraient en train de se réarmer avec des armes qui proviendraient du Burkina Faso. Le rapport publié en septembre dernier est tout à fait embarrassant pour le facilitateur.

C’est un texte qui fait déjà du bruit, même si le gouvernement burkinabè, comme à son habitude, garde le mutisme. Publié en septembre d’abord dans une version anglaise, la traduction en français de ce texte est disponible depuis mi-octobre. Le rapport des experts traite de façon générale de la violation de l’embargo sur les armes qui frappe la Côte d’Ivoire depuis 2004. Le Burkina Faso est épinglé au paragraphe 145 et suivant de la manière suivante :
Les experts de l’ONU disent détenir de deux informateurs sûrs ; un haut responsable des Forces nouvelles et un commerçant qui fait des affaires entre le nord de la Côte d’Ivoire et la ville de Bobo-Dioulasso, des informations "cohérentes" et qui "s’étayent mutuellement" selon lesquelles il y aurait des "transferts d’armes et de munitions à partir du territoire burkinabè vers diverses localités du nord de la Côte d’Ivoire contrôlées par les Forces nouvelles". Selon les informateurs de l’ONU, ce transfert se fait en complicité avec des "parties burkinabè" qui agissent "à l’appui des Forces nouvelles".

Ce transfert concerne "des fusils d’assaut et des munitions de petit calibre destinés aux unités des Forces nouvelles présentes dans les villes de Ferkéssédougou et Korhogo". Ces cargaisons sont transportées, depuis Bobo-Dioulasso, par la route avec des camions d’ordinaire utilisés pour le transport du bétail. Les fusils et les munitions sont reconditionnés dans des sacs de riz.

Les experts expliquent le mode opératoire utilisé pour réaliser les transferts. Dans un premier temps, les numéros des armes sont minutieusement effacés. Ensuite les munitions sont sorties de leur carton d’emballage et sont reconditionnées dans des sachets plastiques. Avec les numéros sur les munitions, on ne peut pas remonter aux fabricants, par contre, les informations sur les emballages le permettent. En supprimant les emballages, les responsables du trafic ôtent toute possibilité de remonter aux fabricants.

Les enquêteurs de l’ONU avaient remarqué dans les magasins d’armement des Forces nouvelles, de nombreux sacs de riz et de cacao qui contenaient des munitions. Les informations des informateurs sont donc venus corroborer leurs constations sur le terrain. Un autre constat corroboré ; les numéros de série des fusils d’assaut, notamment les Kalachnikov, avaient été effacés avant expédition. En recoupant les informations et les constations de terrain, les experts arrivent à la conclusion suivante : "Si les numéros de série des armes étaient restés intacts, le seul moyen d’en retrouver l’origine aurait été de consulter les livres des fabricants en vue d’établir quel avait été l’État de réception.

Le Groupe conclut que si elles avaient acquis ces armes au détail sur le marché noir régional, les Forces nouvelles n’auraient guère eu de raisons d’éliminer les numéros de série et certainement aucune de le faire aussi complètement et systématiquement. En revanche, l’implication d’un État, dont les propres armes risquaient d’être retrouvées dans les documents de transfert, est l’explication la plus plausible de la suppression des numéros de série - que l’auteur en soit l’État en question ou les Forces nouvelles agissant sur son ordre".

L’un des informateurs des enquêteurs de l’ONU pense que le dernier transfert des armes au profit des Forces nouvelles daterait de décembre 2008. Les experts, eux, pensent que le transfert n’a jamais cessé. Leur opinion est fondée sur le constat suivant : le 14 février 2009 à Korhogo, lors d’un premier passage, le groupe avait inventorié, dans le dépôt d’armes de l’unité Fansara 110, une des milices des Forces nouvelles, au plus cinq sacs de munitions. Lorsqu’il est revenu, le 10 juin 2009, dans la même salle d’entreposage, il a constaté qu’elle contenait plus de 60 sacs de munitions. Interrogé, le personnel des Forces nouvelles sur place a été incapable de fournir une explication de cette augmentation.
Deuxième constat, les experts onusiens notent également la volonté des Forces nouvelles de renforcer leurs capacités militaires en acquérant du matériel de radiocommunication, des véhicules et des articles d’habillement de militaire.

L’enquête de l’ONU met en cause le Burkina Faso sur les effets d’habillement de militaire. Selon les enquêteurs, ces uniformes porteraient la marque d’un fabriquant français, le groupe Mark. Interrogé, ce fournisseur reconnaît avoir vendu ces uniformes qu’"aux ministères de la Défense du Burkina Faso et du Bénin ". Les enquêteurs de l’ONU ont demandé des explications aux deux pays indiqués qui ont répondu qu’ils n’avaient pas transféré d’uniformes aux Forces nouvelles et n’avaient pas non plus enregistré de pertes ou vols d’uniformes.

C’est donc incontestablement un rapport fort embarrassant pour le facilitateur burkinabè même si les experts ne sont pas allés jusqu’à accuser ouvertement le gouvernement burkinabè : "Tout en pensant que certaines parties au Burkina Faso sont impliquées dans le transfert d’armes et de munitions à des unités des Forces nouvelles, le Groupe ne dispose pas de données permettant de lier ces transferts aux autorités burkinabè ".
Le gouvernement ne serait pas directement impliqué, mais les enquêteurs insistent tout de même pour dire que "Cela dit, il soutient qu’il y a au Burkina Faso (et en particulier à Bobo-Dioulasso), des entités et des particuliers qui possèdent des intérêts commerciaux dans la région de la Côte d’Ivoire que contrôlent les Forces nouvelles (…) et qui ont donc suffisamment de raisons et de moyens d’aider les Forces nouvelles à acquérir des armes".

Du côté du gouvernement burkinabè, il n’y a pas encore de réaction officielle, mais il semble que l’ambassadeur du Burkina Faso à l’ONU, Michel Kafando, au cours d’une rencontre avec la mission des enquêteurs, aurait exprimé la désapprobation de son pays. Le Burkina Faso indique en effet, qu’il n’a pas été saisi officiellement du rapport avant sa publication et a exprimé sa désapprobation. C’est une position difficilement défendable, puisque les pays ont été régulièrement consultés par les experts et la réponse du Burkina Faso sur l’affaire des uniformes en est une preuve. Selon des informations non officielles, le ministère des Affaires étrangères du Burkina Faso aurait adressé des demandes d’information aux ministères de la Sécurité et de la Défense sur les allégations des experts de l’ONU. A quand le retour d’information ? Et comment ces informations seront-elles traitées ?

Il reste que la position de Blaise Compaoré dans ce dossier n’est pas enviable. Il ne peut pas être facilitateur dans un conflit fratricide et dans le même temps son pays se distingue régulièrement comme celui qui viole l’embargo. Nous disons pays, parce que les opérations incriminées sont attestées comme provenant du Burkina Faso. Les acteurs sont désignés comme étant des "entités" et des "particuliers" qui ont des intérêts dans la zone des Forces nouvelles. Le Burkina Faso, certes, ne contrôle pas totalement ses frontières, mais il est reconnu comme l’un des Etats de la sous région qui a la pleine maîtrise de son territoire. Des opérations de l’envergure de celles décrites par les experts de l’ONU ne peuvent pas prospérer durablement dans le pays sans que les services compétents ne s’en rendent compte. Surtout que ces transferts se font par la route et avec des camions destinés aux transports du bétail.

En attendant donc la réaction officielle du gouvernement burkinabè pour se faire définitivement une religion sur cette affaire bien malheureuse. En avril dernier déjà, c’était le commandant Fofié, l’un des trois sanctionnés de l’ONU, qui violait l’embargo avec les papiers burkinabè. Maintenant, c’est carrément la totale, puisque le pays sert de tremplin au réarmement des Forces nouvelles à la veille d’une élection présidentielle à haut risque dont l’ONU pense que "toute lutte pour le pouvoir dans le Sud se jouera dans les rues d’Abidjan et des principales villes (…)" L’ONU nous prévient donc d’un probable remake des événements d’octobre 2000 à Abidjan, quand les patriotes avaient investi la rue pour arracher le pouvoir à Gueï pour le donner à Gbagbo. A ce propos, poursuit le rapport de l’ONU, "le gouvernement est bien placé (…) il bénéficie du soutien de grands groupes de miliciens, dont les jeunes patriotes, bien organisés et armés".

Gbagbo aussi se réarme !

Le rapport des experts épingle également le camp Gbagbo qui n’a eu cesse de violer l’embargo sur le réarmement. L’ONU détaille les mécanismes de ce réarmement et les dangers qu’il fait planer sur le processus de sortie de crise.

Les experts de l’ONU pensent que le camp de Gbagbo se réarme de façon massive. L’unité militaire qui est au centre de ce réarmement, c’est la garde républicaine. Les enquêteurs de l’ONU n’ont jamais pu accéder aux installations de cette unité qui serait, de l’avis des autorités de la sécurité de Côte d’Ivoire, une unité vouée exclusivement à "assurer la sécurité du président de la République". Ce que conteste l’ONU parce qu’elle a observé "des unités de la garde présidentielle s’acquittant de fonctions autres que la protection présidentielle dans les rues d’Abidjan (…)

La garde républicaine est une unité militaire, qui relève directement du chef d’état-major des forces armées nationales de Côte d’Ivoire et est donc soumise aux inspections selon les résolutions du Conseil de sécurité".
Les méthodes de réarmement de Gbagbo sont complexes. Mais la principale source, ce sont les organismes qui gèrent le cacao et le café. Elles pourvoient en argent et commandent en sous main du matériel qui peut être aussi utilisé en cas de besoin par l’armée. Il y a aussi des structures fantoches de la société civile qui sont également de bonne couverture. C’est le cas du comité national de soutien aux forces de réunification (CONASFOR) qui fait régulièrement des dons à l’armée ivoirienne, sans qu’on ait une idée assez précise de la provenance des fonds de sa générosité.

Révélations inquiétantes

Alors que l’on se focalise sur les raisons qui vont motiver le nouveau report de la présidentielle ivoirienne prévue initialement pour le 29 novembre, le rapport des experts de l’ONU montre en certains de ses points que les protagonistes en réalité ne sont pas intéressés par les élections et ne sont pas prêts à faire les concessions nécessaires pour le retour définitif à la paix.

Le camp de Gbagbo est toujours convaincu que les Forces nouvelles vont finir par imploser. Il pense donc que ce n’est pas la peine de faire des concessions importantes. Pour être en bonne position au moment venu, le camp présidentiel organise et arme ses miliciens. Le redéploiement de l’administration dans le Nord serait une mesure symbolique qui n’indique pas l’imminence de la réunification. Le PDCI/RDA ne voudrait-il pas se laisser surprendre ? Il aurait annoncé, mentionne le rapport onusien, la création d’une milice en juillet 2009.

Le Burkina Faso du Facilitateur de la crise ivoirienne donnerait de véritables raisons de s’inquiéter. Le rapport mentionne, que des intérêts très forts au Burkina Faso ne verraient pas d’un bon œil le retour à la paix en Côte d’Ivoire. Il s’agit des "groupes" qui animent le trafic d’armes et profitent du transit des exportations de cacao des zones sous contrôle des Forces nouvelles. Ces intérêts puissants sont suffisamment identifiés pour que le gouvernement n’agisse pas.

Par Newton Ahmed Barry

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