Actualités :: Salamata Sawadogo, ministre de la Promotion des droits humains : « La (...)

Le ministre de la Promotion des droits humains, Salamata Sawadogo/Tapsoba lève le voile sur l’état des droits humains au Burkina Faso. Elle qui a été présidente de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) pendant quatre ans, parle avec aisance, dans cet entretien réalisé le 23 mai 2008 à Ouagadougou, des droits humains aux plans national que continental. Elle affirme que le plus souvent, c’est la volonté politique qui manque aux Etats africains pour mettre en œuvre les droits humains.

Sidwaya (S.) : Quelle est la situation actuelle de la promotion et la protection des droits humains au Burkina Faso ?

Salamata Sawadogo/Tapsoba (S.S.T.) : De nos jours, l’on peut dire qu’en ce qui concerne les droits civils et politiques, c’est-à-dire les droits de première génération ou les droits-libertés, il y a eu beaucoup d’avancées au Burkina Faso. Nous ne voulons pas dire qu’on peut dormir sur nos lauriers, car les droits civils et politiques sont à un niveau que tous les citoyens souhaitent. Mais il faut reconnaître qu’il y a des avancées très notables concernant les droits relatifs aux libertés fondamentales, individuelles et collectives. Personne ne peut contester le fait qu’il y a des progrès en matière de droit à l’information au Burkina Faso.
Il y a des améliorations à faire et j’ai été interpellée sur la question de l’accès à l’information dans l’administration publique. Le code de l’information prévoit l’accès à l’information dans l’administration, mais en ce qui concerne l’effectivité, il y a encore des choses à faire. Il y a peut-être des entraves dues à l’ignorance même du personnel public qui retient parfois des informations qui devraient être versées dans le domaine public. Ce qui veut dire qu’il y a un travail de formation et d’information à entreprendre à leur endroit. C’est vrai qu’en ce qui concerne la participation des femmes aux instances de prises de décision, la lutte est encore longue, mais les avancées sont significatives depuis quelques années.

S. : Le Burkina Faso semble à la traîne en ce qui concerne les droits économiques, socioculturels ?

S.S.T. : Comme dans d’autres pays, la réalisation des droits économiques, socioculturels est un peu en retard au Burkina Faso par rapport aux droits civils et politiques. Cela est dû au fait que pour la mise en œuvre des droits économiques et socioculturels, il y a une nécessité de ressources que l’Etat doit mettre en place pour l’effectivité de ces droits. Des ressources qui ne sont pas toujours disponibles dans les Etats en développement comme le Burkina Faso.
Malgré cette situation, on constate que des efforts ont été fournis et doivent être poursuivis. Concernant par exemple le droit à la santé, à l’éducation et les droits catégoriels, de nombreux efforts sont fournis. Nous avons notre projet du rapport sur l’état des droits des personnes handicapées au Burkina qui sera totalement au point dans les prochains jours.

S. : Où en est-on avec le plan d’action de votre ministère dont il a été question depuis longtemps ?

S.S.T. : Le plan d’action du ministère de la Promotion des droits humains est même vieux ! Nous sommes de nos jours à l’étape d’un plan stratégique qui a été élaboré et finalisé. Il couvre la période 2008-2010. Ce plan stratégique est accompagné d’un programme d’activités très ambitieux, mais réaliste pour que la connaissance des droits par nos populations soit effective. Nous avons un handicap qui est le fort taux d’analphabétisme des populations que nous essayons de rattraper par des programmes de théâtres-fora, la traduction de certains documents dans les langues nationales, des conférences et des ciné-débats à l’attention de ceux qui ne savent ni lire, ni écrire en français.
Dans notre programme d’activités, les jeunes sont pris en compte. Nous comptons introduire l’enseignement des droits humains dans le système formel.

S. : Le Burkina Faso s’est engagé dans un mécanisme dénommé « Examen périodique universel » (EPU). De quoi s’agit-il ?

S.S.T. : L’Examen périodique universel (EPU) est un exercice mondial qui a été mis en place à l’occasion de la création du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Dans les missions du Conseil des droits de l’homme, il est prévu qu’il fasse le point de la réalisation des droits humains dans chacun des 192 Etats membres de l’ONU. C’est dans ce cadre que l’EPU a été institué pour donner la situation des droits humains dans chaque pays. Pour la première année d’examen, 48 pays ont été retenus, dont le Burkina Faso.
Les pays à examiner sont tirés au sort par ordre de passage. Il ne s’agit pas d’une adhésion volontaire comme dans le cas du MAEP. L’examen s’applique à l’ensemble des Etats membres des Nations unies. Le Burkina Faso passe en décembre 2008. Nous sommes heureux de pouvoir participer à un tel exercice car cela peut nous aider à découvrir comment nos avancées sont perçues par d’autres Etats. Nous pourrons donc partager les expériences avec eux afin de conforter nos actions sur le terrain.

S. : Concrètement, comment cet exercice va-t-il s’exécuter sur le terrain ?

S.S.T. : L’EPU se fondera sur trois (3) documents essentiels. Le rapport national rédigé par l’Etat, en concertation large avec tous les acteurs des droits humains sur le terrain. Il ne s’agit pas de venir seulement présenter ce qui va et ce qui ne l’est pas, mais en plus, il faut formuler des propositions en vue d’améliorer la situation. C’est sur la base de tout cela que le rapport national qui ne doit pas dépasser 20 pages sera rédigé. Pour cela, il va falloir aller à l’essentiel, relever les problèmes cruciaux des droits humains et ce que nous voulons comme résultats. La société civile peut également élaborer son rapport de manière indépendante en rassemblant des informations fiables et crédibles qu’elle transmettra au Conseil des droits de l’homme qui l’examinera comparativement à notre document. Le document de la société civile devra être résumé en 10 pages.
Le troisième document est le rapport des Nations unies. Le Conseil lui-même se fondera sur des informations crédibles recueillies par ses propres moyens en vue d’un autre document n’excédant pas 10 pages. Ce sont ces trois documents qui serviront de guide pour l’exécution de l’EPU. Tous les instruments relatifs aux droits humains comme la Déclaration universelle des droits de l’homme, la charte des Nations unies, le pacte international relatif aux droits civils et politiques, etc, serviront de bases normatifs pour l’examen des pays.

S. : L’EPU est-il un effet de mode comme le NEPAD pour les Etats africains ou veut-on dire que le besoin se fait vraiment sentir ?

S.S.T. : L’EPU ne peut pas être un effet de mode. C’est un mécanisme qui est tout à fait nouveau et qui évaluera les Etats en toute transparence et sur une base égalitaire. Le reproche qui était fait à la Commission des droits de l’homme est qu’elle était partiale. Il y a des Etats que la Commission était prête à examiner volontairement, à pointer du doigt et à dénoncer des dérives dans tel ou tel domaine.
Alors que dans d’autres Etats, il y a des crises et la Commission des droits de l’homme ne faisait rien. Le Conseil des droits de l’homme a changé sa démarche. Et pour cela, le point de départ est d’examiner tous les Etats en les mettant sur le même pied. Ce n’est pas un effet de mode et il est bon que cet instrument international ait un regard plus profond sur les questions des droits de l’homme. Avant la mise en place de l’EPU, il n’y avait pas un mécanisme qui demandait de comptes aux Etats sur leurs engagements internationationaux pris en matière des droits de l’homme. L’Examen périodique universel vient pour signifier aux Etats qu’ils ont ratifié un certain nombre d’instruments qui font la promotion et la défense des droits humains. Qu’avez-vous fait ? Si vous n’avez pas la capacité, qu’est-ce qui pose problème ? A l’issue de l’examen, les conclusions seront adressées aux Etats sous forme de recommandations.
Il y aura un suivi, vu que l’examen se fera tous les quatre ans. Après donc le premier examen, quatre ans plus tard, quand vous allez pour être examiné, vous devez d’abord rendre compte de ce que vous avez fait pour mettre en œuvre les premières recommandations.
Il faut retenir que l’Afrique a déjà son EPU ; c’est le cas de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples qui fait cet examen période des Etats tous les deux ans. Ce qui est bien à l’EPU, c’est le dialogue inter-actif, c’est-à-dire que même dans les conclusions de l’examen, l’Etat intervient.

S. : Au regard de certains dossiers pendants et les violations des droits humains dénoncées par la société civile, n’avez-vous pas peur d’être accablée ?

S.S.T. : Je n’ai pas peur d’être accablée. Si la société civile soulève certaines questions et qu’elles sont pertinentes, nous les accueillons sans hésitation ; mais si elles ne sont pas pertinentes, nous nous opposerons en y apportant des justifications.
Nous sommes ouvert à ce que la société civile nous livre ses attentes. En matière de réalisation des droits humains, l’Etat à lui seul ne peut pas tout faire. Il faut le concours de tous. En cela, nous travaillons avec certains acteurs de la société civile qui agissent activement et nous apprécions positivement leurs actions en les accompagnant.

S. : Le Burkina Faso vient d’être élu au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Qu’est-ce qui a présidé à cette élection ?

S. S. T. : Chaque année, il y a des postes vacants au Conseil des droits de l’homme. Nous avons donc postulé. C’est une façon pour le Burkina Faso de travailler à contribuer à la promotion et à la protection des droits humains dans le monde, en Afrique et au Burkina Faso. Les élections ont eu lieu le 21 mai 2008 et le Burkina Faso a été élu par un score honorable. Nous avions besoin de 97 voix pour passer. Finalement, notre pays a été élu avec 180 voix sur les 192 pays membres. C’est le signe que les autres Etats membres de l’ONU font confiance au Burkina au regard des progrès réalisés en matière de droits humains malgré la modestie des moyens. Cette reconnaissance nous encourage à poser encore des actes forts.

S. : Certaines voix se sont élevées pour dire qu’un pays comme le Burkina ne mérite pas d’être élu au Conseil des droits de l’homme. Qu’en pensez-vous ?

S. S. T. : Je ne sais pas pourquoi l’on penserait que le Burkina Faso ne mérite pas d’être élu au Conseil des droits de l’homme ! Pourquoi les autres pays le méritent-ils et pas le nôtre ? Connaissez-vous un seul pays dans le monde qui puisse dire qu’il a mis en œuvre l’ensemble, la totalité des droits humains consignés dans les instruments internationaux ? Je ne le pense pas et je ne sais pas pourquoi on croît que le Ghana le mérite mieux que le Burkina. J’étais présidente de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples. Ma dernière session dans ladite commission a été tenue au Ghana en mai 2007. Je connais un peu la situation au Ghana et je sais qu’il y a aussi des problèmes. C’est un pays frère qui fournit beaucoup d’efforts et qui dispose de plus de moyens que le Burkina Faso, mais on ne peut pas soutenir que tous les droits humains y sont mis en œuvre.

S. : Après avoir été présidente de la Commission africaine des droits de l’homme, selon vous, qu’est-ce qui entrave l’application effective des instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme sur le continent ?

S. S. T. : Plusieurs causes expliquent cette situation. Si l’on prend les droits économiques et socioculturels, il y a une grosse part du manque des ressources qui pose problème. En ce qui concerne par exemple le droit à l’éducation, il faut beaucoup d’écoles, d’enseignants et beaucoup de matériels. Ainsi, dès que l’on ne parvient pas à acquérir ces infrastructures, naturellement on ne peut pas mettre en œuvre l’ensemble des droits liés à l’éducation. Pour ce qui est des droits civils et politiques, je ne dis pas que là, il ne faut pas un minimum de ressources car les institutions en ont besoin pour fonctionner, mais le plus souvent, au premier plan, c’est la volonté politique qui manque. Parfois, dans nos Etats africains, cette volonté politique n’est pas toujours affirmée et soutenue. Cela peut être un handicap. Par exemple, rares sont les pays qui ne se vantent pas de vouloir promouvoir les droits de la femme, mais la prise de la décision n’est pas toujours évidente. La pauvreté est également un fort handicap pour la réalisation des droits humains. Le Burkina Faso est d’ailleurs l’un des pays de la sous-région qui veut expérimenter le concept de la pauvreté saisi par les droits humains. Dans ce concept, la pauvreté est perçue comme une violation des droits humains.

S. : Quels rapports votre ministère entretient-il avec les organisations de défense des droits humains et la Commission nationale des droits humains (CNDH) qui n’hésitent pas à monter chaque fois au créneau ?

S. S. T. : De nos jours, la Commission nationale des droits humains est bien logée. Elle a un budget qui est encore logé dans notre département, mais qui ne souffre d’aucun problème de fonctionnement. Ils nous écrivent pour exprimer ce qu’ils veulent et nous leur envoyons la somme. Ce sont eux-mêmes qui justifient de l’utilisation de cet argent. Depuis que je suis là, j’ai de bons rapports avec la commission et je n’ai pas entendu qu’elle a des rapports difficiles avec l’Etat. Il faut comprendre que cette commission est tout à fait indépendante dans son fonctionnement.
Elle est pluridisciplinaire et on y trouve toutes les sensibilités. Son rôle est de pointer du doigt là où il y a des dérives liées aux droits humains. Quand la Commission nationale des droits de l’homme dénonce, nous ne nous sentons pas outre mesure offensée. Nous pensons bien au contraire que la commission a fait son travail. Mais elle a été mise là pour formuler aussi des propositions au gouvernement. Nous avons de très bons rapports avec la société civile. Nous nous concertons en permanence. Nous ne voulons pas que la société civile nous caresse toujours dans le sens du poil. Cela n’a pas de sens. Mais ce n’est pas parce que la société civile relève certaines choses pour lesquelles nous ne sommes pas d’accord que nous sommes à couteaux tirés. Ce que nous demandons à la société civile, c’est que, lorsqu’elle dénonce de façon pertinente des violations, qu’elle nous assiste dans la recherche de solutions. Notre département n’est pas créé pour contrer la société civile. C’est tout à fait le contraire.

S. : De nos jours, quelles sont vos priorités dans votre ministère ?

S. S. T. : Il y a tellement de priorités que je ne sais pas par où commencer. Mais la priorité est que les Burkinabè puissent être mis au courant des droits qui leur sont reconnus et d’aider à l’effectivité de ces droits. Cela passe par différents programmes et activités que nous comptons mettre en œuvre. Nous serons évalués en décembre, nous lançons donc un appel à tous ceux qui pensent qu’ils ont des préoccupations accompagnées de propositions de solutions de les partager avec nous afin que nous puissions les prendre en compte dans le rapport national. Nous souhaitons que le maximum de propositions nous parviennent pour que nous prenions en compte les plus importantes et les plus pertinentes.

S. : On constate que les structures de défense et de promotion des droits de l’homme sont la plupart dirigées par des femmes : FIDH, Amnesty international… Les femmes sont-elles plus sensibles aux questions des droits humains que les hommes ?

S. S. T. : Etre sensible aux droits humains n’est pas l’apanage de la gent féminine. Tout être humain devrait être sensible aux droits humains. Peut-être, les femmes s’en préoccupent beaucoup plus.
Parce qu’elles donnent la vie, elles sont plus portées à accorder un intérêt aux droits humains. Peut-être les femmes sont aussi beaucoup plus patientes que les hommes. Il y a actuellement une floraison d’associations et d’ONG qui se réclament tous travailler dans le domaine des droits humains. On a l’impression qu’il y a une querelle de leadership car quand on voit les objectifs de certaines associations, il transparaît qu’elles peuvent se mettre ensemble pour travailler à l’atteinte de leurs objectifs. Mais personne ne veut lâcher parce qu’il veut être à la tête. Quand on est à la tête d’un département pareil avec toutes ces associations, et que chacune, chaque semaine, demande une audience pour vous poser un problème. A peine l’on finit avec une association qu’une autre vient avec presque le même problème. Il faut avoir le sens de l’écoute, sinon cela peut être mal interprété.
Peut-être que beaucoup d’hommes ont compris qu’ils faut aider les femmes à accéder à ces postes. On n’y accède pas forcément par l’entremise des femmes. Je n’ai pas été proposée à ce poste par une femme. Ni le Président du Faso, ni le Premier ministre ne sont des femmes. C’est donc par le fait des hommes que nous sommes là. Ceux qui ne comprennent pas le combat des femmes doivent comprendre que celles-ci ne veulent pas prendre la place des hommes. Ce n’est pas cela le combat des femmes. Elles souhaitent être à la place qu’elles méritent dans les instances de décisions. Nous ne voulons pas que des femmes, mais nous voulons être aux côtés des hommes pour aussi donner le meilleur de nous-mêmes.

Jolivet Emmaüs
joliv_et@yahoo.fr
Ali TRAORE
traore_ali2005@yahoo.fr

Sidwaya

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