Actualités :: Projecteurs : Une guerre des théâtres au Burkina ?

Le théâtre burkinabè a été longtemps dominé par le théâtre d’intervention sociale ou théâtre de développement, inspiré par le théâtre de l’opprimé d’Agusto Baol et intégrant les aspects esthétiques de la théâtralité africaine.

Ce théâtre a été théorisé par les universitaires Guingané et Kompaoré, et vulgarisé par leurs troupes, le Théâtre de la Fraternité et l’Atelier théâtre burkinabè. Depuis quelques années, de jeunes praticiens tournent le dos à ce théâtre, et explorent d’autres voies ou reviennent au théâtre d’auteur. Plus que la contestation de l’hégémonie de ce théâtre, c’est le déni de celui-ci comme art par ces nouveaux venus qui nous intéresse. Cet article est un état des lieux, un sismographe qui veut enregistrer l’amplitude de cette secousse. Est-ce un tremblement de terre qui annonce le printemps du théâtre burkinabè ou juste une bulle d’humeur qui éclatera comme une bulle de savon ?

Quels sont ces jeunes qui instruisent le procès des aînés et rendent le théâtre du développement responsable de la morosité du théâtre burkinabè ?

• Ils ont entre 20 et 40 ans et sont acteurs, metteurs en scène et dramaturges, et veulent vivre de leur profession. Ils ont en commun d’avoir tous tété goulûment la mamelle de ce théâtre d’intervention. Et voilà qu’ils recrachent ce lait avec un tonitruant « pouah », comme des gosses qui ont longtemps idéalisé la mère, et qui découvrent sur le tard que celle-ci n’est pas vertueuse. Une sorte d’amour rentré ! En effet, ils reprochent au théâtre du développement d’être un théâtre « alimentaire » et de bouffer à tous les râteliers de l’humanitaire. D’être une call-girl de luxe s’abandonnant à l’étreinte du plus offrant. Il est vrai que les troupes pratiquant ce théâtre sont utilisées par des institutions internationales et des ONG dans des campagnes de sensibilisation. La course à la manne financière nuit à la qualité des prestations.

De là découle l’idée que ce théâtre sacrifie la qualité artistique et la recherche dramaturgique au profit du message.

• Un message très prosaïque sur l’hygiène corporelle, la pilule du lendemain ou la communalisation ! Message peu poétique, plus proche de la réclame que de la littérature. Disons que le théâtre de commande met en scène un monde manichéen, d’un côté les bons, et de l’autre, les méchants, qui refusent le changement de comportement. A la fin du jeu, le spectateur monte sur scène pour rectifier les comportements négatifs, c’est le forum ; il y a un échange entre acteurs et spectateurs, c’est le débat. Ce théâtre est, disent-ils, trop simplet au niveau du jeu d’acteur, et sa mise en scène est rudimentaire. C’est pour toutes ces raisons que le théâtre du développement maintiendrait le théâtre burkinabé dans un état de nanisme prolongé.

Que proposent-ils comme alternative pour donner à notre théâtre éclat et vigueur, poésie et fraîcheur ?

• Ils sortent du petit chapeau du magicien le théâtre... d’auteur ! Rien que ça ! Il s’agit de revenir à ce théâtre où le texte littéraire est impérial et tous les autres éléments théâtraux s’ordonnent pour le mettre en majesté. Ce type de théâtre permettrait de mettre en avant les textes d’auteurs africains ou burkinabè. A. Tarnagda, Heidi Kam, les frères Minougou et A. Fargass trouveraient des scènes pour leurs textes, et cela susciterait probablement des vocations d’écrivain.

En sus, il favoriserait l’émergence de metteurs en scène de talent, car « la mise en scène est la mise en regard synchronique de tous les systèmes signifiants dont l’interaction est productive de sens », selon Patrice Pavis. Ce qui veut dire que chaque mise en scène d’un texte d’auteur est une lecture personnelle de ce texte et, partant, une matérialisation de la vision du metteur en scène. Aussi ce théâtre obligerait les acteurs à un travail de construction des personnages qui en ferait des comédiens accomplis. Tout cela est vrai, ce théâtre peut aider à l’émergence d’un théâtre professionnel au Burkina, mais que donne-t-il sur le terrain à l’épreuve de la réalité ?

En toute bonne foi, on recherche vainement les avantages sus-énumérés. On reste dubitatif sur le gain pour le metteur en scène ou le spectateur dans une exhumation des pièces du 18e siècle français comme Monsieur de Pourceaugnac de Molière ou une plongée dans la dramaturgie scandinave de Hans Christian Andersen. Pourquoi célébrer un texte qui nous parle d’une voix distordue par deux cents ans de distance ou du pôle Nord ? Ou adapter à la scène Cosmétique de l’ennemi, un roman d’Amélie Nothomb, cette prophétesse du mal-être d’une jeunesse d’Occident, dorée et repue, ce qui est une prouesse, mais de peu utilité pour le public burkinabè ?

Il existe, bien sûr, des textes universels et des auteurs intemporels. Mais pour parler du mariage forcé, une saynète d’Hyppolyte Ouangrawa est mieux reçue que le sabir d’un Molière. Pour la mise en scène, à part quelques audaces de Hubert Kagambéga et d’Eva Doumbia, elle reste hasardeuse et tellement classique qu’elle semble tirée de l’archéologie du théâtre. Il faut avouer qu’une mise en scène de qualité est aussi difficile à trouver dans le théâtre burkinabè que la pierre philosophale. Et puis, ce théâtre d’auteur, à quel public s’adresse-t-il ?

A quelques expatriés nostalgiques et à une poignée de nationaux, élite oublieuse de sa population et exilée de sa réalité. Voilà la ligne de rupture entre le théâtre d’auteur et le théâtre d’intervention sociale, entre les publics cibles de ces théâtres. Le théâtre d’auteur s’adresse à un public urbain et à une élite cosmopolite, ouverte au monde. Le théâtre d’intervention sociale vise la population rurale et celle suburbaine qui vit à la périphérie de la Cité. Ce théâtre, en allant à la rencontre du Burkina réel, celui des campagnes, permet aux acteurs et au créateur de pièces de maintenir le lien avec ce milieu et de s’en faire l’écho.

L’artiste à l’écoute des paysans, de leur quotidien et de leur expérience s’en nourrit spirituellement. Sa création portera une trace de leurs vies et sa vie s’enrichira d’une mosaïque d’expériences. Par ailleurs, ce théâtre itinérant, parce qu’allant à la rencontre de son public, évite la sclérose par sa capacité à s’adapter et sa vocation à revendiquer l’éphémère. Ainsi, chaque soir, pour chaque représentation, la configuration de la place du village ou du site urbain qui reçoit la représentation oblige à un réajustement de la mise en scène ; l’environnement social et culturel du public contraint à des aménagements du contenu de la pièce ; une mort par balle devient une pendaison ou un empoisonnement selon le rapport que le public entretient avec le moyen de passer de vie à trépas.

En outre, la mobilité oblige à appauvrir le décor et les accessoires, à dépouiller la scène de sorte que tout ce que l’on perd en objets scéniques est compensé par le jeu de l’acteur. L’acteur, devenu le centre de tous les messages, doit donc avoir un jeu riche, fort et plurisémique. Ce théâtre fait appel, par conséquent, à la liberté et au génie de l’acteur par opposition au théâtre d’auteur, où l’acteur devient un pantin entre les mains du dictateur qu’est le metteur en scène.

Enfin, le reproche fait à ce théâtre, en rapport avec sa structure figée, ne tient pas à l’analyse. De tout temps, la codification n’est jamais ennemie du génie ; au contraire elle le révèle. Aussi, l’alexandrin et la théorie des 24 heures n’ont étouffé ni le génie de Corneille ni celui de Racine. Il nous semble donc que la critique faite au théâtre de développement serait justifiée si elle traduisait le besoin d’une génération de se définir par opposition à une autre, le besoin pour un genre artistique de s’affirmer et de s’implanter en niant le modèle qui l’a précédé ou même généré.

Mais l’insurrection exige un engagement artistique conséquent. Le problème du théâtre burkinabé n’est pas lié à un genre, mais à l’investissement des hommes dans ce métier, à la passion et à la graine de folie qu’ils mettront ou pas dans leur Art. Car de celui qui veut vivre de son art on attend un engagement de soi plus grand que celui du dilettante. Il est vrai aussi qu’il ne suffit pas d’aller à l’enterrement pour honorer le mort.

Barry Saidou Alceny

L’Observateur Paalga

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