Actualités :: La révolte d’Alassane Moumini en 1908 : Un très grand complot déjoué par le (...)

La colonisation n’a pas été un long fleuve tranquille. De l’exploration du continent africain à son partage en colonies, il y a eu non seulement des soudoiements, des tentatives de séduction mais aussi des combats, des résistants et des guerres sanglantes. En 1908, Alassane Moumini va se révolter contre la pénétration coloniale dans une partie de l’Afrique que l’on va appeler plus tard la Haute Volta. Mais qui est-il ? Et quels sont les raisons et les enjeux de cette révolte ?

La date de naissance d’Alassane Moumini n’est pas précise. Il serait né vers 1873 et 1878, à la veille des campagnes de Gazari contre les chaparisi et de Babatu en pays Gurunsi. Il fut le 5e fils de Moumini qui était un maître coranique et un iman de Ramongo. Grâce à l’amitié de son père avec Souleymane, celui-ci lui donna sa fille Sanfo Alizeta en mariage. De cette union va naître Mamadou, leur fils. La mère d’Alassane Moumini est d’origine yarga et son fils va bénéficier de cette alliance avec les Yarsé lorsqu’il sera question d’entreprendre des campagnes de propagande islamique.

Alassane a hérité de sa famille la foi islamique. Étudiant avec passion le Coran, apprenant le Tafsir du livre saint et dévorant les ouvrages du droit Makelil, il se révéla très tôt un excellent prédicateur qui attire les talibés de sa localité et même d’ailleurs. Cette renommée de grande envergure qu’il a acquise grâce à son zèle de prédicateur et sa connaissance des choses cachées vont l’amener à se prendre pour le « mahdi », une figure prophétique qui occupe une place très importante dans les représentations populaires islamiques. Le mahdi est une sorte de « justicier eschatologique chargé d’annoncer et de préparer la victoire des justes à la fin des temps ».

À Kirpirsi d’où il naquit, on lui attribua le nom de Moré, c’est-à-dire un marabout en langue moré. Ce nom signifie quelqu’un qui était capable d’accomplir des choses ne relevant pas de l’ordre de l’ordinaire, c’est-à-dire des miracles et des mystères. Alassane Moumini était connu pour ses actions extraordinaires, ses prouesses spirituelles…

Certains disaient qu’ils travaillaient avec les génies. En tout cas, à croire ces témoignages, « il était capable d’étaler une couverture suspendue dans le vide et quand il était se mettait à marcher, celle-ci se déplaçait et constituait une sorte de parasol qui le protégeait du soleil. » On dit également que les gens qui venaient lui rendre visite pouvaient observer dans une calebasse, des génies armés prêts à l’aider dans le djihad.

Alassane Moumini bénéficiait d’une confiance large des musulmans quant à leur protection et leur destinée, et ses actions étonnaient même les non-musulmans. Cependant, certains foyers musulmans conservateurs déniaient à Alassane Moumini le qualificatif de mahdi - c’est-à-dire le guide qui doit les conduire à la fin des temps - car, estimaient-t-ils, ils n’ont jamais vu de mahdi avec des scarifications mossies au visage.

Fin orateur, Alassane arrive à mobiliser des milliers de gens lors de ses passages dans les localités. Le Larlé Naaba à l’époque disait : « Les gens le croient lorsqu’il dit que les fusils des Français ne partiront pas devant sa lance ». Toute son énergie sera déployée dans ce sens, à préparer un assaut conséquent contre le système colonial.
L’arrivée des Occidentaux a suscité des révoltes au sein de plusieurs régions islamiques en Afrique.

Alassane Moumini va s’inspirer de ce constat et lancer lui aussi son mouvement de révolte dans sa localité, notamment à Ramongo, localité considérée comme son quartier général. Selon l’historien burkinabè Assimi Kouanda, on ne peut oublier les influences des musulmans du Nord Ghana, notamment les Walah dans le mouvement insurrectionnel lancé par Alassane Moumini. Il y a eu aussi le fait qu’il venait d’une famille musulmane. Son père était un iman et l’encourageait à lutter pour la foi islamique.

La préparation de la révolte d’Alassane Moumini fut d’abord sur le plan psychologique. Il assurait la population de son invincibilité à travers des propos et des prédications qui laissaient voir sa capacité de travailler avec les génies. Il impressionnait les populations de par son éloquence et sa maîtrise parfaite des codes secrets de l’islam. C’est ainsi qu’il a pu gagner l’adhésion quasi-totale et massive des populations à son projet insurrectionnel. Hommes et femmes étaient convaincus qu’Alassane Moumini possédait en lui tous les pouvoirs magiques pour mettre en déroute la présence coloniale.

Sa principale cible, c’était Ouagadougou, la capitale du Mogho, qui était sous contrôle des colons français. Sûr de lui-même et de sa puissance militaire, il n’hésitait pas à dire qu’il fêtera la prochaine fête de Tabaski à Ouagadougou. Grâce à ses pouvoirs mystiques, les gens croyaient en ce qu’il disait et espéraient qu’il les délivre un jour de la contrainte coloniale. Même les nanamssés (les rois) se sont laissés convaincre par la personnalité mythique d’Alassane Moumini.
Il a établi des contacts avec le Kombissiri Naaba et le Mogho Naaba pour réussir son mouvement insurrectionnel.

Le thème mobilisateur de la révolte fut principalement le refus de payer les impôts. Les indigènes croupissaient sous le poids de l’impôt qui augmentait de jour en jour. En effet, celui-ci était passé de 31 000 F CFA en 1906 à 55 000 F en 1908. Ceux qui n’arrivaient pas à payer étaient humiliés, assujettis aux travaux dégradants et parfois emprisonnés dans les grands cercles. Alassane Moumini promettait de délivrer les gens de cette imputation sauvage. Son discours fort éloquent contre le colon fut très bien accueilli dans les villages et beaucoup se mobilisèrent pour participer aux combats.

Le fait étrange, c’est l’adhésion des rois et des dignitaires traditionnels à un projet à connotation islamique. Presque tous les chefs étaient secrètement favorables au projet de révolte du marabout contre le colon et attendaient son accomplissement pour se manifester officiellement. Même si l’argument de l’impôt était utilisé pour la mobilisation, il était clair que le dessein ultime du marabout c’était d’étendre l’islam partout dans la région.

L’opérationnalisation de la révolte débuta le mois de janvier 1908 lorsqu’Alassane Moumini quitta Ramongo (un village proche de Koudougou), sa base armée, pour se rendre à Kumlèla. Il partit avec un contingent de soldats impressionnant, notamment plus de 2 000 combattants armés. À Kumlèla, l’accueil fut grandiose et il était tout confiant de prendre la direction pour Ouagadougou, le lieu qui symbolise la présence coloniale. Cependant, Kumlèla était sous l’autorité de Kologh-Naaba. Alassane Moumini voulait que ce chef se convertisse à l’islam. Lorsque ce dernier a refusé, le marabout entra de force dans la concession et y détruisit tous les fétiches qui s’y trouvaient. Le Naaba Bulga de Kologh-naba, tout furieux, informa le colon et demanda une intervention du grand cercle de Ouagadougou.

C’est ainsi que les Français, qui suivaient de près les propos révolutionnaires du marabout, dépêchèrent une troupe composée de dix gardes de cercles et de 60 miliciens armés, sous la conduite de Vadier et Dufrenoy, pour éteindre le mouvement insurrectionnel d’Alassane Moumini. Le 14 janvier 1908, les troupes s’affrontèrent et Alassane Moumini fut tué dans le combat, avec plusieurs de ses compagnons de guerre.

La troupe française poursuivit sa progression et mit Ramongo sous contrôle le 17 janvier 1908, malgré les contestations de ses habitants et la résilience des gens de Kipirsi. Cela marquera la fin du mouvement insurrectionnel qui, à en croire à tous les témoignages, fut d’une ampleur incroyable, tant l’influence d’Alassane Moumini avait atteint son paroxysme.

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net
Réf : Burkina Faso, cent ans d’histoire : 1985-1995.P580
Crédit photo : image du passé en Afrique de l’ouest.

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