Actualités :: Burkina / Lutte contre la corruption : « Des expériences montrent que le (...)

Annoncé le 21 février 2024 en conseil des ministres, le décret pour faciliter la dénonciation des faits de corruption et infractions assimilées ainsi que des mauvaises pratiques dans l’administration a été signé le 14 mars 2024 par le président de la transition Ibrahim Traoré. Dans cet entretien accordé au journal Lefaso.net le samedi 16 mars 2024, le secrétaire exécutif du Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC), Sagado Nacanabo, estime que cette décision peut contribuer positivement à la lutte contre la corruption si les choses sont bien conduites.

Le conseil des ministres a adopté le 14 mars 2024 un décret portant dénonciation des faits de corruption et infractions assimilées ainsi que des mauvaises pratiques dans les administrations publiques. Ce décret prévoit une prime d’encouragement aux dénonciateurs. Quelle appréciation faites-vous ?

Sagado Nacanabo : Pour nous, à priori, c’est une bonne décision car c’est un décret qui, dans son format global, doit inciter les citoyens à dénoncer les faits de corruption et infractions assimilées ainsi que les mauvaises pratiques qu’on rencontre dans l’administration publique. Idéalement, on s’attend à ce que ceux qui dénoncent la corruption ne s’attendent pas à être récompensés d’une certaine manière. Mais on sait aussi que le fait de prévoir des récompenses avec des mécanismes d’incitation peut amener à booster davantage la dénonciation et à lutter contre la corruption. Il y a des expériences qui montrent que le versement des primes contribue à accroître les dénonciations et améliorer le recouvrement des avoirs mal acquis.

En quoi ce décret peut-il contribuer à une lutte plus efficace contre la corruption ?

Pour le moment, il y a beaucoup de choses qui ne sont pas précisées dans le décret puisqu’il est annoncé un arrêté qui va certainement donner les précisions nécessaires. En attendant, on ne sait pas encore les modalités de récompense des dénonciateurs. On ne connaît pas non plus les conditions ni la structure chargée d’assurer les paiements aux dénonciateurs.

Ces détails importants seront certainement clarifiés par l’arrêté interministériel qui va permettre l’opérationnalisation du décret. C’est après cela qu’on pourra mieux apprécier l’apport de ce décret dans l’efficacité de la lutte contre la corruption. Néanmoins, on peut aussi s’interroger sur des éléments importants contenus dans le décret. Par exemple, il est mentionné à l’article 5 que la dénonciation est faite au supérieur hiérarchique de la personne incriminée et en faire une copie à la présidence du Faso. Pourquoi la présidence et pas une institution de lutte contre la corruption ?

Est-ce que les primes concernent uniquement les dénonciations faites auprès du supérieur hiérarchique avec transmission d’une copie à la présidence ou bien c’est toutes les autres dénonciations dans la mesure où l’article 4 dit aussi que la dénonciation est faite auprès des structures habilitées. Quelles sont les types de dénonciations qui doivent être faites auprès des structures habilitées ? Là aussi, est-ce qu’il faut en faire copie à la présidence du Faso ? À mon avis, ce sont des points à éclaircir davantage.

Selon vous, la récompense ne dénaturerait-elle pas le procédé même de la dénonciation qui doit être une révélation désintéressée des faits aux autorités en ce sens que le dénonciateur ne cherche à obtenir aucun gain personnel ?

L’idéal, c’est que le citoyen qui dénonce la corruption ne s’attende pas en retour à un avantage ou à un gain financier personnel. Cependant, ce n’est pas mauvais d’encourager les gens qui peuvent permettre à la collectivité de rentrer dans ses droits et de prévoir, en fonction de ce qu’ils peuvent faire rentrer, un encouragement pour permettre de booster la lutte contre la corruption et la fraude. Si les choses sont bien faites, cela ne doit pas dénaturer en principe la dénonciation. On a vu des expériences dans d’autres pays comme le Nigéria où cette forme d’encouragement a permis de booster les dénonciations et d’avoir de meilleurs taux de recouvrement des sommes qui ont été indûment spoliées à l’État.

Mais là encore, c’est l’arrêté qui va permettre de voir les prévisions sur les garde-fous. Par contre, avec l’ASCE-LC, nous avons initié une proposition de loi portant protection des lanceurs d’alertes. Cette proposition s’intéresse plus aux mesures de protection des dénonciateurs parce que le dispositif actuel s’avère insuffisant en la matière. Or il nous semble que cela est aussi d’un enjeu capital pour favoriser les dénonciations. Nous avons déposé ce projet au ministère en charge de la justice et nous espérons qu’il va aboutir.

D’autre part, l’espoir d’un gain éventuel peut augmenter le risque de dénonciations sans fondement même si celles-ci peuvent être de bonne foi. Comment prévenir les dérives sans compromettre l’effet recherché par la mesure à savoir encourager les dénonciations et permettre à l’État de recouvrer au maximum les fruits de la corruption et de la fraude ?

Normalement si les choses sont bien conduites, il ne devrait pas y avoir de dérives. Il y a aussi des dispositions dans les textes déjà existants qui répriment la dénonciation calomnieuse. Le présent décret vise ces dispositions puisqu’il est explicitement écrit que si vous faites des dénonciations calomnieuses et visant à nuire à un tiers, vous pouvez être poursuivi. Toutefois, une dénonciation peut être faite de bonne foi mais être sans fondement. Dans ce cas, il appartient à ceux qui vont traiter les dénonciations d’effectuer des vérifications rigoureuses. C’est au bout de la chaîne qu’on pourra apprécier si la dénonciation est faite de bonne foi et voir ce que celle-ci peut apporter pour éventuellement évaluer aussi ce que le dénonciateur peut gagner. Aussi bien les acteurs de la lutte anti-corruption que les dénonciateurs, tout le monde attend les précisions nécessaires avec l’arrêté pour pouvoir mieux apprécier.

Les défis de la lutte contre la corruption sont actuellement nombreux. Mais en ce qui concerne notre dispositif juridique et institutionnel, est-ce qu’il n’était pas plus urgent de procéder à une révision de la loi N°004-2015 portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso ainsi que de celle N°005-2017/AN portant création, organisation et fonctionnement des pôles ECOFI pour entre autres renforcer la déclaration d’intérêts et de patrimoines au niveau des assujettis en facilitant la détection des cas d’enrichissement illicite, renforcer les mesures de protection des dénonciateurs et surtout permettre un meilleur fonctionnement des pôles judiciaires spécialisés dans la répression des infractions économiques et financières ?

Sur la question de l’urgence, chacun définit ses priorités. Si le gouvernement estime aujourd’hui que c’est ce décret qui est prioritaire, c’est son droit puisque c’est lui qui est au gouvernail. La lutte contre la corruption est avant tout l’affaire de l’État. La société civile y contribue mais c’est l’État qui a le dernier mot. Nous espérons que les autres révisions en cours ne vont pas être abandonnées parce que nous aussi nous avons une proposition de relecture de la loi sur les pôles ECOFI. On a aussi transmis cela en bonne et due forme au ministère en charge de la justice. Au niveau de l’ASCE-LC, il y a des révisions sur la déclaration d’intérêts et de patrimoine.

Nous osons croire que ce décret ne va pas empêcher la poursuite et l’aboutissement de ces différentes révisions car c’est toutes ces mesures prises ensemble qui vont renforcer la lutte contre la corruption dans notre pays. Pour que la question du délit d’apparence avance véritablement, il est important de mieux traiter les déclarations d’intérêts et de patrimoine.

Si ce mécanisme n’est pas renforcé, le délit d’apparence va être difficile à établir. Toujours dans cette dynamique, il faut travailler à l’informatisation du fichier cadastral. Ce sont des questions qui sont en cours. Mais comme nous sommes dans un pays où tout semble prioritaire, le gouvernement avance avec sa propre vision. Nous on ne rentre donc pas dans l’appréciation de ce genre de priorisation.

Quelles solutions préconise le REN-LAC aussi bien à l’échelle des individus que de l’État pour vaincre la corruption au Burkina Faso ?

La lutte contre la corruption doit allier les mesures de prévention et de répression. Pour nous, le point de départ doit être avant tout la volonté politique et l’exemplarité au sommet de l’État. Si au sommet de l’État, on donne le bon exemple, ça devient plus facile de s’attendre à ce que les citoyens emboitent le pas. Ensuite, pour la prévention, il faut sensibiliser notamment la jeunesse et à grande échelle pour espérer avoir des Burkinabè intègres parce que le tout réside dans l’intégrité du Burkinabè.

Au niveau de l’administration, il faut aussi des mécanismes qui permettent de réduire ou de minimiser au maximum les opportunités de corruption parce que si vous avez des citoyens intègres et de faibles opportunités de corruption, le phénomène va nécessairement décroître. Il faut faire en sorte qu’il y ait la traçabilité dans toutes les dépenses ; qu’il y ait la transparence, la redevabilité et la participation citoyenne. En effet dans les administrations, certains pensent que les citoyens n’ont pas leur rôle, alors qu’ils sont usagers du service public. Ils peuvent être auteurs ou victimes de corruption.

Qu’en est-il de la répression ?

Une fois les mécanismes de prévention mis en place, on peut recourir à la répression. À ce niveau, il faut que les structures chargées de réprimer et de poursuivre les auteurs d’actes de corruption, puissent faire leur travail en toute indépendance parce que la corruption sévit à tous les niveaux. Dès lors que la machine répressive est bien huilée et que les sanctions suivent comme il se doit, le glas de l’impunité ne peut que sonner. En ce qui nous concerne, nous pensons au REN-LAC que l’impunité fait le lit de la corruption.

Si les corrompus n’arrivent plus à jouir du fruit de leur corruption, ils n’auront plus le courage de s’adonner à la pratique. À l’échelle individuelle, chaque citoyen doit faire un examen de conscience et se poser la question suivante : « est-ce que je suis réellement un Burkinabè, c’est-à-dire un homme intègre ? » Une fois qu’il aura répondu à cette question qu’il s’est posée lui-même, il pourra s’engager dans la lutte contre la corruption en ayant pour vision l’avènement d’une société engagée dans son ensemble pour la défense et la promotion de l’intégrité et la bonne gouvernance.

Quelles sont vos attentes vis-à-vis de la société burkinabè ?

Nous voudrions surtout inviter les pouvoirs publics à donner le bon exemple. L’exemplarité, la transparence, la traçabilité de toutes les dépenses publiques, la redevabilité et la participation citoyenne sont des bonnes pratiques qui favorisent la bonne gouvernance. Le citoyen doit veiller à la bonne marche de la cité parce qu’il est le principal bénéficiaire des réalisations. À ce titre, il a non seulement le droit mais aussi le devoir de s’engager dans la lutte contre la corruption et la mal gouvernance.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net

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