Actualités :: La guerre du Baní-Volta : Le colon humilié

La guerre du Baní-Volta fut l’une des guerres les plus meurtrières qu’a connu l’Afrique au moment de la colonisation. Elle s’est déroulée de 1915 à 1916 précisément dans la Boucle de la Volta et s’est vite étendue vers l’est jusqu’au cercle de Ouagadougou, et vers l’ouest aux rives du fleuve Bani, dans les cercles de San, Koutiala et Bandiagara dans le Soudan français. Dans cette guerre, les colons vont faire face à des résistants de plus en plus nombreux et solidaires qui ont usé de tous les moyens dont ils disposaient pour rétablir leur dignité et leur honneur.

La première guerre mondiale exigeait du colon un redéploiement de ses soldats de la métropole vers le front de la guerre. Aussi, pour palier au déficit humain, plusieurs recrutements seront initiés en vue de grossir le nombre de soldats au front. La tentative à partir du 5 octobre 1915 d’appliquer des circonscriptions des 50.000 hommes réclamés en métropole a vite entraîné des grognements et des refus au sein de la population. La guerre a commencé le 17 novembre 1915, quand une femme Yankasso qui venait d’accoucher, mourait suite à des tortures infligées par le colon qui avait initié des travaux de construction de routes dans le village de Bona, situé sur les boucles de la Volta, à une cinquantaine de kilomètres au sud de Dédougou.

Suite à ce meurtre, plusieurs habitants de villages vont se lever pour protester contre les traitements dégradants et humiliants du colonisateur. Ainsi, plus de 550 000 insurgés, composés de Bwaba, Dafing, San, Bobo, Toussian, Marka, Samo, Fulbe (Peuls), Tusia, Sambla, Lela, Nuna, Winye (Ko), Minianka, Dogon, Dioula, Gourounsi et Mossi du Centre-ouest vont se dresser pour la première fois contre la horde de l’establishment colonial.

Mais au-delà de ce fait déclencheur, les raisons de cette résistance sont à rechercher dans la nature même de la présence coloniale qui se définissait comme une mission de civilisation à l’endroit de « peuples barbares » qui n’ont aucune notion d’ordre, de progrès et de discipline. C’est ainsi que l’un des vieux partisans de la guerre déclarait ceci : « les Blancs sont venus chez nous ; nous les avons acceptés croyant qu’ils se comporteraient comme les Peuls, c’est-à-dire sans se mêler de nos affaires. Tout leur appartient désormais dans ce pays : nos biens, nos femmes, nos enfants, et nous-mêmes. Qu’est-ce qui nous reste encore ? Ils ridiculisent et même interdisent nos coutumes et les choses sacrées héritées de nos aïeux, les cicatrices, pour que nous ne reconnaissions plus nos enfants ».

Ceci dénote le caractère structurel de cette guerre qui n’était rien d’autre qu’un combat entre dominés et dominants, esclaves et maîtres pour la dignité et la liberté. De par leur formation initiatique, les Bwas et les Markas étaient revêtus de tous les pouvoirs mystiques pour faire face à ce qui menaçait leur honneur et leur liberté. D’après Nazi Boni, dans le bwamu la devise est « plutôt Humu-la-mort que Wobanu-l’esclavage ! »

Les premiers affrontements furent à l’avantage des anticoloniaux du Volta qui maîtrisaient parfaitement l’architecture des villages et qui avaient une connaissance profonde du terrain face à un adversaire dépaysé. Bien mobilisés, ils ont réussi à démolir les occupations coloniales mettant en déroute le colon et sa puissance de feu. Cet acte héroïque sera reconnu par le gouverneur général de l’AOF, Marie-François Clozel, en ces termes : « Jamais nous ne pûmes cerner un village et en ramasser tous les défenseurs. Les indigènes ont fait preuve de beaucoup de bravoure et de mordant…derrière leurs murs en terre, ils nous tuèrent beaucoup de monde sans grande perte ».

Le Colon dans les premières batailles a perdu beaucoup de soldats et était obligé de se replier. C’est sur la ville de Dédougou que le colonel Molard a stationné après la défaite de ses hommes pour préparer la contre offensive. Vue la généralisation du mouvement de révolte et les victoires engagées ça et là par les résistants sur le théâtre des opérations, le colonel a écrit au gouvernement de l’AOF pour faire appel à de nouvelles forces disponibles dans les colonies voisines comme le Dahomey, la Guinée, Côte d’Ivoire et le Haut Sénégal Niger pour revenir en force. Le renfort a consisté au déploiement supplémentaire de quatre compagnies d’artillerie et d’une section de mitrailleuses, de moyens d’artillerie et de plusieurs centaines de milliers de cartouches.

La victoire des habitants de la Volta s’arrêta là car ils ne seront plus capables de faire face à ce désastre qu’ils venaient de subir face à cet arsenal militaire impressionnant qui a été déployé. Patrick Royer, spécialiste de l’Afrique coloniale et de la résistance africaine à la conquête coloniale, montre clairement que le gouverneur général de l’AOF, a demandé « des moyens modernes et surtout un aéroplane qui, tout en impressionnant très fort les rebelles, causeraient des dégâts tels qu’ils abandonneraient leurs villages sans attendre l’assaut ». L’administration coloniale est arrivée effectivement à la victoire grâce à environ 5 000 soldats mobilisés, qui ont pris part aux combats, appuyés par la force de feu de six canons et de quatre unités de mitrailleuses.

Un combattant s’est illustré dans cette guerre par son leadership dans la mobilisation des habitants face à l’ennemi. Yisu Koté, puisque c’est de lui qu’il s’agit, fut le principal instigateur des préparatifs de la guerre. Issu du village de Bona, il a laissé l’image d’un leader à la fois infatigable et rassembleur. Il partait de village en village pour mobiliser les habitants à prendre les armes pour lutter contre l’oppression et l’humiliation qu’ils subissent du colon. Grâce à son charisme, il fut écouté à chaque fois qu’il pénétra dans un village. Les villageois se sont convaincus de la nécessité de mener la guerre quel que soit le prix à payer. Yisu Koté a joué un rôle majeur dans les préparatifs de cette guerre. Il peut être perçu comme un homme courageux, un leader dont le charisme a été important dans la mobilisation des habitants.

Ce qui frappe d’abord dans cette guerre, c’est l’esprit de l’union dans le sacrifice, dont font preuve les habitants de la Volta qui ne possédaient pourtant pas, pour la plupart, des systèmes politiques d’organisation ou des institutions centralisées et fédérales. Malgré les différences linguistiques, culturelles et religieuses, les habitants de la Volta se sont levés comme un seul homme contre le colon. Sur le plan religieux, il est à noter que les musulmans et les non musulmans ont su mettre de côté leurs croyances pour faire face à la guerre. Patrick Royer note à juste titre qu’« En dépit de différences considérables, les musulmans et la majorité non musulmane de la population ne constituaient pas deux secteurs indépendants de la société ».

Dans le domaine de l’ethnie, presque toutes les ethnies qui existaient dans la zone ont fédéré leurs forces pour bouter hors de leurs frontières les colons. La révolte a gagné du terrain. Elle a connu l’implication des ethnies et des zones hétérogènes qu’on ne pouvait imaginer qu’elles s’associeront pour faire un front commun. Ce fut une surprise générale car les colons ont sous-estimé la capacité d’organisation et de mobilisation des habitants… Pour le gouverneur, cette union dans le combat a été possible grâce à la volonté des colonisés de se débarrasser du joug colonial qui pesait lourdement sur eux.

Si les habitants de la Volta ont combattu avec des gourdins, des flèches, des frondes, des arcs, des fusils artisanaux, ils vont se nourrir aussi de gris-gris pour mettre en déroute les premières expéditions coloniales. La dimension mystique en tant que partie intégrante de la guerre ressort clairement dans les quelques témoignages de combats ayant eu lieu dans les années précédant l’occupation coloniale. L’attaque de villages fortifiés était une entreprise extrêmement périlleuse, non seulement pour des questions d’ordre tactique mais pour des raisons moins tangibles, prenant la forme de pouvoirs occultes, qui insufflaient une véritable terreur aux assaillants.

En 1890, le capitaine Quiquandon, détaché auprès du chef Tieba à Sikasso, dans le sud-est du Mali encore indépendant, avait assisté à l’attaque du village du village de Kinian. Celle-ci s’interrompit brusquement quand Kouroumina, le faama (chef) de Kinian, apparut dans une brèche de la muraille entourant le village afin d’encourager ses soldats. Quiquandon rapporta : « une barrière de crainte à renverser chez les sofas (soldats), un charme à briser… Un village de faama ne se prend pas comme cela, me disaient-ils ; on ne sait jamais ce qu’il y a dans un village comme cela ; Kouroumina a de forts gris-gris … »

Malheureusement, les gris-gris étaient entourés de conditions à suivre et la non observance de l’une des conditions pouvait les rendre inefficaces. Les barrières d’ordre mystique brisées par la trahison étaient une explication populaire pour la chute et la défaite des résistants colonisés même si l’on ne peut occulter la supériorité de la puissance de feu de l’adversaire.

Sources :
- Patrick Royer, dans Autrepart, 2003. P35-51
- Coulibaly Céleste Joseph Moussa, « La Guerre du Bani-Volta (1915-1916) » Harmattan, 2017
- Nazi Boni, Crépuscule des temps anciens

Wendkouni Bertrand Ouédraogo
Lefaso.net

Photo : time.graphics

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