Actualités :: Affaire Boukary Dabo : Séni Kouanda, ancien président de l’ANEB, retrace les (...)

Une manifestation estudiantine dispersée par des commandos sur le campus de Zogona. Une chasse à l’homme jusque dans les domiciles privés. Des étudiants torturés au conseil de l’entente. Dabo Boukary en meurt. C’était la triste actualité en mi-mai 1990. Sans langue de bois, le Dr Seni Koanda relate les évènements chronologiquement et citent des acteurs. « On n’accuse personne, mais nous voulons connaitre la vérité », clame le clandestin de 1990, aujourd’hui docteur en médecine, dans une interview qu’il a accordée au Faso.net en mai 2015 et que nous re-publions à l’occasion de l’ouverture du procès ce 19 septembre 2022.

Lefaso.net : Quel était le contexte des manifestations sur le campus en mai 1990 ?

Seni Koanda : En 1990, nous étions en Etat d’exception sous la direction du Front populaire du capitaine Blaise Compaoré. L’un des démembrements du Front Populaire était le bureau des comités révolutionnaires de l’université de Ouagadougou. C’était donc dans un contexte d’absence des libertés démocratiques au niveau national et sur le campus. Pour exemple, le bureau des comités révolutionnaires de l’université de Ouagadougou avait été institué comme un échelon administratif. C’est-à-dire que si notre organisation, l’ANEB, voulait mener une activité, nous devrions lui demander l’autorisation. Il donnait son avis avant qu’on ne fasse parvenir la demande au rectorat de l’université qui décidait finalement. Le bureau des comités révolutionnaires était même allé jusqu’à demander à avoir un pouvoir discrétionnaire sur les bourses des étudiants.

Tout avait été mis en œuvre pour empêcher notre organisation de mener ses activités. Nous avons de la documentation qui montre comment il refusait systématiquement la tenue de nos activités.

Là c’était le contexte général…

Oui, il y a une situation particulière au niveau de l’Institut des sciences naturelles/Institut de développement rural (ISN/IDR), l’actuelle Unité de formation et de recherche en Sciences de la vie et de la terre (UFR/SVT), dirigé à l’époque par Alfred Traoré. Il y a avait une situation particulière parce qu’en plus des aspects de liberté, le système des examens était ultra sélectif. Les étudiants dans la corporation ont décidé de s’organiser et ont déposé une plateforme revendicative. Ils n’ont pas eu l’autorisation, mais ont tenu à organiser l’assemblée générale dans un amphi qui n’était pas occupé.

Là c’était dans la matinée du 15 mai. Suite à cela, dans la soirée à la radio nationale puis à la télévision nationale, il y a eu un communiqué du ministre des enseignements secondaire et supérieur et de la recherche scientifique qui excluait de l’université de Ouagadougou, non seulement la direction de la corporation (ISN/IDR, Ndlr.), mais tout le comité exécutif de l’ANEB.
A cause du problème d’un institut, on exclut tout le comité exécutif. On a voulu frapper fort en décapitant le comité exécutif.

Président de l’ANEB à l’époque, vous attendiez-vous à une telle extrémité ?

Non ! C’est vrai que la veille, on a été convoqué par le secrétaire général du ministère des enseignements secondaire et supérieur et de la recherche scientifique qui nous enjoignait de lever le mot d’ordre de grève de L’ISN/IDR. Nous avons répondu que nous n’étions pas la direction de corporation, mais le comité exécutif, on ne pouvait donc pas lever le mot d’ordre d’une corporation et que si des discussions étaient ouvertes avec la corporation, les étudiants ne manifesteraient pas.

Mais on ne s’attendait pas du tout à ce que tout le bureau exécutif, tous les membres de la corporation, des militants, soient exclus en même temps de l’université de Ouagadougou. Nous étions tous surpris par l’ampleur des évènements et cela a révolté les étudiants. Nous étions au 15 mai et le lendemain, spontanément, nous nous sommes retrouvés à l’université et nous avons tenu un premier meeting à l’ISN/IDR. Meeting au cours duquel il y avait le secrétaire du Comité révolutionnaire de l’université, Bamba Mamadou et le secrétaire général de l’Union nationale de la jeunesse du Burkina, Clément Sawadogo. A l’issue du meeting, décision a été prise de marcher sur le rectorat.

Quand nous sommes arrivés, il y a avait les commandos du conseil de l’attente, mais aussi, Mouhoussine Nacro, le ministre des enseignements secondaire et supérieurs et de la recherche scientifique et Alain Nidaoua Sawadogo, le recteur.
Nous avons fait une installation sommaire pour tenir notre meeting. A la tribune, il y avait le secrétaire général, Soulama Soungalo et moi-même, président, pour nous adresser aux autorités. Peu après, Salif Diallo est venu et à ordonner la dispersion de la manifestation.

Vous êtes formel, Salif Diallo a ordonné la dispersion de la manifestation ?

Je suis formel, Salif Diallo a ordonné la dispersion de la manifestation. Dans tous les cas, nous avions pris nos dispositions, notre sécurité a réussi à nous exfiltrer et nous mettre en lieu sûr. Après cela, il y a eu la chasse à l’homme sur le campus, du 16 au 20 mai. Non seulement sur le campus, mais aussi aux domiciles des responsables de l’ANEB et des militants. Il y a eu des indicateurs, notamment les membres des comités révolutionnaires qui indiquaient les domiciles. Moi-même, mon domicile a été visité par feu Gaspard Somé qui était au conseil, accompagné de Bamba Mamadou, le délégué CR de l’université.

Salif Diallo dit qu’il était juste de passage…

Je vais vous dire que je suis formel que Salif Diallo était là avant la dispersion de la manifestation. Alain Nidaoua Sawadogo l’a d’ailleurs reconnu dans une interview. Salif Diallo dit aussi qu’il était sur le campus ce jour-là. Là c’est une certitude. La seule question, reste ce qu’il faisait sur le campus. Il dit qu’il se promenait sur le campus, je m’interroge. Un proche conseiller du président Compaoré à l’époque qui se promène sur le campus pendant qu’il y avait un mouvement d’étudiants, je suis effaré. C’est à la justice de trancher sur ce que Salif Diallo faisait sur le campus le jour des évènements.

Après la dispersion de la manifestation, des étudiants ont été arrêtés dont Dabo Boukary, comment cela est arrivé ?

La police et les commandos du conseil de l’entente ont visité les domiciles des étudiants. Dans la matinée du 19 mai, nous avons déjoué la vigilance des forces de l’ordre et nous avons pu tenir un meeting sur le campus, en faisant croire aux forces de l’ordre que le meeting devrait se tenir à la bourse du travail. C’était important pour installer une direction provisoire de l’ANEB, nous avions peur qu’il ait une récupération.

Le comité exécutif qui a tenu le meeting est sorti d’une villa des 1200 logements. C’était le domicile d’un de nos délégués que nous avons quitté pour rejoindre le terrain, aujourd’hui terrain DABO Boukary. Quand nous avons fini le meeting, nous avons continué ailleurs. Les commandos ont tendu un traquenard au domicile du camarade des 1200 logements et toux ceux qui y venaient étaient arrêtés systématiquement. Le camarade Dabo est venu au domicile et c’est là qu’il a été arrêté, en même temps que le camarade, propriétaire de la maison. Ils ont été amenés le 19 mai au conseil de l’entente.

Avez-vous soupçonné sa mort juste après son arrestation ?

Evidemment, le bruit a couru trop vite. Dès qu’il y a eu les évènements, nous avons eu l’information. Dès le 20 mai, nous étions au courant de ce qui s’était passé. Nous avions des camarades déjà arrêtés et qui étaient au conseil. Mais aucune voix, aucune personnalité n’a jamais eu le courage de dire officiellement que Dabo est mort. Dans un premier temps, on a fait croire qu’il s’était évadé du conseil. Ensuite, on a admis plus ou moins qu’il est mort. Il n’y a aucun acte de décès, il n’y a pas de tombe pour Dabo. Nous pensons que c’est inhumain, pour sa famille, pour ses camarades.

Salif Diallo aurait intercédé pour la libération de certains étudiants, c’est ce qu’il prétend…

Je n’en sais rien. Ce qui est certain, c’est que quelques étudiants ont été libérés, mais d’autres sont restés plus d’un an au conseil de l’entente et ont été enrôlés dans l’armée. Ils n’ont été libérés qu’à la faveur de l’adoption de la constitution du 2 juin 1991. Les membres du comité exécutif de l’ANEB étaient dans la clandestinité pendant tout ce temps. Dire qu’il a fait libérer des étudiants, je n’en sais rien. Voilà pourquoi il est important que la justice fasse son travail et qu’il y ait un débat contradictoire. On n’accuse personne, mais nous voulons connaitre la vérité. On a vu des gens à un moment donné, dans des situations précises, nous estimons que ces personnes ont des informations qui doivent nous conduire à la manifestation de la vérité. Il faut noter que le MBDHP a exclu Salif Diallo de ses rangs, suite à ces évènements.

25 ans après la mort de Dabo Boukary, le Burkina vit un contexte particulier. Le pouvoir en place à l’époque a été chassé par la rue. Pensez-vous que la période de la transition soit favorable à l’éclatement de la vérité ?

En tout cas, nous espérons. Il y a deux ans, nous avons été entendus par le juge. Nous avons témoigné. Nous avons dit qu’il y a deux personnes clés qui peuvent nous éclairer sur le décès de Dabo. Salif Diallo et Gilbert Diendéré, à l’époque capitaine.

Pourquoi ces deux ?

Nous voulons comprendre le rôle de Salif Diallo sur le campus le 16 mai 1990. Pour le général Gilbert Diendéré, nous savons de source sure, que c’est lui qui a ordonné l’enlèvement du corps de notre camarade. Il doit savoir qui a fait quoi, ayant conduit à la mort de notre camarade. Nous l’avons dit au juge. On devrait pouvoir savoir qui a tué Dabo et pourquoi ? Où il est enterré ? Que l’Etat puisse assumer sa part de responsabilité et que les individus qui y ont participé assument leurs responsabilités.

Il y a deux ans, quand nous rencontrions le juge, le général Gilbert Diendéré était chef d’Etat-major particulier du chef de l’Etat. Actuellement, il ne l’est plus. Nous sommes dans une nouvelle situation et nous pensons qu’il peut être entendu par la justice. Après ce qui s’est passé les 30 et 31 octobre, avec la transition, nous estimons que le dossier Dabo Boukary devrait être ouvert et devrait beaucoup avancer. Dans tous les cas, nous avons foi que tôt ou tard, la vérité sera faite.

Après que le juge vous a auditionné, y a-t-il eu une suite ?

Après les deux ans, plus rien. Il n’y a plus eu d’écho jusqu’à présent. C’est aux organisations démocratiques et révolutionnaires de se battre pour que tous ces dossiers soient ouverts.

Avez-vous l’impression que ce dossier est relégué au second plan par rapport à d’autres qui font l’objet d’instruction actuellement ?

Tout le monde reconnait que la justice a un problème et que beaucoup de gens ne veulent pas rouvrir les dossiers de crimes de sang. C’est quelque chose de très inquiétant. Peut-être que certains qui sont aujourd’hui dans la transition ont travaillé avec le régime Compaoré. C’est pourquoi nous devons rester vigilants. Les lignes doivent bouger, dans le cas contraire, nous ferons en sorte qu’elles bougent.

25 ans, c’est véritablement trop. Il n’est pas acceptable qu’aujourd’hui, ceux qui ont assassiné des fils de ce pays, continuent de se promener allègrement. Leur chef a fui, mais ceux qui sont là doivent répondre. Justice doit être faite pour Dabo et tous ceux qui ont été assassinés par le régime Compaoré.

Comment avez-vous vécu la période après l’exclusion et dans quel contexte vous avez réintégré l’université de Ouagadougou ?

Nous sommes entrés dans la clandestinité parce que nos têtes étaient pratiquement mises à prix par la police et les militaires du conseil. Ils sont même venus chez moi, embarquer un camarade avec qui je logeais. Ils l’ont mis dans le coffre du véhicule avant de se rendre compte que ce n’était pas moi et ils l’ont libéré. Notre représentant à la commission constitutionnelle a été arrêté en plein jour au cours des travaux. Nous avons été accueillis par notre peuple qui nous a logés, et nourris pendant toute cette période, au péril de la répression qui pouvait s’abattre sur lui.

Grâce au combat mené par le mouvement démocratique et à la faveur de l’adoption de la constitution, il n’était pas acceptable qu’on nous maintienne dans cette situation, d’où la réintégration prononcée par le ministre des enseignements secondaire et supérieur et de la recherche scientifique. On a continué nos études après avoir perdu deux années académiques. Beaucoup étaient des étudiants en médecine, on est tous devenus des médecins, d’autres sont aujourd’hui professeurs, juristes, docteurs en gestion.

Il semble que certains d’entre vous sont allés continuer les études à l’extérieur ?

Pendant que nous étions dans la clandestinité au Burkina, les membres des comités révolutionnaires disaient aux étudiants qu’ils luttaient pour des gens qui ont eu des bourses pour s’inscrire à l’extérieur, en Allemagne, en France… je dis bien, aucun, aucun militant de l’ANEB n’est sorti du Burkina pour s’inscrire à l’extérieur. Nous ne sommes allés nulle part. Je me souviens que j’étais dans la clandestinité avec mon secrétaire général et qu’il a entendu cela, il a dit qu’il sortait. Il a fallu lui mettre la pression pour l’empêcher de sortir. Parce que c’était peut-être un stratagème pour nous avoir.

Maintenant que la situation est loin derrière, où étiez-vous ? Qui vous a logé ?

(Rires) je ne vous dirai pas qui m’a logé, où j’ai logé, parce qu’on n’en sait jamais. Je ne le souhaite pas, mais peut-être qu’une situation peut survenir et j’aurai encore besoin de cette planque ou quelqu’un d’autre en aura besoin. Mais nous n’étions pas en un seul lieu. C’était dangereux. Il a fallu bouger de temps en temps. Dans toutes les familles où nous avons été, il y avait du respect, les gens se sont bien occupés de nous et c’est un devoir aujourd’hui de leur dire merci.

Par exemple, là où nous avons été le premier jour, le propriétaire était en construction. Le bâtiment n’avait pas de chappe, on a dormi sur une natte. Mais l’ambiance était conviviale, il nous remontait le moral.

Entretien réalisé par Tiga Cheick Sawadogo
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