Actualités :: Colonel à la retraite Charles Lona Ouattara : “Aucun système ne résiste à (...)

Il fut l’un des compagnons d’armes du défunt Thomas Sankara avec qui il a fait une partie de son cursus scolaire au lycée Ouezzin-Coulibaly de Bobo avant d’embrasser la carrière militaire. Pur produit de l’académie militaire Saint-Cyr en France, cet officier de l’armée burkinabé a été l’un des témoins oculaires sinon un acteur des changements politiques intervenus dans notre pays depuis le CMRPN du colonel Saye Zerbo jusqu’à l’avènement de la révolution d’août 83. Contraint à l’exil par ses anciens frères d’armes à la tête du CNR, Charles Lona Ouattara, car c’est de lui qu’il s’agit, fera valoir pendant plusieurs années ses compétences à l’extérieur pour le compte des Nations unies en Afrique, à la société de construction aéronautique de Toulouse, à l’OIAC (organisation d’interdiction des armements chimiques) aux Pays-Bas, etc.

Rentré au bercail en 2010, ce colonel à la retraite n’a toujours pas dit son dernier mot. Et c’est de son village de Ouéléni dans la Léraba où il s’est installé qu’il suit avec une certaine amertume l’évolution politique au Burkina. Dans cette interview qu’il nous a accordée, Charles Lona Ouattara, récemment installé comme premier responsable de l’UPC dans la Léraba, nous donne un aperçu de son parcours militaire avant de jeter un regard critique sur la situation nationale. Pour lui il y a urgence à opérer des changements pour un réel développement de notre pays.

On ne peut pas dire que vous êtes vraiment connu du grand public. Pouvez-vous vous présentez davantage à nos lecteurs ?

• J’ai aujourd’hui 61 ans et je suis un colonel de l’armée à la retraite. J’ai commencé mes études secondaires au Lycée Ouezzin-Coulibaly de Bobo où j’étais avec Thomas Sankara jusqu’au BEPC. Ensuite nous avons passé ensemble le concours d’entrée au PMK et c’est là que nous avons obtenu le BAC en 1969. J’ai été par la suite admis à l’école spéciale militaire Saint-Cyr en France et Sankara à l’académie militaire d’Antsirabé de Madagascar. Nous sommes revenus tous les deux au pays comme officiers pour servir ensemble.

Nous sommes passés brièvement dans le gouvernement du colonel Saye Zerbo et nous faisions partie des onze membres du comité directeur du CMRPN. J’étais le responsable des programmes et Sankara le secrétaire d’Etat à l’information. En novembre 1982 des camarades dont Thomas Sankara vont se saisir militairement du pouvoir. Ils ont institué le CSP I, puis le CSP II jusqu’à l’avènement de la révolution en août 1983.

Quel rôle vous avez joué dans cette prise de pouvoir en août 1983 ?

• Rien du tout. Parce que je n’étais pas d’accord avec eux. Pour moi la place des militaires, c’est dans les casernes. Personnellement j’ai cherché à servir mon pays en évitant désormais toute implication politique. La politique, c’est pour les civils et non les militaires. Malgré le fait qu’on ne pouvait pas rester dans le pays tant qu’on n’était pas d’accord avec ces révolutionnaires, je me suis consacré à des tâches militaires dans les casernes durant la première année de la révolution. Et c’est en fin 1984 que j’ai compris que je ne pouvais pas continuer avec eux et j’ai décidé de partir.

Quel a été votre point de chute ?

• Je me suis retrouvé aux Nations unies et j’ai commencé à travailler comme consultant au Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) à Nairobi parce que ma femme était Kenyane. Quelque temps après, j’ai bénéficié de la part du gouvernement français d’une bourse de 3e cycle pour un doctorat en aéronautique à Toulouse. Ensuite je suis rentré en 1988 à la société de construction aéronautique de Toulouse.

J’y suis resté jusqu’en 1994 et c’est à ce moment que l’entreprise avait perdu beaucoup de marchés au profit de Boeing aux Etats-Unis. Tant que vous n’arrivez pas à vendre, vous fabriquez moins. L’entreprise a alors été obligée de mettre au chômage technique les ingénieurs nouvellement recrutés. C’était mon cas puisque je suis arrivé en 1988. De Toulouse, je suis reparti à New York et j’ai trouvé un poste aux Nations unies.

Et depuis 1994, j’ai été successivement chef des opérations aériennes de la MINUAR au Rwanda, ensuite à l’UNAVEM en Angola, puis en République centrafricaine et en RD Congo. En 2000 je suis reparti au Pays-Bas où j’ai occupé le poste de directeur de logistique de l’OIAC (l’organisation d’interdiction des armements chimiques) jusqu’en 2006, date de mon retour en Afrique. Et c’est en République démocratique du Congo que je vais à nouveau servir, cette fois comme conseiller en matière d’aviation civile du ministre congolais des transports.

Vous dites que vous étiez le chef des opérations aériennes des Nations unies. De quoi vous occupiez-vous exactement ?

• Le chef des opérations aériennes ne vole pas, il ne pilote pas. C’est simplement un chef pilote ou un ingénieur qui a à sa charge toute la flotte aérienne des Nations unies. En Angola par exemple, j’avais sous mes ordres plus de 250 appareils. J’assurais le planning des vols, le déploiement des hélicoptères, le transport des troupes qui sont les Casques bleus. Et la première fois que les troupes burkinabé ont servi sous les Casques bleus, c’était en Centrafrique. J’étais aussi responsable des mouvements terrestres et maritimes.

Avez-vous vraiment été contraint de quitter le pays en 1984 ?

• J’avais estimé qu’il n’était pas question pour les militaires que nous sommes de nous impliquer dans la politique. Pour moi l’armée ne doit pas faire de la politique. Cela ne veut pas dire qu’on ne doit pas voter. Nous sommes des électeurs silencieux. Il n’est pas tolérable de voir un militaire battre campagne pour n’importe quel parti politique comme on en voit aujourd’hui. J’ai donc été en désaccord total avec mes anciens camarades à l’époque parce que les militaires sont astreints à l’obligation de réserve. Ce qui était loin d’être le cas avec le CNR.

Oui, mais est-ce que vous le leur avez signifié en son temps ?

• Je le leur ai fait savoir de vive voix et c’est pourquoi je n’ai pas activement pris part aux activités du CNR. Sankara avait voulu que j’assume des responsabilités au niveau du secrétariat général des CDR qui était la deuxième structure la plus puissante de la révolution, mais j’ai refusé. Et depuis lors les brouilles se sont accentuées entre lui et moi jusqu’à ce que je quitte le pays en fin 1984 pour le Kenya.

Pourtant il semble que vous étiez au Mali et o, vous a même accusé d’avoir pactisé avec l’ennemi lors du conflit frontalier en 1985 ?

• C’est vrai, j’avais été accusé de participer au côté du Mali à l’envahissement de mon propre pays. Ce qui était totalement inexact. Je pense plutôt que c’est mon refus de collaborer qui paniquait les révolutionnaires. Ils ont persécuté mes parents après moi. Mon oncle et mon frère ont été emprisonnés pendant une année et sans preuve. Et jusqu’à l’heure où je vous parle aucune compensation financière pour les dédommager. Moi-même j’ai été condamné à mort par contumace par les tribunaux populaires de la révolution. Parce que j’étais présenté comme un traître à la nation. Et depuis mon départ j’avais coupé tout lien avec le Burkina.

Mais vous aviez au moins des informations sur Sankara et la révolution ?

• Avant de partir en fin 1984, j’avais la certitude que cette révolution ferait long feu. J’étais pessimiste parce que simplement j’ai été formé à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr en France et c’est l’une des meilleures écoles militaires au monde. Là-bas, il faut par exemple un BAC +5 pour être sous-lieutenant. Alors que pour certains de nos camarades, c’était simplement le BAC+2 sans aucune qualification universitaire. A Saint-Cyr, les renseignements militaires de l’OTAN nous ont permis de savoir que l’URSS allait éclater au bout de 15 ans.

Nous étions en 1974. Effectivement en 1989 le mur de Berlin est tombé. Tout cela pour dire que nos petits régimes dits communistes qui étaient adossés à l’URSS n’allaient pas pouvoir survivre sans cette puissance. C’est ce que nous avons appris à Saint-Cyr alors que mes camarades qui ont été formés en Afrique n’avaient pas ces renseignements. Quand ils ont déclenché la révolution, j’avais tout de suite compris que ce serait de courte durée et donc je ne m’y intéressais pas tellement. L’avenir m’a donné raison.

Avec la mort de Sankara et l’avènement de la rectification, vous avez cherché à renouer le contact avec les rescapés de la révolution ?

• Pour moi rien n’avait changé. C’était plutôt la continuité. Et vous avez vu la suite des évènements avec ces nombreuses éliminations physiques. Je veux surtout parler de la mort de Jean Baptiste Lingani, d’Henri Zongo et de bien d’autres camarades. Franchement je ne pense pas que j’ai eu tort de me dissocier de cette révolution.

Pourquoi avez-vous choisi de rentrer au pays maintenant ?

• Tôt ou tard j’allais y revenir parce c’est mon pays. Je pense aujourd’hui que j’ai beaucoup de choses à partager avec les Burkinabè et je dois dire que le développement de ce pays est une préoccupation pour moi. Nous sommes en démocratie et pour moi c’est le moment de m’exprimer sur l’avenir de la nation. Je suis un militaire à la retraite et je ne suis plus astreint à l’obligation de réserve.

Je m’engage alors à faire de la politique, même si actuellement au Burkina on assiste à un semblant de démocratie. Parce qu’il n’y a pas mal de partis politiques qui sont de purs produits du régime en place. Notre démocratie en réalité n’est qu’un faire-valoir pour l’étranger. N’empêche, il y a un habillage qui nous permet de parler aujourd’hui et c’est la partie la plus intéressante.

Vous en avez visiblement gros sur le cœur contre le régime actuel

• Je reproche surtout au pouvoir en place sa longévité. 24 ans au pouvoir ça use et aucun système ne résiste à l’usure. Ensuite le niveau de corruption au Burkina a atteint le seuil de l’intolérable. Je reproche aussi au pouvoir en place de ne pas créer les conditions pour une véritable alternance démocratique, de ne pas travailler à assainir la situation financière du Burkina. Parce que vous savez que l’économie de ce pays est entre les mains de quelques individus et je trouve cela inacceptable.

Le Burkina a été secoué ces derniers temps par une série de mutineries dans les casernes. Votre commentaire ?

• Ces mutineries des soldats montrent bien que quelque chose ne va pas dans notre armée. Pour moi, les officiers qui les commandent ne sont pas à la hauteur. Il n’y a plus de leader dans notre armée parce que je ne peux pas comprendre que le président de la république se voie obligé de recevoir directement les soldats. C’est au commandement militaire de le faire et ce commandement aujourd’hui a montré ses limites.

Aujourd’hui je ne vois pas cet officier qui peut redresser la barre. Parce que la révolution et le système qui ont suivi ont introduit dans les casernes, la politique. Et c’est l’une des principales raisons de ces mutineries. Je suis vraiment désolé de constater qu’aujourd’hui nous avons une gestion politique de notre armée.

Vous voyez la flopée de colonels qu’on a et ces généraux nommés à la pelle. Voilà qu’aucun d’eux n’a pu se faire respecter devant les soldats qu’ils n’ont pas pu calmer. Et çà c’est très grave pour notre armée. Pour moi il n’y a qu’un seul général digne de ce nom et plutôt préoccupé par ses recherches scientifiques et dont je me garde de citer le nom.

Quelle lecture faites-vous de la situation nationale dans son ensemble ?

• Je suis très inquiet. Laurent Gbagbo a seulement fait dix ans et pour le faire partir il a fallu l’intervention des forces étrangères et des morts par dizaines voire par centaines. Et quelqu’un qui a fait 24 ans et qui veut modifier l’article 37 pour s’éterniser au pouvoir, je crains fort pour mon pays parce que je ne sais pas dans quelle condition la transition va s’effectuer.

C’est inquiétant et je pense que le président Blaise Compaoré doit avoir le courage de partir à la fin du mandat qu’on lui a donné démocratiquement. Je ne souhaite pas à ce beau pays une destinée tragique comme on en a vu ailleurs. il serait souhaitable qu’il renonce à modifier l’article 37 et qu’il s’en aille au terme de son mandat.

Que pensez vous de l’opposition burkinabé ?

• Je ne la trouve pas très sérieuse. Pas mal de leaders politiques d’opposition étaient avec le CNR et moi j’étais contre la révolution. Tous ces politiciens qui ont flirté avec le CNR et qui sont aujourd’hui responsables de partis politiques, je ne les prends pas un seul instant au sérieux parce qu’ils n’ont jamais eu une bonne vision. Voilà pourquoi j’ai préféré adhérer à l’UPC (Union pour le progrès et le changement de Zéphirin Diabré) qui est un jeune parti très ambitieux et avec lequel j’espère contribuer au changement tant souhaité par les Burkinabè dans leur majorité.

Quelles sont alors vos ambitions ?

• Nous prônons le changement à l’UPC et dans l’immédiat nous préparons les municipales et les législatives de 2012. Quand nous parlons de changement, c’est d’abord dans les mairies et à l’hémicycle. Nous travaillons à cela dans la Léraba et nous mettrons tous les atouts de notre côté pour hisser haut le flambeau du parti dans la province.

Serez-vous alors candidat le moment venu ?

• Oui, à la députation

Propos recueillis par Jonas Apollinaire Kaboré

L’Observateur Paalga

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