Actualités :: CGD Ouagadougou le 2 Mars 2010 : Lettre ouverte aux honorables députés de (...)
Augustin Loada, directeur du CGD

Honorables Députés, Le Rapport du mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP) présenté à Son Excellence monsieur Blaise Compaoré Président du Faso le 24 juin 2009 souligne que « la question de la limitation constitutionnelle des mandats présidentiels à deux mandats au maximum apparaît comme une question controversée. Supprimée, puis rétablie dans la Constitution de 1991 au terme de 2 révisions constitutionnelles successives, elle demeure l’objet d’appréhension et d’incertitude au sein du microcosme politique autant que dans la société toute entière.

L’actuel président du Faso a déjà exercé la magistrature suprême durant 20 ans et la question de savoir s’il passera la main ou tentera de réviser la Constitution en vue d’une pérennisation de son pouvoir, à l’exemple de certains de ses pairs, demeure la grande inconnue politique des toutes prochaines années. Le panel observe que la question mérite une attention particulière et il souhaite fortement de ce point de vue, que la solution retenue repose sur un large consensus politique et tienne bon compte des nécessités de la consolidation de la démocratie, de la paix et de la stabilité du Faso » (extrait du Rapport du MAEP, point 179, p.115). C’est en droite ligne de ce rapport, élaboré à la demande du gouvernement du Burkina Faso, et auquel ont contribué toutes les forces vives de la nation, que nous voudrions, par la présente, attirer votre attention sur les graves menaces sur la consolidation de la démocratie, de la paix et de la stabilité du Faso que font peser les velléités de braconnage constitutionnel tendant à faire sauter la clause limitative du nombre de mandats présidentiels.

Honorables Députés, Il n’est point besoin de s’appesantir ici sur le bien-fondé de la limitation du nombre de mandats présidentiels et sur les dangers du juridisme qui a souvent servi d’argument aux fossoyeurs de la démocratie. Les arguments sophistes faisant état du caractère « anti-démocratique » de l’article 37 de la Constitution n’ont convaincu personne. Autrement, vos devanciers, et même certains d’entre vous qui ont siégé dans la législature précédente, n’auraient certainement pas voté pour la restauration en 2000 de la clause limitative contenue dans l’article 37 de la Constitution. Il vous souviendra que le chef de l’Etat avait pris l’engagement, en réponse aux recommandations du Collège des Sages, de « consolider le dialogue avec tous les acteurs politiques et sociaux aux fins de résorber le déficit de dialogue et de communication, facteur de négation d’une réconciliation nationale durable ». Notre président fait beaucoup sur la scène africaine pour la consolidation de la paix. Cela force l’admiration et fait notre fierté. Mais qu’adviendra-t-il si le pays du facilitateur s’embrase ? Loin d’être des « prophètes de l’apocalypse », nous voudrions simplement vous inviter à ouvrir les yeux sur la réalité de l’Afrique et du Burkina Faso du 21e siècle qui ne veut plus se laisser régenter comme avant.

Honorables Députés Personne n’est opposé par principe aux révisions constitutionnelles. Comme l’a soutenu avec pertinence la Conférence épiscopale Burkina-Niger tenue à Fada N’Gourma du 15 au 21 février 2010 en sa 2e assemblée plénière annuelle, « il est normal que des réformes régulières, opérées avec sagesse permettent aux institutions d’assurer toujours un mieux-être aux populations. Il reste cependant que pour cet article 37, nous ne devons pas fermer les yeux sur l’histoire récente de notre pays, sur notre environnement régional et mondial. Les graves soubresauts qui ont mis en danger la paix sociale et qui ont abouti à la mise en place du Collège de Sages pour réfléchir et proposer une stratégie de sortie de crise, commandent à tous plus de vigilance et de retenue. Le rapport du Collège des Sages du 30 juillet 1999 stipule, au nombre des solutions pour résoudre la crise dans le domaine politique, de ‘revenir sur la modification de l’article 37 de la Constitution et y réintroduire le principe de la limitation à deux mandats présidentiels consécutifs. En effet, sa révision en 1997, quoique conforme à l’article 164, alinéa 3 de la Constitution, touche à un point capital pour notre jeune démocratie : le principe de l’alternance politique rendu obligatoire par le texte constitutionnel de 1991’.

Cela signifie qu’à un niveau constitutionnel, tout changement doit viser le bien commun et non les avantages de groupes particuliers ; la justice sociale est à ce prix. Le travail du Collège des Sages, nous nous en souvenons, a contribué énormément au retour de la paix sociale. Il y a donc lieu de se poser la question à qui profiterait un retour en arrière en amendant de nouveau l’article 37 pour y faire sauter la limitation des mandats présidentiels consécutifs. Cela garantirait-il la paix sociale, ou nous conduirait-il devant les mêmes turbulences ? Surtout quand on sait que beaucoup de dossiers pendants de l’époque, notamment les crimes économiques n’ont toujours pas trouvé de solution. Il faut rappeler le principe prôné par le Collège des Sages, en sa recommandation 2.2.1 : ‘Toute légalité et toute légitimité tirant leur source de la Constitution, celle-ci doit faire, tant dans son esprit que dans sa lettre, l’objet d’un strict respect’ ».

Honorables Députés, Rien qu’à côté de nos frontières, le dénouement tragique du « Tazarche » doit nous faire réfléchir. Que les manipulations de la Constitution soient effectuées de manière grossière ou subtile avec les apparences de la légalité de la procédure de révision comme ce fut le cas dans notre pays en 1997 relève de la même logique. Entre ce qui s’est passé au Burkina en 1997 - que certains veulent rééditer encore aujourd’hui - et ce qui s’est passé au Niger, il n’y a pas de différence de fond. C’est en effet la même logique, c’est la même obsession, à savoir la volonté de s’accrocher au pouvoir. Comme l’a si bien dit l’ancien Secrétaire général des Nations Unies Kofi Annan, « il n’est pas de plus grande sagesse, de marque plus évidente du sens de l’Etat que de savoir, le moment venu, passer le flambeau à la génération suivante. Et des gouvernements ne devraient pas manipuler ou modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir au-delà des mandats prescrits qu’ils ont acceptés lorsqu’ils ont pris leurs fonctions…

Les Constitutions existent pour servir les intérêts à long terme des sociétés et non les objectifs à court terme des dirigeants » (Sidwaya n° 5044 du Mardi 13 juillet 2004, p. 2). C’est pour n’avoir pas compris cela que les chantiers du président d’un pays frère se sont brutalement effondrés un 18 février 2010. La sagesse vous commande de méditer sur une telle mésaventure, et la prudence, de ne pas écouter ceux qui répètent à l’envi que le Burkina Faso n’est pas le Niger et que le pire n’arrive qu’aux autres.

Honorables Députés, Au Niger, Mme Salifou Fatimata Bazèye, l’ancienne présidente de la Cour constitutionnelle et ses collègues ont, par leur résistance, incarné une valeur éthique : le courage. Leurs noms seront inscrits en lettres d’or dans les annales de l’histoire des luttes démocratiques en Afrique. Il ne dépend que de vous de voir vos noms inscrits dans les mêmes annales ! Qu’avez-vous donc à redouter si, écoutant votre Raison, vous refusiez de vous associer au braconnage de notre Constitution ? Une dissolution anticipée du Parlement ? Que votre candidature aux élections législatives prochaines ne soit pas retenue ? Pourquoi ne pas écouter votre conscience et rentrer dans l’histoire en mettant le bien commun au-dessus de tout calcul à court terme ?! Franz Fanon disait : « chaque génération doit, dans une relative opacité, découvrir sa mission, la remplir ou la trahir ».

Cette réflexion nous interpelle tous. Des hommes et des femmes se sont soulevés dans ce pays contre l’arbitraire et l’injustice. Certains ont sacrifié leurs vies pour un Burkina Faso plus démocratique. Ils ont fait leur part de sacrifice. Ils ont rempli leur mission historique. Il nous appartient aujourd’hui de remplir la nôtre, ou…de la trahir. Nous osons espérer que les dignes représentants du peuple que vous êtes ne reculeront devant aucune manœuvre ou intimidation pour assumer leurs responsabilités devant l’histoire. Que vous soyez de la majorité ou de l’opposition, faites donc le serment, jusqu’à la fin de votre mandat, de ne jamais voter tout projet ou proposition de loi visant à remettre en cause l’article 37 de notre Constitution, de soutenir toute initiative visant à rendre intangible cet article, et d’empêcher la manipulation de notre peuple par le recours abusif au référendum.

Le Pays

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