Actualités :: Vie de couple : De l’usage de la parole
Roch Audacien Damiba

Je ne me rappelle pas bien qui de ma femme ou de ma fille m’a dit un jour que je parlais beaucoup et quelque fois un peu trop et que quand je me retrouve dans un cercle d’amis, de copains, je m’érigeais rapidement en orateur, pliant les autres au pilori.

Ce n’est pas faux et il y a des explications (et non des excuses) à cela. Déformation professionnelle oblige ! Journaliste, conseiller conjugal, tous les ingrédients sont réunis pour être grand orateur, pas forcement bon orateur.

Qu’importe ! Ma femme ou c’est ma fille, a vu juste. Mais là n’est pas le problème ! Ce qui serait plus intéressant, c’est ce que la parole apporte à ceux qui l’entendent et à celui qui la débite.Voyez-vous, la parole n’est pas que son et souffle ; elle est une dynamique. Elle a un pouvoir insoupçonné, mais inégalé. La parole est vitale. Elle est créatrice et génératrice. Et comme telle, elle peut faire beaucoup de biens et aussi beaucoup de dégâts et à l’interlocuteur et à l’orateur. En fait, je réalise que la parole est aussi son et souffle. Et c’est là que les choses se compliquent. Son usage n’est pas tout à fait aisé. Voyons ! La parole est son, c’est ce son que l’on entend, que l’on enregistre et que l’on interprète.

C’est ce son qui ne peut laisser indifférent. On l’aime ou ne l’aime pas. En tant que son, la parole peut redonner du courage, réjouir le cœur, promouvoir l’être, le valoriser, lui donner envie de vivre et d’espérer. Mais le tout à fait contraire est possible. Celui qui reçoit ce son, peut tomber dans les pommes, se décourager, désespérer, regretter, se retrouver au bas de l’échelle des valeurs humaines. Le son de la parole conditionne l’interlocuteur.

A partir de ce qu’il a reçu comme son, il peut soit, ouvrir une grande parenthèse dans la vie et pour la vie ou simplement la refermer totalement, définitivement, car ne voyant aucune issue possible pour des projets d’avenir. Ce son là ne frappe pas seulement le tympan de l’oreille. Il va plus loin. Il monte dans l’esprit, il descend dans le cœur, il emballe tous les membres du corps. Il va conditionner l’être tout entier. Il va l’asservir. Il va lui dicter sa loi. Il le conduira soit dans l’épanouissement total, soit dans les profondeurs de la désintégration.

Son bénit ! Son maudit ! Son de toutes les joies et de toutes les tristesses ! Son impitoyable qui sans fléchir, continuera son œuvre de construction ou de démolition chez celui qui le reçoit. Parole-son, te voilà ! Et maintenant, quel son faisons nous parvenir aux oreilles de nos semblables ? Pour quel but ? La parole n’est pas que bruit. Ce n’est surtout pas du bruit.

Notre monde se désintègre par les multiples sons qui le remplissent. Partout le son qui nous parvient emballe en lui et avec lui pêle-mêle la violence, la haine, la traîtrise, les crimes, les guerres, l’homosexualité, la pédophilie, les rebellions, la prostitution, les avortements, la corruption, les adultères et que sais-je encore ? Que transmettons-nous à nos semblables ? Que faisons nous entendre à nos enfants ? Le son de la déchéance sur toute la ligne. La destruction de notre monde ne viendra pas d’une autre planète. Ce sont ses habitants qui génèrent les germes de sa perdition : le son de la mort. Mais enfin...

La parole est aussi souffle ; c’est la part de l’orteur. La parole sort de lui et comme souffle, elle va avoir son mot à dire ; elle va poser son action ; elle va laisser des cicatrices. Emettre un souffle n’est pas sans danger. Le souffle vient du tréfonds de l’être. Quand la parole sort, elle révèle le contenant ; la nature de l’être ; son être réel. Vous avez entendu comme moi que l’on parle d’un être après l’avoir entendu et dire de lui : "c’est un enfant de la rue... il est mal éduqué...". C’est tout dit. La parole souffle révèle l’être dans ce qui le caractérise profondément, intimement. Ce souffle provient de toute une conjugaison d’actions.

La bouche n’est qu’un canal par lequel sort le souffle. La parole souffle est sérieusement traitée par l’esprit après que le cœur l’est conçue et générée. Ainsi la parole souffle devrait logiquement apporter un plus à l’être. C’est un souffle vivificateur, mais il peut être aussi démolisseur. Ne vous est-il jamais arrivé de vous sentir vraiment utile et heureux en même temps après avoir communiqué une parole ?

Vous êtes ragaillardi, fier, vous vous sentez aux anges et votre esprit, et votre cœur se régénèrent, reprennent fermeté et respirent beaucoup de santé. Une intense joie vous envahit et vous vous sentez vivre, non pas que vous venez d’engranger une forte-somme d’argent, ou que vous sortez d’un dîner somptueux, mais parce que tout simplement vous avez communiqué une parole empreinte de sagesse et d’intelligence.

Vous avez émis un souffle et pas n’importe lequel. Vous avez donné et vous avez reçu en retour beaucoup plus. Mais le contraire peut également se produire. Il vous est arrivé au moins une fois de « rentrer dans vos petits souliers » après avoir lancé certaines paroles. Vous avez honte et tous les regrets que vous présentez ne peuvent rien à cette diminution de votre être.

Vous avez été rabaissé par la parole souffle que vous venez de lancer au point ou vous prierez quiconque qui voudra le rappeler plus tard d’en faire économie. Il y a un souffle ravageur, qui ramène au point zéro dans l’estime que l’on avait pour une personne. Il a donc raison celui qui disait que ce qui détruit et tue l’homme, n’est pas ce qui entre en lui, mais ce qui sort de lui.

Et alors ?

Nous sommes ce que notre propre souffle que nous émettons a fait de nous. Parole souffle, plus mortelle que tout ce que l’on peut imaginer. Arrêtons d’indexer les autres. Arrêtons de les prendre pour les premiers responsables de notre dépérissement tant moral, spirituel que physique. C’est notre propre souffle qui va nous tuer. La mort, la perte de toute estime, la dégénérance sociale et le rapetissement de l’être proviennent de lui, de son fort intérieur, du souffle qu’il génère, du souffle qu’il émet et qu’il transmet. C’est la parole qui nous définit et qui nous caractérise, disons même qu’elle nous trahit parce qu’elle trahit nos idées, nos projets et nos intentions. Avec elle tout est mis à nu ; rien ne se dérobe, rien qui lui échappe.

Quand deux interlocuteurs parlent à voix basse, question de se faire entendre le moins possible, quand ils masquent leur voix et, partant leurs paroles il y a soupçons, il y a un réel doute pour ce qui est de leurs intentions. Si le ton baisse, à moins que ce ne soit pour garder jalousement une affaire alléchante, un projet promoteur, si le ton baisse disais-je et que la parole perdait de sa vigueur, il est fort possible que :
- on ne veut pas se faire voir, encore moins se faire entendre parce que le lieu où on se tient ne convient pas. On ne souhaite pas être vu là, alors on baisse le ton parce que la parole nous fera découvrir. - on ne veut pas se faire entendre parce que le contenu de la parole ne nous élève pas ; il y a de l’indécence dans ce que l’on dit. Personne ne s’attendait à ce que de tels sujets soient dits par nous. Cela nous dévaloriserait.
Alors chut ! On baisse la voix, on restreint la parole.
- On ne veut pas être vu avec cet interlocuteur. Notre compagnie est suspecte. Cela soulèverait des soupçons voire des réticences. Cette personne n’est pas celle avec laquelle on devait s’entretenir. Rien de commun à nous deux. Alors, il faut doser la parole, autrement, elle nous mettrait à nu ; elle va nous « vendre ».

La parole ici se définit comme cet outil qui apprécie la justesse du choix du lieu, du sujet à débattre et avec quel interlocuteur. Sortie avec haut débit, la parole donne une couleur, une bonne image aux deux interlocuteurs. Tout est à propos : le cadre, le sujet, l’interlocuteur.

Par contre si l’on doit baisser le potentiomètre pour ne pas être entendu, ou être moins entendu, c’est que quelque part on a des doutes ; on manifeste des inquiétudes, on manque de l’assurance. Je crois contrôler la parole, mais en réalité c’est elle qui me contrôle, qui me possède, qui me conditionne. Ce n’est pas la bouche qui parle, elle n’est qu’un canal, un conduit.

La parole est le produit de l’esprit, la somme des projets du cœur. Elle est maître et non servante. Si c’est cela, je prends l’option de ne plus parler, de ne plus émettre de son. Je me tais et c’est tout. Ah non ! Ce n’est pas certain. Certains souvenirs me viennent à l’esprit. L’ami de mon frère a dit un jour à son patron : « votre silence me trouble ». Et ma mère a dit un jour à mon père : « ton silence m’indispose ». Sacrée parole ! Emise ou pas, elle continue de produire des effets. Le maître a dit à l’élève : « Je comprends ton silence ». S’il le comprend, c’est qu’il parle. S’il indispose et inquiète, c’est qu’il agit. La parole est donc mouvement ; elle bouge et elle dérange.

Si elle bouge, c’est qu’elle vit. Inévitable parole. Même le silence ne l’anéantit pas ; le silence comme on le voit, n’est donc pas le contraire, ni l’opposé de la parole. Indispensable parole ! Plus on l’ignore, plus (mieux) elle est présente. On ne peut donc pas l’anéantir, l’annihiler.
C’est cela la parole. Elle respire la vie. Elle est en vie. Et comme telle, elle donne la vie, mais aussi la mort.

N’oublions pas, la parole est aussi force, dynamisme et création. Génératrice du bien, mais aussi du mal. Elle a une force qui forme, qui façonne, qui crée, mais aussi qui déforme, qui tue, qui avilit C’est par elle que je découvre que ceci est rouge ou blanc ou noir ; que cela est joli ou vilain. Mais la parole ne se contente pas de décrire, elle dicte sa volonté pour que ceci soit et cela devient.

Ainsi, dites que votre femme est belle et elle le sera ; ajoutez qu’elle est courageuse et elle le devient. Elle sera ce que vous dites par la puissance de la parole. Répétez à votre mari qu’il est irresponsable et il ne sera rien d’autre que cela. Collez-lui le défaut de méchant, il enragera. Dites à votre fils qu’il ne vaut rien et qu’il ne sera rien, il lui sera difficile de valoir quelque chose. La loi de la parole impose et s’impose. Elle crée le meilleur et aussi le pire. Rien ne lui échappe. Tout est en elle et pour elle.

Décidément, que faire de la parole ?

Quand j’ai dit que demain je me rendrai au marché, pendant mon sommeil, la parole ma conduit au marché. Elle a eu une emprise sur mon esprit au point de 1e conduire au marché ! Parce que j’ai parlé, je ne pouvais plus résister. Tout mon corps était à la merci de la parole. Bon ! Enfin, je viens de me rendre compte que j’ai parlé, que j’ai beaucoup parlé. Là n’est pas la question. Qu’est ce qui va se passer maintenant en moi et pour moi ? Et les autres alors ? Vous tous ? Ai-je bien parlé ? Ai-je dis ou non ce que je devrais dire ? Le cadre, le ton, le contenu conviennent-ils ? Demain on le saura, parce que nous serons ce que la parole fera de nous. Bien !... Je ne parlerai plus.

Rock Audacien D. Damiba, Conseiller conjugal
Email : damibashalom@yahoo.fr

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