Actualités :: Alliance de États du Sahel (AES) : Une ambiguïté entre les entités Sahel et (...)

Pour François Oubida, ancien diplomate, en adoptant une charte du Liptako-Gourma pour instituer une Alliance des États du Sahel (AES), nos gouvernements ont fait un peu dans la précipitation et le sensationnel. Et ils ont créé une certaine ambiguïté entre les entités que sont le Sahel et le Liptako-Gourma. Analyse.

Le 16 septembre 2023, les Chefs d’Etat du Burkina Faso, de la République du Mali et de la République du Niger ont institué l’Alliance des Etats du Sahel à travers un document dit Charte du Liptako Gourma.

Au terme de son article 2, l’objectif de la Charte ‘’est d’établir une architecture de défense collective et d’assistance mutuelle aux Parties contractantes’’. L’article 3 dispose que les ‘’Parties contractantes mettront en place ultérieurement les organes nécessaires au fonctionnement et mécanismes subséquents de l’Alliance et définiront les modalités de son fonctionnement.
L’enjeu majeur est donc la sécurité commune et la nécessité d’une architecture adéquate.

Un rapide ‘’flashback’’ montre que la problématique du Liptako Gourma, socle sur lequel l’Alliance a été instituée, a connu trois évolutions significatives dans son histoire :
-  Initialement, elle a été mise en exergue par une mission pluridisciplinaire CEA/PNUD organisée en 1969/1970, qui ayant mesuré l’importance du potentiel en ressources minières, énergétiques, hydrauliques, agropastorales et piscicoles que regorge ladite Région, a recommandé aux trois Etats de se regrouper dans un organisme permanent pour l’exploitation en commun des énormes ressources. Cette recommandation a abouti à la signature à Ouagadougou le 03 décembre 1970, d’un protocole d’accord portant création de l’Autorité de développement Intégré de la Région du Liptako-Gourma (ALG).
-  En raison de son importance stratégique pour ses Etats membres et de ses acquis, les Chefs d’Etat de l’ALG ont décidé lors d’un sommet extraordinaire tenu à Niamey le 24 novembre 2011, de sa transformation en un espace économique intégré couvrant l’ensemble des territoires des trois (3) Etats membres, soit une superficie de 2 781 200 km².
Cette mutation s’est matérialisée par l’adoption d’un Traité révisé qui est entré en vigueur le 12 février 2018 et la modification du nom de la structure, appelée désormais ‘’Autorité de Développement Intégré des États du Liptako Gourma’’, quand bien-même le sigle ALG a été conservé.
-  Depuis 2012 la situation sécuritaire dans les pays de l’ALG s’est progressivement dégradée au fil des années au point d’être considérée désormais comme l’épicentre de la crise sécuritaire dans le Sahel. Par voie de conséquence, la Conférence des Chefs d’Etat réunie en Session Extraordinaire le 24 janvier 2017 à Niamey a décidé d’inscrire désormais les actions de l’ALG dans le continuum ‘’Sécurité et Développement’’.

A la date du 16 septembre 2023, l’ALG intervenait dans les domaines suivants :
1. Agriculture, ressources animales et halieutiques
2. Environnement et résilience climatique
3. Hydraulique et énergie
4. Infrastructures et télécommunications
5. Industries et mines
6. Développement social
7. Coopération transfrontalière
8. Sécurité

A partir de ce petit rappel historique, il peut être constaté que l’ALG couvre aussi bien les secteurs du développement que de la sécurité. Elle prend aussi en compte l’intégralité des territoires couverts par les trois pays. Pourquoi donc créer une nouvelle structure ? Que faire de celle existante ? Ma lecture est la suivante.

En adoptant une charte du Liptako-Gourma pour instituer une Alliance des Etats du Sahel, il me semble que nos gouvernements ont fait un peu dans la précipitation et le sensationnel. Ils ont créé une certaine ambiguïté entre les entités que sont sahel et le Liptako-Gourma. En effet, l’intitulé de la Charte suggère que l’AES est une sous-structure de l’ALG. Pourtant, dans son esprit, l’AES rend obsolète l’ALG sans toutefois apporter quoique ce soit de nouveau. Il y a donc un problème à ce niveau. Dans l’une ou l’autre situation, il se pose aussi la question de savoir qu’elle considération il faut donner au Traité révisé de l’ALG, entré en vigueur le 12 février 2018. La Charte reste muette sur la question. Elle mentionne tout simplement, dans son préambule, sa ‘’fidélité aux idéaux de l’ALG’’.

Je ne perds pas de vue l’environnement dans lequel l’AES a été créée. Il fallait réagir en urgence et avec vigueur face aux menaces d’agression contre le Niger, brandies par la CEDEAO et ses partenaires en matière de belligérance. Mais le sahel est un espace beaucoup plus vaste que le Liptako-Gourma. En adoptant l’appellation AES, le souci était certainement de rallier d’autres Etats sahéliens à la cause de l’AES si le Niger venait à être effectivement attaqué. Du reste, la position algérienne sur la question semble confirmer cette perception.
Si telle était l’intention, il va sans dire qu’elle a porté fruit. En effet, à l’heure actuelle, la CEDEAO a posé des actes qui montrent qu’elle privilégie la voie diplomatique. Cela veut dire que l’invasion du Niger ne constitue plus une option majeure pour elle. Dans ces conditions, il me semble que l’AES, telle que conçue, est devenue un casse-tête. Qu’est-ce qu’il faut en faire ?

Le constat n’est-il pas que sept (07) mois après sa création, nos gouvernants n’ont toujours pas mis en place les organes annoncés dans l’article 3 de la Charte encore moins défini les modalités de son fonctionnement ? Sur le plan du droit, en dehors des dénonciations du Traité de la CEDEAO matérialisées en janvier 2024 par des notes verbales, il n’y a pas une rupture formelle dans la mesure où la Charte de l’AES vise expressément cette organisation régionale dans son préambule.

Il y a également une certaine indécision sur le modèle politique qui doit accompagner l’AES. L’idée de départ portée par le Premier Ministre du Burkina Faso mettait en avant ‘’une fédération souple, qui peut aller en se renforçant et en respectant les aspirations des uns et des autres’’. Cependant, force est de constater que cette approche qui visait à fédérer les trois pays que sont le Burkina Faso, la République du Mali et la République de Guinée a d’abord été refroidie du fait de la défection de cette dernière, avant de se muer en projet de confédération avec l’arrivée du Niger.

Si la volonté est de mutualiser de manière efficace les forces pour bouter le terrorisme hors de notre espace commune et promouvoir son développement intégré, la forme confédérale ne sera d’aucun secours dans la mesure où l’individualisme finira par prévaloir comme cela est le cas à l’Union Africaine ou à l’Organisation des Nations Unies, pour ne citer que ces deux organisations.
Au regard de ce qui précède, l’AES parait plutôt un imbroglio qu’un acquis. Elle pose plus de problèmes qu’elle n’en résout fondamentalement. Que fait-on de l’ALG ? Quel contenu politique doit-il soutenir l’AES ? Doit-on réellement partir de la CEDEAO ? L’heure semble donc être beaucoup plus à la réflexion pour l’avenir.

De mon point de vue, si les trois transitions ambitionnent réellement ‘’de poursuivre les luttes héroïques menées par les peuples et les pays africains pour l’indépendance politique, la dignité humaine et l’émancipation économique’’, elles devraient avec détermination aller vers la forme fédérale pour consacrer le caractère prioritaire que revêt la notion de développement intégré. Dans cet esprit, établir la capitale fédérale dans le Liptako-Gourma constitue une décision hautement stratégique qui permettrait de lever rapidement et durablement les contraintes majeures de la région, à savoir l’isolement, l’enclavement, l’abandon et l’insécurité. Il faut garder présent à l’esprit que c’est la viabilité de ce projet qui déterminera sa pérennisation.

En résume, je liste ci-dessous, les idées sur lesquelles je pense que chacun de nous pourra méditer et approfondir dans l’optique de renforcer le processus dans lequel s’est engagé nos trois pays.
-  L’appellation AES devrait être abandonnée au profit de celle de Liptako-Gourma qui semble porter le ciment réel pour une unité entre les peuples de la région ;
-  Il faut opter résolument pour la fédération ;
-  La capitale fédérale (AES-Liptako Gourma) devrait être implantée dans la zone des trois frontières pour briser définitivement toute velléité terroriste future dans cette partie de nos trois Etats ;
-  L’ALG’’ devrait être réformée pour devenir une des structures fédérales ;
-  Il convient d’imaginer un système de gouvernement facilitant l’adhésion de tous les peuples et pays concernés ;

Au demeurant, une structure tripartite de haut niveau devrait être mise en place en vue de proposer les organes et le mode de fonctionnement prévus par la Charte. En cela, le Traité d’Amitié et de Coopération Burkina Faso-République de Côte d’Ivoire (TAC) constitue un modèle utile pour ce qui concerne le mode de fonctionnement.

En tout état de cause, l’initiative de nos trois transitions se doit à terme, d’inspirer non seulement la CEDEAO mais aussi de se positionner comme un exemple d’école dans les processus d’intégration. Pour le Burkina Faso en particulier, l’enjeu serait de démontrer sur le terrain pratique, que ‘’Le destin des nations se joue souvent dans des périodes charnières comme celui des hommes’’ et qu’ ‘’il y a des époques qu’il ne faut pas rater’’, comme l’avait déclaré Son Excellence Monsieur le Premier Ministre lors de sa visite à Bamako le 31 janvier 2023.

Francois OUBIDA

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