Actualités :: Burkina : « Il faut réviser la charte pour permettre à la Transition de (...)

Réviser la charte de la transition pour permettre aux autorités actuelles de poursuivre leur travail. Voilà l’un des combats que mènent Labidi Naba et ses camarades de Faso Kooz. Dans cette interview qu’il a accordée au Faso.net, le porte-parole national du mouvement revient sur les motivations de ce combat, la lutte contre l’insécurité, le phénomène des « enlèvements » de citoyens et l’actualité sous-régionale liée notamment au retrait des pays de l’Alliance des États du Sahel de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO).

Lefaso.net : Pouvez-vous nous présenter le mouvement que vous représentez ?

Labidi Naba : Pour aboutir à l’insurrection populaire, beaucoup d’organisations et de leaders s’étaient réunis. On a trouvé la nécessité de mettre en place Faso Kooz pour porter les causes et les défis du Burkina Faso. Nous avons voulu sensibiliser le peuple pour construire en chaque Burkinabè les valeurs qu’ont incarnées nos devanciers, ceux qui ont travaillé à poser les bases de notre pays. Nous voulons que chaque Burkinabè, de façon qualitative, apporte sa contribution à la construction de l’union, pour bâtir un État-nation solide et perspicace. Faso Kooz est donc né au lendemain de l’insurrection populaire, précisément en décembre 2014.

De décembre 2014 à février 2024, le temps a passé. Quel bilan pouvez-vous dresser de vos différentes actions posées sur le terrain ?

Au niveau de Faso Kooz, nous dressons, avec humilité, un bilan positif. En termes de construction de la personne, nous avons conscientisé les populations sur les valeurs de notre société, sur le patriotisme. Nous avons suscité en elles l’engagement pour leur pays, pour que chacun puisse apporter sa contribution à son édification. Dans la même veine, nous avons initié un concept dénommé « une famille, un drapeau », pour montrer nos valeurs communes, à travers ce que notre drapeau inspire et incarne. Nous tenons cette activité presque chaque année.

Nous avons aussi, avec des mouvements frères et associations sœurs, participé à l’élaboration de mémorandums, qui ont été portés à la Transition. Nous l’avons fait aussi sous le régime de Roch Kaboré et de Paul Damiba. Dernièrement, nous avons porté la table ronde « Nouvelle génération », au Palais des sports. Nous nous sommes retrouvés avec les forces vives venues de partout, pour réfléchir sur les enjeux de notre transition et dégager les perspectives communes à notre Burkina Faso. Les recommandations ont été transmises et certaines d’entre elles sont en train d’être implémentées.

En somme, Faso Kooz, c’est une école. C’est aussi un bréviaire de tous les combats que notre pays a pu faire. C’est aussi des interrogations afin que ses membres et les Burkinabè en général puissent être des acteurs de construction d’un Burkina prosper.

Vous avez mené des actions sous la transition de Michel Kafando, sous le régime de Roch Kaboré et sous la transition du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR 1), dirigé par Paul Damiba. Nous sommes à présent sous la gouvernance du MPSR 2 avec à sa tête le capitaine Ibrahim Traoré. Est-ce-que vous vous réclamez être des soutiens du pouvoir en place ?

De façon claire et sans ambages, nous sommes des soutiens indéfectibles du pouvoir en place. Surtout, de la dynamique de rupture souverainiste et de refondation impulsées par le camarade capitaine Ibrahim Traoré et son gouvernement.

À ce propos, après sa prise du pouvoir le 30 septembre 2022, l’objectif était de résoudre au plus vite le problème de l’insécurité. Quel bilan faites-vous de la gestion de la crise sécuritaire par ce dernier, après plus de 15 mois au pouvoir ?

Avant toute chose, je dirai que la lutte contre le terrorisme n’est pas terminée. Le combat, la mobilisation doivent toujours être au rendez-vous. Cela dit, dans cette lutte contre le terrorisme qui nous assène depuis près de dix ans, nous avons toujours interpellé le pouvoir public que ce terrorisme que nous ne connaissions pas est dû à un fait. Il faut le dire clairement, c’est l’impérialisme. Se demandant comment des concitoyens, des frères, sont dotés en armes, nourris, formés et informés pour attaquer nos populations, nos détachements, nos Forces de défense et de sécurité (FDS), nous avons tiré la conclusion qu’il y avait une main impérialiste. Nous avons suivi les évènements au Mali, là où tout a commencé avec cette barrière libyenne qui est tombée.

Depuis ce temps-là, le peuple malien dénonçait déjà la mainmise de l’impérialisme, notamment la France. Il fallait à notre niveau tirer les conséquences et les leçons, et engager une rupture sévère avec nos faux amis qui, le jour, sont avec nous, et la nuit, contre nous. Le Mali l’a fait. Ces recommandations que nous avons faites ont été données au pouvoir public. Que ce soit sous Roch Kaboré ou sous Paul Damiba. Elles n’ont malheureusement pas été prises en compte. Mais dès l’avènement du régime d’Ibrahim Traoré, des actions de rupture ont été engagées avec courage. On se rappelle de la force Sabre, des décisions de réciprocité qu’on a eues avec la France et des exigences pour ce qui est de la tenue de son ambassadeur.

En termes d’acquis, dès que cela a été fait, il a été difficile pour les terroristes d’être capacités en moyens ou qu’ils aient les informations pour nous attaquer, même s’il y a toujours du travail. Ainsi, des ravitaillements ont été faits, des personnes déplacées internes (PDI) ont été réinstallées chez elles. On leur a donné la capacité de s’auto-dépendre. Aujourd’hui, nous pouvons prendre nos décisions de manière libre, de manière souveraine. C’est cela qu’attendait le peuple. Que nos ressources minières puissent être gérées de nous-mêmes. Que notre agriculture soit redynamisée. Que nos propres ressources nous servent à produire de la richesse, parlant de l’Agence pour la promotion de l’entrepreneuriat communautaire. Bref, les acquis sur le plan sécuritaire sont là. Mais il y aussi des acquis en termes de construction d’un Burkina nouveau, reconcentré sur lui-même, pour petit à petit poser le socle de son développement.

Récemment, lors d’une interview accordée à Alain Foka, à la question de savoir à quand le retour aux élections, le chef de l’État a marqué une interrogation en disant : « On va organiser les élections comment à l’instant T ? » ; même si, rassurait-il, « à l’instant T, il n’y a pas cette portion de territoire où nous voulons partir et où nous n’irons pas. » Qu’avez-vous à répondre à ceux qui disent que le chef de l’État ne veut pas d’un retour à l’ordre constitutionnel et qu’il a « pris goût au pouvoir » ?

Merci pour cette question d’une pertinence élevée. À ce propos, je dirai qu’il y a le constat que l’on a fait avant. Et il y a la réalité du terrain, après. Cette prise du pouvoir était un coup de force militaire du MPSR, en son propre sein. Mais il faut dire que si le coup d’État du 22 septembre 2022 mené par Paul Damiba a été purement militaire, celui d’Ibrahim Traoré a été certes militaire, mais suivi d’une mobilisation les 1er, 2 et 3 octobre 2022, ce qui a transformé cette prise du pouvoir militaire en une sorte de révolution populaire. Les intellectuels, les paysans, les élèves, les ouvriers, etc. étaient au rendez-vous.

En tout état de cause, la lutte contre le terrorisme n’est pas un combat qui peut finir brusquement. Cela se fait dans un certain temps. Et cela dit, les Volontaires pour la défense de la patrie (VDP) et les militaires neutralisent les terroristes. Quand on refait l’analyse du combat sur le terrain, nos soldats avaient trois kalachnikovs pour cinq militaires. Les choses ne pouvaient pas avancer comme ça. Mais en trois mois, avec les ruptures souverainistes qu’il a engagées et les partenariats libres avec des pays sérieux, souverains et dotés du droit de Véto comme la Russie, Ibrahim Traoré est arrivé à mobiliser plus d’armes, de sorte à ce que chaque militaire et VDP soit doté de kalachnikov, d’arme de poing et d’autres moyens logistiques pour le combat. Ça, c’était déjà un acquis. Mais le terrorisme s’était enraciné jusqu’au sommet même du pouvoir, où il y avait des complices. Au niveau de l’Agence nationale de renseignement, de hauts responsables ont pris la fuite car impliqués dans des actions subversives. Des efforts ont été faits, mais il ne faut pas oublier que le terrain commande la manœuvre.

Toujours à ce propos, vous l’avez dit à plusieurs reprises que Faso Kooz est pour une prolongation de la transition actuelle. Pourquoi ?

Dans le cas du Burkina Faso, ou dans des pays qui sont dans le giron du franc CFA, y compris ceux de l’Afrique centrale, il était impératif qu’après l’esclavage, la colonisation, l’indépendance nominative, le néocolonialisme, le néocolonialisme militaire appelé aujourd’hui terrorisme, on fasse une refondation. C’est une dynamique. C’est pourquoi nous, nous nous gardons désormais de parler de transition. Aujourd’hui, nous sommes dans un ancien ordre que nous voulons quitter. Ce qu’on appelle transition doit être une période de démocratisation véritable de nos différents États, afin de les projeter sur une autre trajectoire, qui est celle de la souveraineté et du développement endogène, pour une prospérité des masses fondamentales. Et les autres pays qui ne sont pas dans cette dynamique devraient l’opérer, d’une manière ou d’une autre, parce que le Burkina Faso est un cas d’école. En 2015, on a eu une transition. Elle a fait une année, elle est partie, et l’ordre ancien est revenu. Ce que Blaise Compaoré faisait et qu’on condamnait, c’est cet ordre qui est revenu. Nous devons être prêts au sacrifice pour permettre à ceux qui viendront après de dire qu’en 2022, 2023, 2024 et suivant, se sont mis debout des Burkinabè, pour rappeler les bases que le camarade capitaine Thomas Sankara a tracées et n’a pas pu terminer. C’est cela notre combat. Et c’est ce combat que le camarade capitaine Ibrahim Traoré impulse au mieux. Et cela doit se faire ensemble, je dis bien ensemble.

N’y a-t-il pas pour vous un temps bien déterminé dans lequel tout cela pourrait se faire ?

Au niveau de la table ronde, nous avons dit qu’il faut réviser la charte pour permettre à cette transition de poursuivre son travail. Sur le plan sécuritaire, l’indicateur pour que la Transition passe la main serait que nos frères et sœurs puissent retourner dans leurs localités respectives, la réinstallation des villages et la restauration de notre intégrité territoriale. Sur le plan de la refondation et de la restructuration de notre société, l’indicateur sera que le Burkinabè qui naît aujourd’hui puisse, à sa 18e année, aller à l’urne. Et que le bulletin qu’il mettra soit exempt de l’inféodation mercantile et des propositions démagogiques que des politiciens pourraient lui faire, et que le bulletin de vote soit épris de sa conscience, de sa responsabilité, de sa sagacité à choisir le leader qui propose un projet de société et non des billets de banque.

Et cela ne doit se faire qu’avec le capitaine Ibrahim Traoré ?

À ce sujet, c’est un mécanisme qu’on devrait décider ensemble. Mais pour ma part, il impulse déjà au mieux cela. Et connaissant les hommes, il est mieux que nous avancions avec l’équipe qui gagne.

Sous le régime actuel, plusieurs coups d’État ont été déjoués. Aussi, on assiste à des enlèvements de certains hommes politiques, de la société civile, des militaires, etc. L’un des derniers cas concerne l’avocat Guy Hervé Kam. Quel regard portez-vous sur ce phénomène qui prend de l’ampleur dans notre pays ?

D’abord, je crois que chaque mot a une signification. Nous avons souvent vu des enlèvements dans certains pays. Et je crois que l’enlèvement veut dire que ni l’autorité, ni la population ne sait où se trouve la personne enlevée. On peut savoir que c’est une milice qui la détient, mais l’accessibilité de cet organe est difficile car détaché du pouvoir d’État, et que le pouvoir lui-même combat. Quand quelqu’un est enlevé, sa vie est menacée. Tous les risques et toutes les craintes sont ouverts. Pour le cas de Me Kam, camarade de lutte dont je respectais le combat à un moment donné, nous avons entendu dire, et suivant les démarches de ses confrères, qu’il était détenu à la Sûreté nationale. Est-ce-que c’est un enlèvement ? Quand on sait où la personne est, je préfère qu’on dise « arrestation ». Dans tous les cas, ça dépendra de qui parle. Qu’à cela ne tienne, ce que nous nous exhortons, c’est la garantie des droits des différentes personnes interpellées.

Pour faire simple, êtes-vous en train de dire que l’enlèvement, l’arrestation ou l’interpellation de Me Kam, selon le terme qui vous plaît, n’a pas respecté la procédure en la matière ?

J’ai lu que pour arrêter un avocat, le bâtonnier et le procureur du Faso doivent être informés. Pour les avocats, la procédure n’a pas suivi la règle, quand bien même ils savent où il est, et quand bien même des voix s’élèvent pour dire à l’Ordre des avocats que Me Kam n’a pas été arrêté parce qu’il est avocat, mais pour des questions d’ordre subversive, selon ce que nous avons appris. Cela reste une arrestation qui a pu ne pas suivre les règles.

Le 28 janvier 2024, le Burkina, le Mali et le Niger ont quitté la CEDEAO. Récemment, ces États ont réaffirmé que cette décision était loin d’être une blague. Pour certains, ce retrait de l’Alliance des États du Sahel (AES) est beaucoup trop radical, précipité, pas assez réfléchi. Pour d’autres, cette décision a même tardé car ces pays n’y tiraient aucun avantage. Vous, quel est votre commentaire sur cette question ?

La Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), créée le 28 mai 1975 par des présidents militaires, avait des missions originelles qui sont l’intégration des peuples de son espace. Elle devait aussi travailler à l’entraide entre les différents peuples et permettre aux différents pays la libre circulation des biens et des personnes à l’intérieur de la communauté. Mais chemin faisant, la CEDEAO s’est dégarnie. Elle a dévoyé sa mission première. Le terrorisme qui s’est imposé dans le Liptako-Gourma a mis en exergue l’inféodation par l’impérialisme français de cette organisation. Dès lors, elle a eu des comportements antinomiques, se constituant souvent en appui des coups d’État, souvent en aversion des coups d’État ; mais couramment et constamment, soutien des coups d’État constitutionnels. Dès lors, au sein des populations, des voix se sont élevées. Au deuxième coup d’État du Mali, la CEDEAO avait pris des sanctions que l’on qualifierait d’illégitimes, d’illégales, de criminelles même contre le Mali. C’était le 9 janvier 2022. Le 15 du même mois, autour du collectif des OSC pour le Sahel, nous avons dénoncé cela et appelé la CEDEAO à faire fi de ses sanctions et à venir en appui au peuple malien. Juste pour dire qu’elle ne jouait pas son rôle.

Après la constitution de l’AES, on a tout de suite vu une réaction vigoureuse, une réprobation totale de la CEDEAO vis-à-vis de ces trois pays qui partagent un même défi terroriste et impérialiste, lesquels ont décidé de se réunir pour trouver leur propre voie.

Aussi, après le coup d’État au Niger en juillet dernier, la CEDEAO qui, depuis dix ans, n’avait mobilisé aucune cartouche pour venir en aide aux femmes enceintes, aux villageois qui sont assassinés dans les confins du Mali, du Niger et du Burkina, s’est trouvée la capacité de mobiliser une force invisible pour déloger les putschistes au Niger, afin de rétablir un président dit élu, Mohamed Bazoum, qui avait des propos en contradiction avec les attentes de son peuple, mais aussi de tous les États en difficulté face au terrorisme. De ses propres mots, il a dit que nos armées sont incapables de venir à bout du terrorisme. Ces comportements ont révélé à nos différents pays que la CEDEAO avait perdu son âme puisque travailler à l’union des peuples était sa mission première, mais la libre circulation des biens et des personnes par exemple a été bafouée, parce que leurs frontières ont été fermées au Niger. Aucune disposition de la CEDEAO ne leur permettait cela pourtant. Les différents président ont été exclus de la conférence des chefs d’État de la CEDEAO. Cela ne permettait plus aux chefs d’État malien, nigérien et burkinabè de porter leurs préoccupations auprès de leurs vis-à-vis, pour emmener la CEDEAO à se recadrer ou à réviser certaines positions.

Tous ces éléments faisaient que les pays de l’AES ne pouvaient pas suivre la procédure qui est de notifier et attendre une année pour quitter. Et pour ceux qui pensent qu’on n’aurait pas dû quitter brusquement et suivre la procédure, je dirai que les pays de l’AES ont bien mûri leur chose. Les présidents et leurs gouvernements ont bien mûri leur retrait de la CEDEAO, les enjeux qui en découlent, les conséquences et les avantages.

Propos recueillis par Erwan Compaoré
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