Actualités :: Hommage à Bongnessan Arsène Yé, metteur en scène des réformes politiques au (...)

Il est des révolutions qui permettent l’émergence de personnalités. Des révolutions qui ont été fondées sur une idéologie, une réflexion, une action. On peut les partager, totalement ou partiellement ; ou s’y opposer. Mais, tout compte fait, il reste quelque chose de tout cela. Autre chose qu’un vide sidéral et des prises de décisions sidérantes. Bongnessan Arsène Yé est une de ces personnalités burkinabè de la « Révolution », de la « Rectification » et de la « démocratisation ». Il est mort le 30 janvier 2024.

J’ai connu et beaucoup fréquenté Bongnessan Arsène Yé. Nous étions au lendemain des événements de 1987 et il était alors « coordonnateur national des structures populaires ». Qui se souvient encore de ce temps-là ? Ce médecin militaire (il avait alors le grade de capitaine) sera le premier président de l’Assemblée nationale de la IVè République après avoir été un acteur majeur de la « Révolution » et de la « Rectification ». En 1989, quand nous nous sommes connus, c’était un trentenaire à l’oeil vif et à la barbe bien taillée, au look de barbudos, spécialiste des meetings et des grandes manifestations.

Secrétaire à l’organisation du Front populaire, membre du comité exécutif, chargé de suivre le fonctionnement de toutes les structures du Front, il avait la haute main sur tout ce qui concernait l’agitation et la propagande ; « agitprop » comme on disait au temps des bolcheviks russes. Il était le « Monsieur politique et organisation » du Burkina Faso. Sur son bureau trônaient, à sa droite, le buste de Karl Marx, à sa gauche celui de Lénine. Ce « super-ministre » (mais il réfutait cette appellation) participait aux réunions du conseil des ministres. Sa tâche était, me disait-il, de « coordonner le coordonnable et de faire en sorte que la Révolution révolutionne ».

Je l’ai vu maugréer (le terme est faible) quand, au lendemain de l’implosion de l’Union soviétique, il a dû ranger dans un tiroir les bustes de ses idoles et abandonner le traditionnel Faso dan Fani et le petit foulard rouge noué autour du cou pour endosser un costume croisé qu’il avait bien du mal à adapter à sa forte carrure. Il bougonnait, sans vraie conviction mais pour rester dans son personnage, contre « ces cons qui ont laissé s’effondrer le mur de Berlin ».

Yé a été l’auteur en 1985 d’un intéressant (mais, bien sûr, dogmatique) petit ouvrage sur l’évolution politique de la Haute-Volta ; ouvrage préfacé par le Camarade-Président Thomas Sankara (« Profil politique de la Haute-Volta coloniale et néo-coloniale ou les origines du Burkina Faso révolutionnaire).

Il dirigera les partis présidentiels (ODP-MT puis CDP), participera à divers gouvernements (notamment comme ministre d’État), sera député dès 1992. Entre temps, le pays passera du « communisme révolutionnaire » à la « démocratie libérale ». Le manuel d’histoire destiné aux élèves de CM2 dira à juste titre : « C’est du métissage des cultures que naîtra la nation burkinabè. De cette nation nos descendants aussi seront fiers ». Pas sûr que les descendants aient retenu (et même appris) la leçon.

De la « Révolution » à la « constitutionnalisation »

Né le 10 octobre 1957 à Bagassi (province du Mouhoun), dans l’ouest du Burkina Faso (entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso), à quelques encablures de la voie ferrée de l’ex-Ran, la Régie Abidjan-Niger, Bongnessan Arsène Yé avait rejoint, en septembre 1969, le Prytanée militaire du Kadiogo (PMK) à Ouaga ; bachelier en juin 1976, il va entrer alors à l’École militaire de santé de Dakar, d’où il sortira docteur en médecine le 30 janvier 1984 (après avoir soutenu sa thèse sur les problèmes de santé dans le village de Yaramoko, qui se trouve à quelques kilomètres au nord de Bagassi où il a fait toutes ses études primaires).

Il sera directeur central du service de santé des Forces armées nationales avant que la politique ne devienne sa raison de vivre au lendemain de la « Révolution ».

Puis Yé va vivre les soubresauts de la post-Révoluton : la « Rectification », le « Front populaire », la liquidation du commandant Boukari Jean-Baptiste Lingani et du capitaine Henri Zongo (« Tout est calme. Pas un coup de feu. La meilleure preuve en est que je suis à mon bureau en civil et non en tenue militaire » répondra-t-il à mon interrogation depuis Paris), l’instauration de l’ODP-MT, la rédaction de la Constitution de 1991, la présidence de l’Assemblée des députés du peuple (ADP). Yé va devenir un personnage clé de la vie politique burkinabè pendant son mandat à la tête de l’Assemblée. Sa personnalité tonitruante (ce n’était pas un homme avec qui on s’ennuyait et il était un des meilleurs connaisseurs des arcanes politique du Burkina Faso des années « grises »).

En 1997, à l’issue de la première législature, il quittera le « perchoir » tout en étant régulièrement réélu député. Il rejoindra le gouvernement de Kadré Désiré Ouédraogo : ministre d’État (1997-2000) à la présidence du Faso puis à l’Agriculture et, enfin, à l’Environnement. Mais s’il demeurera « l’homme du parti (il présidera l’ODP-MT de 1993 à 1996 puis le CDP jusqu’en 1999), Yé ne sera plus en adéquation avec l’évolution de la société burkinabè, même s’il en aura été un des acteurs majeurs. Son nom évoquait, au tournant du siècle, bien plus l’ancien régime que le nouveau. Il avait été membre du bureau politique du CNR en 1986, secrétaire général national des CDR, etc. ; pas les meilleures références quand « l’affaire Zongo » fera la « une ». Il lui faudra laisser la place à la nouvelle génération, celle de la campagne présidentielle de 1998. Il quittera le devant de la scène en étant promu colonel.

Le temps des réformes politiques

Dix ans plus tard, Bongnessan Arsène Yé reviendra sur le devant de la scène politique. Il sera nommé ministre d’État, ministre auprès de la présidence chargé des Réformes politiques. Cela ne pouvait surprendre. Directeur exécutif du Centre d’études et de recherches sur les pratiques de la démocratie (Cerpradre), Yé avait appelé en 2010, lors d’une conférence publique de l’Alliance des partis et formations politiques de la mouvance présidentielle (AMP), à une réflexion sur les réformes politiques et institutionnelles à mener.

Le Conseil consultatif sur les réformes politiques (CCRP) se réunira en juin 2011 au lendemain des « mutineries ». Il s’agissait « d’améliorer la gouvernance électorale » et de « créer de nouveaux cadres d’expression et de liberté ». Les propositions du CCRP seront examinées en décembre 2011 par les Assises nationales qui réuniront 1.510 citoyens burkinabè. Yé sera chargé du bon déroulement du CCRP et des Assises.

En novembre 2010, Blaise Compaoré avait été réélu à la présidence du Faso. Or, l’article 37 de la Constitution de la IVè République limitait à deux le nombre des mandats. Quid de la présidentielle 2015. Yé considérait que le « 37 » était « une sorte d’entrave à l’expression de la volonté populaire ». La question de la suppression du « 37 » était un sujet de débat. C’est pourquoi il avait été particulièrement favorable à la tenue des Assises nationales. « Les grandes décisions doivent être prises dans le cadre d’un consensus large, m’avait-il dit en avril 2012. C’est le désir qui a animé le président du Faso dès son premier mandat. Or, au sein de l’Assemblée nationale, nous sommes, avec nos alliés, largement majoritaires : y débattre des grandes décisions reviendrait à discuter entre nous. Il fallait donc trouver un cadre plus large qui ne soit pas limité aux seuls partis politiques ayant des députés ; les petits partis, ceux qui sont pour l’instant exclus du jeu démocratique, peuvent, eux aussi, avoir des idées intéressantes. Et puis il y a les coutumiers et les religieux dont le rôle est très important à tel point que, chaque fois qu’il y a une crise, nous sommes obligés de recourir à eux. Il y a aussi ce qu’on appelle la société civile [Yé considérait qu’elle n’était pas toujours aussi « civile » qu’elle le prétendait] ».

Un comité de suivi et d’évaluation des Assises sera mis en place : 30 membres supervisés par Yé. Ce sera une concertation ; pas une révolution. Mais dans le contexte qui était celui que connaissait le Burkina Faso, traumatisé par les événements de février-mars 2011 (mutinerie d’une partie de l’armée qui s’en est prise à la population, aux commerces, aux entreprises… « des manifestations violentes jamais égalées » dira Yé), époustouflé que cela ait pu se produire, rassuré que, pour autant, le pays ait évité le pire, cette étape « démocratique » a été l’expression d’une prise en compte sinon de la population, tout au moins d’une partie de « l’opposition » qui se lassait d’être exclue du fonctionnement des institutions.

« Nous trouvions que les pouvoirs, héritage de la France, étaient trop concentrés entre les mains de l’exécutif et en particulier du chef de l’État. Il fallait desserrer tout cela, faire en sorte que les institutions qui existent puissent fonctionner ». Sauf que la question de l’article 37 de la Constitution (limitation des mandats) ne sera pas abordée. Limitation ou pas du mandat présidentiel, ce n’était pas le problème ; le problème c’était qu’un même pouvoir politique puisse un jour décider de la limitation des mandats et un autre jour ne plus le vouloir. Le tripatouillage de la Constitution par ceux qui en ont été les auteurs était alors jugée insupportable.

Les Assises nationales, parce qu’elles se sont tenues et qu’elles ont fait l’objet d’un suivi, ont été un progrès dès lors qu’elles ont été l’expression de la prise de conscience par les autorités qu’il y avait une nécessité de réforme. Mais en se cantonnant aux réformes politiques et en n’abordant que très marginalement, pour ne pas dire pas du tout, les réformes économiques et sociales, elles n’ont pas répondu aux attentes des populations et notamment de la jeunesse.

Yé, en cette matière, me disait ce qu’il y avait à dire : « Un jeune qui est diplômé et qui n’a pas de boulot ne peut pas penser participer à la vie de la nation alors que, à l’inverse, notre génération a accédé très tôt à des responsabilités nationales. Le problème, c’est que l’État a des ressources limitées et que, de plus en plus, nous sommes soumis aux règles de bonne gouvernance édictées par les instances régionales. Par ailleurs, la mondialisation nous impose des critères pour être compétitif et dégager une croissance forte ». Il ajoutait : « Nous sommes des sociaux-démocrates. La juste répartition des richesses entre tous les citoyens est une de nos priorités idéologiques ».

En août 2013, le premier ministre Luc Adolphe Tiao ouvrira la session de travail du Comité de suivi et d’évaluaton de la mise en œuvre des réformes politiques consensuelles. Dans l’urgence. Le Burkina Faso bouillonnait. Yé maugréait. Sa réforme avait du plomb dans l’aile. Un an plus tard, une insurrection populaire allait balayer le régime en place depuis trente ans (je considère que la « Rectification » a été une évolution paroxysmique de la « Révolution »). Yé sortait de la scène politique.

Dix ans plus tard, la mort de Yé peut-elle être l’occasion de se pencher sur ce qu’ont été le CCRP et les Assises ? Ce serait une bonne chose. Des experts y ont participé : Basile Guissou (politologue) ; Jean-Baptiste Ouédraogo (sociologue) ; Augustin Loada (constitutionnaliste) ; Mélégué Traoré (politologue) ; Seydou Coulibaly (juriste) ; Béatrice Damiba (communicante) ; Cheick Ouédraogo (magistrat) ; le colonel Moussa Cissé (militaire bien sûr). Les documents sont là (enfin, je l’espère). Il faudrait y mettre son nez pour cesser de gérer le pays au « doigt mouillé ». On ne peut pas toujours du passé faire table rase… !

Jean-Pierre Béjot
La ferme de Malassis (France)
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