Actualités :: Gouvernance : « Les gens savent qu’ils peuvent tricher avec les religions (...)

Auteur d’œuvres sur des sujets relatifs à la tradition, notamment moaga, l’écrivain autodidacte, homme d’affaires, ancien député et président de parti politique Raphaël Koudwango Kouama aborde, dans cette interview, plusieurs questions qui touchent la vie nationale. Nous l’avons rencontré le dimanche 26 mars 2023, au lendemain de la publication officielle de sa dernière œuvre : « Les secrets de la coutume moaga », volume II.

Lefaso.net : Quel est le parcours de Raphaël Koudwango Kouama, et comment est-il devenu cet écrivain autodidacte ?

Raphaël Koudwango Kouama : Je peux d’abord dire que l’homme réussit par son comportement et le travail. Autrement, la réussite n’a d’autres secrets que le comportement. Je suis à ce niveau aujourd’hui de par mon comportement, car je suis parti de rien. J’ai quitté l’école après le CEP (Certificat d’études primaires). Faute de moyens pour continuer, j’ai préféré raccrocher et essayer de faire un périple pour pouvoir m’en sortir. Je suis donc venu à Ouagadougou, où j’ai été boutiquier à Wemtenga, de 84 à 86. Ça n’allait pas, je suis parti à Tampouy, pour confectionner des briques au barrage de Baskuy, jusqu’à la mi-1987 pour pouvoir compléter une somme que j’avais afin de me rendre en Côte d’Ivoire.

Là-bas, j’ai fait le choix de créer une plantation de cacao avec des frères. J’y suis resté jusqu’à ce que la plantation commence à produire et suis rentré au pays. Quand je rentrais, je leur ai dit que si je reviens là-bas, c’est pour leur rendre visite, pas pour travailler encore. Ils pensaient que je m’amusais. Avec l’argent que j’ai eu, j’avais à l’esprit d’acheter une moto, mais tout de suite, je me suis dit qu’il faut aller dans le sens de l’investissement.

J’ai donc pris un simple vélo et avec le reste de l’argent, j’ai acquis un moulin que j’ai installé dans un village voisin du mien. C’est avec le moulin que j’ai commencé à travailler. Puis entre temps, je me suis dit que je vais reprendre avec le ‘‘travail du Blanc’’ (travail de bureau). Je suis donc revenu à Ouagadougou pour plaider auprès de personnes pour qu’elles puissent m’aider à avoir un emploi. C’est là qu’un neveu m’a mis dans le transit. Avec les cours du soir que j’ai repris, j’ai pu avoir des connaissances. En plus, j’aimais beaucoup lire, si fait que lorsque je suis arrivé pour apprendre le transit, je n’ai pas eu de difficultés.

Ce n’est après que j’ai cherché des diplômes de transit, sinon au départ on était des ambulants sur le terrain. Rapidement, je me suis dit qu’il faut que je commence à travailler pour moi-même. Donc de 93 à 98, à l’aéroport international de Ouagadougou, j’ai décidé d’aller ouvrir le transit à Guelwongo, bureau de douane de Zecco. Là-bas, on a bossé pour amener les commerçants à emprunter l’axe. Au départ, ce n’était pas facile, nous y avons cultivé de la patate, du riz, etc. Mais après, la mayonnaise a pris et le trafic a commencé à prendre de l’ampleur. J’ai fait quatre ans et six mois là-bas. Je me suis dit qu’il faut revenir maintenant à Ouagadougou et pour cela, il fallait créer ma société de transit. Avec d’autres camarades, on a créé une société dans laquelle j’étais actionnaire.

Par la suite, j’ai créé une autre société avec un ami, à qui j’ai finalement cédé la société pour créer ma propre société : SOTRALI (Société de transport et logistique internationale). C’est grosso modo mon évolution. C’est vrai qu’à côté aussi, j’ai pu faire d’autres choses ; comme construire des complexes scolaires, Saint-Raphaël I et II, et un lycée chez moi au village. J’ai aussi évolué, entre temps, dans la politique ; parce qu’en 2002, j’ai fait mon entrée en politique avec le PAREN (Parti pour la renaissance nationale). Je me suis ensuite retiré pour me consacrer à mes activités.

Puis, avec l’arrivée du MPP (Mouvement du peuple pour le progrès), on m’a demandé d’aider à implanter le parti dans la province. J’ai été désigné point focal provincial (du Kourwéogo). Nous avons donc travaillé à une assise du parti à travers les communes et villages de la province. Donc, et avec mon travail auprès des communautés par les appuis sur les plans scolaire, sanitaire, etc., les gens m’ont vite connu et porté.

Vous dites que le comportement est déterminant dans la réussite ; en quoi cela se justifie ?

La réussite se construit, on ne peut pas sauter du coq à l’âne. Aujourd’hui, les gens ont commencé à peine à travailler qu’ils veulent construire de grosses villas, s’acheter des voitures, etc. Cela les pousse à des actes de corruption et à d’autres pratiques pas catholiques.

Et tout cela rattrape tôt ou tard. La réussite, c’est se construire, étape par étape. Cela fait 30 ans que je travaille. Si je voulais être milliardaire, je pouvais l’être parce que j’ai eu des occasions pour cela. Mais je n’ai pas cédé. Il ne faut pas se laisser aller à la corruption, à des facilités ; il faut être honnête, travailler dans l’intégrité, l’humilité et aider les gens, faire leur bonheur, vivre avec ce que l’on gagne honnêtement.

On retient que c’est la politique qui est venue à vous. Comment cela s’est-il passé ?

Avec ce que je faisais déjà sur le terrain auprès des populations, je ne voulais pas me lancer dans la politique. Mais entre-temps, les responsables de mon parti d’alors sont venus me dire de me positionner pour les législatives de 2002. Avec le MPP, les premiers responsables du parti m’ont choisi comme point focal du Kourwéogo à la création du parti. J’avais donc pour mission première l’implantation totale des structures du MPP dans toute la province et je me suis pleinement investi pour cela avec d’autres camarades. Je n’avais pas d’ambitions particulières.

Mais après cette mission réussie, les responsables du parti ont vu en moi un candidat gagnant pour les législatives de 2015, malgré mon choix de me retirer. C’est ainsi que ma candidature a été suscitée par les responsables du parti et les militants de base, m’obligeant à poursuivre ce que j’ai commencé. Ainsi, à l’issue des primaires dans ma province, je suis venu en tête des sept prétendants et j’ai été fait candidat tête de liste. Naturellement, nous avons gagné et j’ai été élu député à l’issue d’un scrutin bien disputé.

Vous qui avez ainsi été poussé dans la chose politique…, comment vivez-vous cette opinion générale qui ne donne pas de crédit aux hommes politiques, les traitant de tous les maux ?

Quand vous êtes dans un groupe et le nom de ce groupe est gâté, vous ne pouvez rien faire. Ce qui est important en ce moment pour vous, c’est de continuer dans la même lancée dans laquelle vous avez toujours été. Peut-être qu’après, les gens se rendront compte que tout le monde n’est pas la même chose.

Et quoi qu’on dise, dans un groupe de personnes qu’on traite de tous les noms, tout le monde ne peut pas être mauvais, même si c’est quelques éléments, vous en trouverez encore de bien. Même dans un groupe qu’on apprécie, vous trouverez aussi des éléments mauvais, mais si les bons dominent, on ne verra pas les mauvais. Tout ne peut pas être mauvais et tout le monde ne peut pas être mauvais. Et pour moi, ce qui est important, c’est de toujours continuer dans la même lancée, faire ce que je peux pour être utile à ma société.

Je voudrais dire aussi qu’il est vrai que le nom des politiciens est gâté, mais ce n’est pas pour autant qu’il faut les incriminer de tous les maux. Aujourd’hui, on dit que les politiciens n’ont rien fait, qu’ils avaient la capacité de donner de l’eau aux gens, de donner à manger aux gens à leur faim, de faire ceci ou cela, mais ils ne l’ont pas fait. Non, je pense que si rien n’était fait, on n’allait pas être là où nous en sommes aujourd’hui. Au moins, il y a un minimum, qu’il faut savoir reconnaître et ne pas tout peindre en noir.

Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, ce qui est important pour eux, c’est de travailler et laisser les critiques des prédécesseurs. Qu’ils travaillent pour faire la différence. Le peuple n’est pas aveugle, il suit, il regarde. Si aujourd’hui malgré ses quatre années seulement de pouvoir les gens continuent d’apprécier Thomas Sankara, c’est à cause de son travail. C’est cela qui a fait qu’il a été identifié parmi tous les présidents que le pays a connus. Je pense donc que ce qui est important, c’est le travail ; le reste, il faut laisser les gens juger.

Thomas Sankara l’avait d’ailleurs bien dit : « Ceux qui travaillent sont devant et ceux qui tapent les tambours sont derrière ». Alors, ce n’est pas celui qui fait du bruit qui travaille ; celui qui travaille ne fait pas du bruit. C’est pourquoi, nous avons dit que nous n’allons pas croiser les bras, nous allons accompagner les dirigeants de la transition parce qu’il y a des gens qui nous ont aussi accompagné pendant notre gouvernance. Et en cela, ce qui est important, c’est le travail ; il faut qu’ils travaillent pour que le peuple puisse constater ce qu’ils ont fait par rapport aux anciens dirigeants.

Entre temps, vous quittez le MPP pour le RPI (Rassemblement patriotique pour l’intégrité), dont vous êtes aujourd’hui le président. Que s’est-il passé ?

Il faut dire que nous étions arrivés à un point où il fallait se retirer. Le MPP était traversé par plusieurs courants, entretenus par des clans adossés à des mentors. Il fallait choisir son clan pour être protégé, considéré ou promu. Chose que nous avons refusée. Face à cette situation, nous avons décidé de prendre en main notre destin, pour ne pas être manipulés. On était vraiment obligé de se retirer, pour ne pas jouer le jeu des clans.

Aujourd’hui, les gens ont compris pourquoi nous l’avions fait. Nous avons eu le courage de nous retirer quand le parti était toujours au pouvoir. Nous n’avons pas eu des considérations liées aux avantages et privilèges à rester dans le parti au pouvoir. Nous nous sommes dit que nous défendons des valeurs et nous devons évoluer dans ce sens, on ne peut pas accepter que les gens nous embarquent dans une situation autre que cela. Nous étions un certain nombre de camarades que les gens n’aimaient pas parce que nous avons refusé de faire certaines choses qui allaient contre les valeurs d’intégrité. Nous étions donc des gens à écarter ou à anéantir au sein du parti.

C’est ainsi que nous avons créé le RPI (mais j’ai été porté à la tête du parti en juillet 2022). C’est avec ce parti que nous avons évolué jusqu’aux élections (du 22 novembre 2020, ndlr) à l’issue desquelles nous avons eu des députés. Aujourd’hui, nous sommes fiers de constater que nous avons eu raison de quitter le navire MPP très tôt. Les gens nous avaient traités de tous les maux et ont même dit que le RPI appartenait à Alassane Bala Sakandé, au Larlé Naaba, etc., avant de se rendre compte qu’il n’en était rien.

Et aux législatives, les moyens avaient été visiblement mobilisés en conséquence par le pouvoir pour arracher les deux postes en jeu dans votre province !

Effectivement, aux élections de 2020, avec notre retrait du MPP, nous avons été combattus. Tous les moyens ont été mis à travers le ministre des Affaires étrangères de l’époque pour prendre tous les deux sièges, mais ça n’a pas marché pour eux.

Avec mes maigres moyens, étant connu, dans certains villages, les gens me disaient que ce n’était même pas la peine que j’y vienne pour battre campagne, que de toute façon, ils vont me voter parce que j’ai beaucoup fait pour les populations. C’est ainsi que les populations ont pris le courage de me soutenir et de me voter, malgré que mon parti (RPI) était nouveau (parce que j’ai démissionné 75 jours avant les élections). La leçon, c’est que l’argent ne peut pas tout faire.

La question des valeurs semble primordiale pour vous !

Absolument ! Avec ce que nous prônons comme valeurs, les gens ont démontré qu’on ne peut pas tout payer avec l’argent. L’argent ne peut pas être le moteur du développement, il peut être l’huile, mais le moteur, c’est l’intégrité, le patriotisme. Ce sont des valeurs cardinales. Quand vous regardez les grandes puissances, vous constaterez que quand elles éduquent quelqu’un, c’est une personne de valeurs. Si tu as affaire à un Américain, tu sais que tu as affaire à un homme.

Tout cela est dû au fait que l’éducation est basée sur des valeurs. Nous avons aussi des valeurs telles que le patriotisme, l’intégrité…, par lesquelles on peut aussi éduquer nos enfants. Si on l’avait fait, aujourd’hui, c’est sûr que nous n’allions pas vivre les difficultés que nous connaissons aujourd’hui. C’est avec l’intégrité et le patriotisme que nous allons construire le Burkina Faso, mais pas avec l’argent. Avec l’argent, on va croire qu’on évolue, mais à un moment, ça va s’effondrer.

Votre parcours et votre environnement familial ne vous prédestinaient pas à l’écriture. Aujourd’hui, hormis le succès socio-politique, votre nom est arrimé à l’écriture, avec notamment la dédicace le 25 mars 2023 de votre troisième œuvre. D’où est venu cet engagement à écrire ?

J’ai décidé d’écrire, parce que quand je me suis retrouvé à Guelwongo, au début, c’était vraiment dur. Il n’y avait pas de dossiers, rien comme travail. Je me suis dit que je ne peux pas rester comme cela, sans rien faire.

Comme j’aimais la lecture, cela m’a poussé à passer à l’écriture. Mon premier livre que je voulais publier portait sur l’assassinat de Norbert Zongo. Quand on a annoncé sa mort, j’ai pris mon stylo et j’ai titré : « Burkina Faso : la mort du journaliste est un assassinat ». J’ai donc commencé à suivre l’évolution de la situation, jusqu’à ce que les gens me disent que si je me hasarde sur ce terrain, on va me tuer. J’ai pris peur et j’ai laissé tomber. Mais entre-temps, j’ai renoué avec l’envie d’écrire.

Je me suis donc demandé pourquoi ne pas partager avec la nouvelle génération, ce que j’ai appris avec les parents et grands-parents. J’étais convaincu qu’il y a des gens qui n’ont pas pu bénéficier de ce que j’ai reçu au niveau du village, parce que la vie du village est toute autre. Voilà comment j’ai commencé à orienter ma réflexion à ce niveau, parce que j’ai constaté qu’en ville, par exemple, quand on appelle quelqu’un par son nom traditionnel, il y en a qui qui s’en plaignent. Je me suis dit pourquoi ne pas faire comprendre à la nouvelle génération que ces prénoms parfois qualifiés de "botaniques" que nous portons ont aussi la même valeur que les autres importés de chez les autres ?

Aussi, que les gens comprennent qu’on ne donne pas un prénom au hasard ; chaque prénom a sa signification et a surtout un impact positif ou négatif sur l’enfant. C’est cela qui m’a amené à écrire sur ce volet (à travers le volume I de « Les secrets de la coutume moaga » paru en 2014, ndlr). Après cette œuvre, j’ai fait un recueil de nouvelles. Cette œuvre, je l’ai écrite en partie en hommages à nos artistes traditionnels à qui, à mon avis, on ne rend pas suffisamment hommage. L’idée au départ, c’était d’organiser une soirée d’hommages aux artistes traditionnels disparus.

C’est à partir de là que j’ai commencé à écrire, parce que j’avais voulu que cette soirée d’hommages soit appuyée par un document qui laisse des traces sur ce qu’ont vraiment fait ces artistes. Nous avons donc énuméré les artistes traditionnels disparus. C’était le deuxième livre et le troisième qu’on vient de dédicacer hier : « Les secrets de la coutume moaga » (volume II), qui parle de la circoncision, du mariage traditionnel et des cérémonies funéraires.

De nos jours, la pratique en matière de mariage laisse plus croire à du formalisme qu’à un acte aux valeurs immatérielles et socialement capitales. Faut-il se rendre compte qu’il y a des valeurs à rattraper, parce que les ayant perdues ?

Nous avons perdu beaucoup de valeurs, sur plusieurs plans. Quand vous prenez le mariage traditionnel par exemple, là où nous avons failli, c’est de n’avoir pas pris en compte nos coutumes dans le mariage civil. Certes, il faut faire le mariage civil, parce qu’il y a l’administration qui est là et qui régit la vie en société, mais il fallait se baser sur certaines valeurs de nos cultures. C’est dommage aujourd’hui de voir des gens se marier devant l’officier de l’état civil, devant les religieux, mais sans une référence à la source. Cela pose un problème ; parce que si vous fondez un foyer sans base, à la moindre crise, il va s’éclater. Le mariage selon nos coutumes, c’est avant tout l’union de deux familles, de deux villages, de deux communautés.

Sa portée est profonde, si fait que quelle que soit la crise entre les membres du couple, il y a toujours des leviers pour la résoudre. C’est vrai que de nos jours, avant le mariage civil, on parle de témoins, mais le hic est que même eux vivent les mêmes réalités, ils sont déconnectés des valeurs traditionnelles. Donc cet environnement, qui peut conseiller qui ? Pire, aujourd’hui, il y a des couples qui se forment sans savoir qu’ils (les compagnons, ndlr) ne doivent pas se marier. Tout cela, parce qu’ils ignorent la tradition, ils ne connaissent pas leurs cultures.

Mais lorsque la démarche traditionnelle, coutumière, est respectée, les familles vont chercher à savoir si vous pouvez vous marier, si entre les familles, les villages, il n’y a pas d’interdit, de blocage. Quand cet aspect est levé, on poursuit maintenant les démarches envers la famille de la fille. Quand vous voyez une fille qui vous plaît, vous l’amenez à la maison pour permettre à vos parents de poser les yeux sur elle parce que la femme cache en elle beaucoup de secrets : sa démarche, sa morphologie, son regard, ses lèvres, la plante des pieds, etc., ont un sens.

Tout cela était observé, pour permettre à celui qui va épouser la fille de prendre les dispositions. Par exemple, même la forme des peut impliquer des rites à accomplir à l’accouchement, avant d’allaiter le bébé. C’est la même chose pour ce qui est de la colonne vertébrale de la femme : en fonction de la forme, on peut lui dire que si elle accouche, elle ne peut pas mettre le bébé au dos, tant qu’on n’a pas accompli certains rites. Voyez-vous, il y a de petites précautions comme cela à prendre, qu’on ignore et qui fatiguent les familles aujourd’hui.

C’est donc dire que l’objectif n’est pas forcément d’interdire le mariage, mais plutôt de réparer ce qu’il faut avant de sceller l’union ?

Justement, c’est pour permettre de réparer. Par exemple, pour le cas de la femme qui ne doit pas mettre le bébé au dos, les parents vont dire au mari que dès que la femme accouche, il faut venir faire tel ou tel rite avant que la femme ne porte l’enfant au dos. Ce sont des réalités qui existent aujourd’hui ; les gens font la ronde des hôpitaux avec les enfants, sans solution, alors que c’est juste un élément qu’il faut réparer. Donc, nous ne devons pas rejeter toute notre culture, sinon, cela va nous rattraper.

Le contexte a changé…, comment la circoncision peut-elle être un apport pour la jeunesse ; que gagne-t-elle par cette initiation ?

Vous savez que l’Etat burkinabè a pris des textes pour interdire l’excision ; ce qui est une bonne chose, parce que cela y va de la santé de la femme, de son bien-être et nous ne pouvons qu’accompagner dans ce sens. Mais de façon générale, l’initiation que faisaient nos ancêtres était une école.

Que ce soit pour les garçons (circoncision) que pour les filles (excision). Quand elles partaient dans le ‘‘kéogo’’ (centre d’initiation), c’est là-bas que la jeune fille apprend beaucoup de valeurs : le respect, les travaux domestiques (la cuisine, le tissage, etc.), les astuces de la vie au foyer, l’éducation des enfants, etc.

C’est la même chose pour le garçon, qui doit apprendre le respect de la femme, les interdits, la protection de la famille, la gestion de la famille, etc. On leur raconte des contes et légendes, si fait que, quand le jeune garçon quitte le ‘‘kéogo’’, il est apte à des responsabilités ; il en ressort en homme complet. Nous nous sommes donc dit qu’il est vrai qu’il faut abandonner les pratiques néfastes, le contexte a changé, mais il faut aussi conserver ce qui est bien.

S’il y avait toujours les ‘’Kéogo’’, on pouvait le moderniser en y amenant des infirmiers pour s’assurer de l’hygiène et de la sécurité sanitaire des initiés. L’excision étant néfaste, donc interdite, pour les filles, on leur inculque simplement les valeurs de la vie (comment tenir son foyer, être une femme intègre, etc.). Les jeunes garçons également continuaient à bénéficier des enseignements qui font d’eux des hommes responsables, complets, intègres. Malheureusement, aujourd’hui, nous nous sommes lancés sur le chemin du développement sans tenir compte de nos cultures.

Les cérémonies funéraires mal faites joueraient également sur les familles, et même l’environnement social. Qu’en est-il ?

Aujourd’hui quand quelqu’un décède, les jeunes ne savent plus quels sont les rites qu’il faut faire. Cela n’est pas normal, ils doivent connaître, même s’ils ne vont pas pratiquer. Nous avons été envahis par les autres, qui nous ont envoyé leurs religions. De la même manière que nous avons les schémas pour les morts, de la même manière, nous en avons pour les enterrements et autres (ces éléments existent chez les chrétiens, les musulmans, où on ne peut pas enterrer un homme sans respecter certaines règles). Mais aujourd’hui, on s’est converti et on ne veut même plus entendre parler de ce qui est de nos valeurs.

Par exemple, ce ne sont pas tous les morts qu’on ramène à la maison. De même, ce ne sont pas toutes les morts qu’on part dans la famille pour aller saluer. En la matière, on ne fait pas les funérailles d’un mort, si la personne est décédée jeune (il y a un âge requis, parce que pour les jeunes, c’est choquant, ce sont ceux qui sont morts à un âge où on estime qu’ils ont rejoint les ancêtres qui bénéficient de funérailles). Les morts par pendaison, accidents, par violence, … demandent qu’on accomplisse des rites pour que ça ne se répète pas dans la famille.

Aujourd’hui, même si nous avons tout abandonné parce qu’on devenu chrétien, musulman, n’empêche qu’il y a un proverbe qui dit que ‘’ce qui est interdit est fini, mais ce qui tue n’est pas fini’’. Donc, si vous ne croyez pas, vous allez continuer à mourir sans connaître de quoi. Ce n’est pas parce que vous n’y croyez pas que ce n’est pas vrai). Aujourd’hui, des gens meurent pas accident, on les envoie à la morgue, ensuite à la maison, on fait des funérailles, alors que tel ne doit pas être le cas.

Nous nous sommes dit que notre rôle, c’est de transmettre donc nos valeurs traditionnelles, si les gens ne veulent pas pratiquer, ce n’est pas un problème. D’ailleurs, aujourd’hui, c’est difficile de faire suivre et faire pratiquer ces valeurs de la tradition ; les gens trouvent plus facile de se réfugier derrière les religions dites révélées, ils trouvent qu’il y a trop de conséquences dans la tradition ; si tu n’es pas droit, tu ne peux pas. Alors qu’aujourd’hui, et dans le même temps, on parle tous de droiture, d’intégrité.

C’est paradoxal donc qu’on laisse de côté ces pratiques de la tradition pour courir derrière les religions dites révélées parce que là-bas, on peut tricher (la sanction à ramener à plus tard, à l’au-delà). Voyez-vous, les gens savent qu’ils peuvent tricher avec les religions dites révélées, mais avec la tradition, la sanction est immédiate. A-t-on besoin de prendre plusieurs textes de lois pour interdire les détournements de biens publics ? A-t-on besoin d’injection des milliards dans la lutte contre la corruption ? Non, avec la tradition, on n’a même pas besoin de loi, la sanction est immédiate et palpable.

Certains ont suggéré, dès la publication de cette œuvre « Les secrets de la coutume moaga », que vous puissiez organiser des conférences publiques dans les établissements d’enseignement sur le contenu du livre. Est-ce quelque chose d’envisageable ?

C’est possible, on peut le faire. Le jeudi passé (23 mars 2023, ndlr), j’étais à mon école, à l’occasion de la journée culturelle que les élèves ont organisée et pour annoncer les congés dits de Pâques. Les élèves de l’établissement m’ont demandé de venir leur faire des contes. Ils se sont donc regroupés et j’ai leur ai fait un conte qui parlait d’un enfant farfelu et un autre enfant qui est intègre. L’histoire montre comment le premier a terminé et comment le second l’a été (l’enfant farfelu termine toujours mal et le second, bien).

Les enfants étaient très contents, ils m’ont posé des questions sur comment j’ai fait pour réussir et quels conseils je peux leur donner pour réussir leur vie. C’est sur ces échanges qu’ils ont été libérés pour les congés. Donc, c’est bien possible, même si le temps fait souvent défaut, de par mes occupations professionnelles, c’est un sacrifice qui vaut la peine ; il faut construire aujourd’hui la société de demain.

Après cette parution, d’autres thématiques en vue ?

J’ai déjà entamé le volume III « des secrets de la coutume moaga », qui va aborder la vie de la femme dans la tradition. Nous pensons que la femme fait beaucoup dans la société : au niveau de la famille, presque tout est lié à la femme. Elle constitue le ciment de la famille. La femme a une place très importante et en fonction de sa position dans la famille, le chef lui accordait une place primordiale dans ses prises de décisions. Ce n’est pas comme aujourd’hui où des gens tendent à banaliser la femme. Quand vous entrez dans une famille, vous avez les marques de la femme. Donc, je me suis dit qu’il faut que je puisse faire quelque chose pour que la nouvelle génération puisse connaître toute l’importance de la femme dans la société.

Pour terminer notre entretien ?

Je souhaiterais que nos autorités prennent à bras-le-corps l’éducation. Quand j’apprends qu’on a voté tel budget pour lutter contre l’incivisme, la corruption…, franchement, ça me fait rire. Le remède est très simple : éduquer des enfants dignes et patriotes. Si les enfants ont reçu une bonne éducation, ils grandissent avec l’esprit de bannir la corruption, l’incivisme, etc.

Si on le fait, on n’a pas besoin de voter des budgets pour lutter contre ces fléaux. Mais si l’enfant grandit avec l’incivisme, la corruption, même si vous mettez des milliards dans la lutte, ça va être difficile. Donc, je souhaiterais qu’on revienne à la base, pour éduquer des enfants intègres, patriotes, pour que dans quinze, 20 ans, le pays puisse se libérer de ces fléaux. C’est pour cela je lance un appel aux autorités : si on rate l’éducation, on a tout faussé.

Pour toute information sur les œuvres : 76 93 12 06

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
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