Boucle du Mouhoun, province du Sourou. Pendant trois semaines, le village de Kassan a résisté aux terroristes en refusant d’obéir à leur injonction de déguerpir des lieux. Presque mains nues, les habitants de Kassan n’ont pas pu résister bien longtemps ; le village qui commençait à devenir un symbole s’est vidé de sa population les 03 et 04 février 2023.
Situé à 7 Km de Tougan, Kassan est l’un des plus grands villages du département de Tougan en matière de superficie et de nombre d’habitants.Selon le recensement de 2003, Kassan comptait 3 792 habitants. Ce nombre a probablement doublé en 2022 Quand on évoque le nom de ce village, plus d’un (notamment les anciens) pensent à son grand fétiche, "Kassan-Nyinzo" dont la renommée s’étendait jadis au-delà du "Sangana" (le pays san). En effet, icône des miracles et des causes impossibles, « Kassan-Nyinzo » a attiré beaucoup de personnes pour des demandes diverses et des remerciements en guise de vœux exaucés. Avec l’expansion des religions révélées, le culte rendu à ce fétiche a connu une baisse considérable si bien que les actions de Nyinzo sont, en quelque sorte, moins perceptibles aujourd’hui. N’empêche, les sacrifices sont toujours faits à son intention.
La première visite affichée des hommes armés non identifiés (HANI) dans le "village de Nyinzo" date du 06 décembre 2021. Ce jour ils étaient au nombre de quatre (04) sur deux motos à passer par Diouroum pour se rendre au lycée. Tombés sur un professeur en cours d’EPS, ils l’ont frappé et, après avoir rattrapé les élèves qui fuyaient, ils ont retiré leurs sacs pour les brûler avant de se retirer du village. Depuis ce jour, les écoles sont fermées, que ce soit au primaire, au post-primaire ou au secondaire.
Après cet incident, les HANI passaient quelques fois à Kassan pour des prêches ou pour continuer leur route. Ainsi, le 16 août 2022 aux environs de 16h, ils étaient un certain nombre (la quarantaine) à faire incursion dans ce village pour rassembler les gens dans les mosquées en vue de passer ce message à la population : « Nous ne sommes pas contre les paysans, mais les FDS ; si on apprend que vous collaborez avec les FDS, on chassera tout le village". Après avoir accompli leur mission, ils se sont retirés pacifiquement du village.
Les habitants de Kassan disent non aux HANI
Jusque-là le village s’est montré timide et tolérant à ces arrivées intempestives des HANI, sauf ce vendredi 13 janvier 2023. Ce jour-là, un groupe de huit terroristes émissaires s’est invité à la même mosquée (pendant que d’autres se promenaient en espions dans le village pour entendre ce que les gens disaient) et a retiré le micro en vue de passer un message qui ne fut pas du tout du goût du village : celui du déguerpissement de toute la population avant le lendemain (samedi 14 janvier) à 13h. Révoltée, la population a attrapé et ligoté ce soir-là quatre terroristes plus un complice qu’elle a remis aux FDS. Alors, il fut lancé immédiatement le cri de guerre à Kassan par quelques leaders dont il faut saluer le courage.
Toute la population valide était conviée à un grand rassemblement au marché situé au cœur du village où cet ordre a été donné : personne ne doit quitter. Jusqu’à nouvel ordre, il n’est pas question de céder un morceau de la précieuse terre héritée des ancêtres. Les anciens ont même juré et fait un sacrifice en demandant à la terre de tuer toute personne qui fuirait le village à cause des HANI.
C’est le début d’une grande résistance, probablement la première fois au Burkina Faso qu’un village optait unanimement de défier les terroristes en ne déguerpissant pas. Il fallait alors se mettre en position de guerre. Dès cette nuit du 13 janvier 2023, tous les jeunes du village étaient sur pied pour défendre leur patrimoine. Appel a été lancé aux femmes, aux personnes âgées et impotentes de rester dans les maisons. Tous les vieux fusils ont été ressuscités. Les jeunes, munis de toutes armes, ne dormaient pas, car il fallait être prêt à tout moment pour affronter l’ennemi. Personne ne devrait rentrer au village sans avoir décliné son identité. C’est ainsi qu’ils ont pu ligoter plusieurs fois des personnes suspectes pour les remettre aux FDS de Tougan.
À plusieurs reprises les HANI ont tenté de rentrer au village, mais pris de peur, ils ont reculé face à la grande mobilisation et la fureur de la jeunesse. Les nuits, les jeunes, débout et déterminés, combattaient le grand froid par le Nescafé et autres remontants qui étaient chauffés pour eux ; il ne fallait pas du tout se laisser surprendre.
Cette résistance a duré trois semaines durant lesquelles les jeunes de Kassan ont été encourgés par les VDP et les FDS qui y faisaient des tours régulièrement avant de se retirer.
Le grand cauchemar du village va se produire en cet après-midi du jeudi 02 février 2023. Aux environs de 16h, arrivait un grand groupe de HANI qui ont dû bien se préparer. Arrivés au nombre d’au moins 200 (certains témoins parlent même de 300) sur des motos et avec deux véhicules pick-up, ces groupes armés terroristes ont commencé à tirer au hasard dans le village qu’ils avaient bien encerclé. À en croire certains témoins, il y avait des Touaregs parmi eux, ce qui rend plausible l’hypothèse selon laquelle un renfort serait venu du Mali pour cette attaque contre Kassan. Vu le nombre de ces HANI ce jour-là, les jeunes du village n’ont pas opposé de résistance. Tout le monde s’est terré dans sa maison. Malheureusement treize jeunes ont été mortellement atteints par le feu des armes tirées dans tous les sens.
Avant de s’enfuir aux environs de 17h du village (parce que sentant l’arrivée des FDS), les HANI ont incendié quelques greniers et hangars, emporté du bétail avec 13 motos et 13 tricycles.
Mais ils seront obligés de lâcher les troupeaux, de même que 10 des 13 motos emportées, suite à l’intervention de la coalition patriote composée des VDP et de nos Forces de Défenses et de Sécurité qui les ont repoussés. Toute cette nuit-là la population a dormi au son des armes qui crépitaient avec des tirs nourris et des bombardements aériens.
Le lendemain, cette coalition patriote, en lançant un assaut foudroyant sur la base terroriste au niveau du barrage de Kassan, a tué 25 terroristes et récupéré 13 motos, des portables, des munitions et autres matériels. Un FDS a légèrement été blessé au pied. Concomitamment à cette riposte de l’armée, le village a commencé à se vider le vendredi 03 févier soir suite à des rumeurs annonçant l’arrivée d’un autre grand groupe de HANI en provenance de Diouroum.
Fuite vers Tougan
Sur les visages des populations obligées de fuir leur village se lisaient la tristesse et la révolte, car ils étaient tous confiants que tout irait bien. Ce déplacement massif de la population de Kassan se poursuivit toute la journée du samedi 04 février en direction de Tougan.
Ainsi, Kassan, symbole de la résistance aux HANI, venait de tomber. À qui la faute ? En tout cas on se doit de louer la bravoure de cette population dont les jeunes et adultes se sont mis débout pour résister aux terroristes durant trois semaines, presque mains nues. Une bravoure qui pourrait servir d’exemple à d’autres villages s’ils sont unis et s’ils ont l’accompagnement nécessaire en armements.
S.D
Lefaso.net
