ActualitésDOSSIERS :: Siaka Coulibaly, analyste politique : « L’issue des élections augure de (...)

Le Burkina Faso vit une situation politique un peu tendue, après le double scrutin du 22 nombre 2020. Dans cette interview qu’il nous a accordée, le mercredi 25 novembre 2020, Siaka Coulibaly donne sa lecture du déroulement des élections et des contestations des résultats par l’opposition dont l’essentiel tourne autour des insuffisances et manquements dont aurait fait preuve la CENI dans l’organisation.

Lefaso.net : Quelles sont vos observations générales du scrutin ?

Siaka Coulibaly : La publication des résultats de l’élection présidentielle montre une tendance vers une victoire du président sortant, dès le premier tour, probablement avec un score plus confortable que celui de 2015. Avant les élections, l’interrogation était de savoir si le choix politique fait par les Burkinabè en 2015 sera confirmé ou si le président serait sanctionné dans les urnes sur la base de son bilan du premier mandat. La réponse est donnée à travers le second mandat obtenu par le président candidat à sa réélection.

Malgré des enjeux importants (sécurité, climat social, économie), le taux de participation, qui n’est encore qu’une tendance, semble indiquer que les Burkinabè n’ont pas démontré un grand engouement pour les élections, surtout pour les législatives qui permettent de doter le pays d’une institution capitale pour les politiques publiques et toute la vie des citoyens. Le déficit d’amour entre les citoyens et le corps politique s’accuse d’année en année.

Mais qu’à cela ne tienne, ces élections ont connu un déploiement conséquent d’observateurs assez remarquable. Ces équipes ont pu faire leur travail sans entraves. Ce qui pourrait être même le secteur le mieux réussi de ces élections. Sur le fond, les observateurs ont globalement rapporté les mêmes insuffisances que la plupart des acteurs ont constatées. Cela donne de la consistance aux critiques de l’action de la CENI et aussi pourront servir à étayer les positions de l’opposition qui dénonce les résultats des élections.

Quels peuvent être les enjeux d’une victoire au premier tour ?

Une victoire au premier tour démontre une adhésion politique franche à un programme politique et à un style de gouvernance. Elle devrait procurer, sous réserve du taux de participation, une légitimité à l’action gouvernementale. La conséquence la plus importante d’une victoire au premier tour devrait être une gouvernance sans remous politiques ou sociaux, puisque les mécanismes des élections sont conçus pour instaurer un consensus autour des institutions.

C’est pourquoi, il faut accorder toute l’attention nécessaire au désaccord manifesté par une partie des acteurs politiques sur le déroulement et les résultats de ces élections. Une considération du premier degré de la compétition politique qui est la victoire d’un camp sur d’autres, sans être fausse, rend très difficile le déploiement du pouvoir lui-même. Les institutions ne sont pas les personnes physiques qui les représentent et les animent, mais toute l’organisation sociale et les dynamiques diverses qui devraient exister autour de ces institutions.

Une démocratie formelle ne prémunit pas le pays des crises, même si celles-ci mettent du temps à survenir. Sous le règne de Blaise Compaoré, il y avait un fonctionnement institutionnel très légal mais dont la profondeur sociale et politique était limitée. Résultat des courses, une fin abrupte et violente de ce régime. L’issue des présentes élections, si elles ne sont pas acceptées par tous les acteurs, augure de lendemains mouvementés au Burkina Faso. Qu’on le sache dès maintenant.

Quelles peuvent être les scénarios d’évolution possibles des élections du 22 novembre ?

Ces scénarios dépendent de trois catégories d’acteurs, mais sont difficiles à fixer parce que trop conditionnées par des questionnements. Malgré une victoire politique indiscutable, est-ce que le chef de l’Etat prendra la mesure de la situation du pays et des attentes réelles des Burkinabè ? Concrètement, la configuration de son gouvernement et surtout le choix des animateurs de l’administration publique et des institutions publiques de moindre importance vont-ils différer du modèle du mandat passé ?

Il a, par exemple, confirmé durant la campagne, sa vision de la lutte antiterroriste qui exclut les pourparlers avec les groupes irrédentistes armés en activité sur le territoire burkinabè. Ce choix indique ouvertement des morts des Forces de défense et de sécurité (FDS). Jusqu’à quand cela sera-t-il supporté par ceux qui sont en première ligne ? Le maintien de certaines pratiques imputées aux volontaires pour la défense de la patrie et à certaines FDS ne va-t-il pas accroitre la radicalisation contre l’Etat burkinabè et intensifier les conflits inter-communautaires ? Le traitement de ces questions liées au terrorisme ne devrait pas relever de la rhétorique, puisque l’économie rurale dans une partie non négligeable du pays dépend de la juste résolution de l’insécurité.

De l’autre côté, les réactions de l’opposition politique, suite à ces élections, vont déterminer, en grande partie, la gouvernance du nouveau mandat, dès après la proclamation des résultats. L’opposition va-t-elle engager un cycle de contestation plus ou moins musclée ou aura-t-elle une attitude moins « républicaine » surtout en matière de dialogue politique ?

Comme toujours, les relations entre les citoyens burkinabè et la gouvernance politique seront déterminantes. Le modèle de ces relations, jusque-là, est celui d’une abstention générale au moment de la formulation des décisions et des politiques publiques, suivie d’une réprobation sourde nourrissant une colère rentrée, qui se termine par une explosion sociale (2008) ou politique (2014).

Le schéma citoyen-institutions idéal voudrait que les citoyens s’expriment dès la prise des décisions et la formulation des politiques publiques afin de les corriger selon les attentes des citoyens. Ainsi, on passerait d’une gouvernance basée sur l’appréciation des individus à celle d’une prise en main sociétale de la destinée nationale, en évitant les crises cycliques. En appliquant cette approche aux présentes élections, l’opposition et les citoyens auraient dû, depuis un an au moins, s’attacher aux conditions de déroulement des élections en évaluant chaque hypothèse, et surtout en obligeant la CENI à la transparence sur certains aspects de l’organisation des élections. On a laissé faire la CENI pour constater que l’organisation des élections comporte beaucoup de déficiences.

Comment vous appréciez alors l’attitude des candidats signataires de l’accord politique de l’opposition avant la publication des résultats de l’élection du président du Faso ?

Les annonces, par Zéphirin Diabré, pendant la campagne d’un possible rejet de sa part, des résultats des élections, au cas où ceux-ci ne seraient pas « sincères », dénotent d’un climat politique tendu, lors de ces élections. Beaucoup d’efforts ont pourtant été faits afin de parvenir à une annonce des résultats sans heurts. Le chef de file de l’opposition politique se justifie en rappelant son attitude républicaine à l’annonce des résultats de 2015 saluée par tous. Le déroulement des opérations de vote le 22 novembre 2020, constaté par plusieurs citoyens, a rallié plusieurs autres candidats à l’élection présidentielle à la position de Zéphirin Diabré. Bien sûr, dans le camp victorieux, cette réaction des candidats de l’opposition sera minimisée et même raillée, oubliant que ce fut le même scénario sous Blaise Compaoré, quand quelques acteurs avaient commencé, dès 2009, à s’opposer aux velléités de modification de l’article 37. Malgré sa permanence dans le pays, la logique interne immuable des crises socio-politiques n’est pas encore appropriée par les principaux acteurs, en particulier ceux détenant les manettes du pouvoir politique.

Et pour ce qui concerne les supposées fraudes ?

De ma position, j’utilise plutôt l’expression irrégularités ; les fraudes étant une réalité judiciaire étayée par des faits matérialisés par des pièces. J’ai fait des constats, comme beaucoup d’électeurs, que plusieurs dispositions du code électoral n’ont pas été respectées lors des opérations de vote du 22 novembre 2020. La non ouverture à l’heure prescrite des bureaux de vote, l’absence de certains matériels (fiches de procès-verbaux), le non affichage des listes d’électeurs à l’entrée des bureaux de vote, l’invalidité des cartes d’électeurs de 2015, l’inégale répartition des électeurs dans les bureaux de vote d’un même centre de vote (écoles, lycées), cela fait beaucoup de manquements pour un seul processus électoral.

Les responsables de la CENI et ceux qui sortent vainqueurs des élections s’indignent des récriminations de l’opposition et de certains électeurs quant à la qualité des élections. Ils oublient bien vite que ce sont les impôts de tous les Burkinabè qui sont utilisés pour assurer le fonctionnement de la démocratie à travers ces élections. La paix sociale recherchée par des élections acceptables organisées avec les contributions forcées de tous les citoyens est un minima de la citoyenneté, sans même aller jusqu’à l’externalité de la stabilité qui doit découler automatiquement des élections démocratiques. Et si les voies conventionnelles ne permettent pas aux citoyens frustrés de s’exprimer sur les affaires publiques de leur pays, la défiance et, plus loin, la désobéissance à l’ordre institutionnel sera le quotidien dans le pays.

Rétrospectivement, concernant les cinq années de pouvoir du MPP, des choses auraient-elles pu être améliorées ?

Les programmes et projets de société de tous les treize candidats, incluant le président en exercice, à l’élection présidentielle peuvent être considérés comme la synthèse vivante des préoccupations des Burkinabè à ce moment précis de l’histoire de ce pays. Les secteurs de déficit ont été bien mis en évidence, proposant du même coup, un cadre d’analyse de la gouvernance qui va s’instaurer à partir du renouvellement des principales institutions politiques du pays. Les alertes sur le modèle socio-politique du Burkina Faso qui datent d’au moins 2010 sans que les leçons ne soient convenablement tirées et les atteintes à l’ordre social et politique, non seulement se multiplient, mais surtout gagnent en intensité dans la négativité.

La gradation du pire est lisible à partir des émeutes de la faim de 2008, des mutineries de 2011, du soulèvement populaire de 2014, du putsch de 2015 et enfin du terrorisme depuis 2016. Et chaque fois, le groupe détenant le pouvoir politique s’enferme dans une tour de verre, nie la réalité, organise des « réponses » décalées aux critiques, continue les mauvaises pratiques et les exclusions de divers ordres. Très peu de pays au monde assurent le bien-être parfait à la totalité de leur population, mais aucun ne devrait organiser les injustices en doctrine d’Etat. A défaut de la protection à tous les citoyens, l’équité et la justice sociale devraient être les principes de société. C’est de l’avenir des générations à venir qu’il s’agit aussi. Au constat, il est très prévisible que le Burkina Faso d’après les élections du 22 novembre sera le même que celui d’avant ces élections, c’est-à-dire plus de souffrance pour beaucoup de Burkinabè. Alea jacta est.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
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