Actualités :: Burkina/Situation humanitaire : Boukary Pakmogda, le « bon samaritain » de (…)

Grâce à ses multiples efforts, les Personnes déplacées internes (PDI) sur le site de Kienfangué, un village de la commune rurale de Komsilga (à une trentaine de kilomètres à la sortie sud de Ouagadougou), regagnent le sourire. Lui, c’est Boukary Pakmogda, affectueusement appelé « Bouba ». Natif dudit village, il a, volontiers, décidé, et sans tambour ni trompette, d’apporter du réconfort à ces personnes victimes du terrorisme, venues de zones attaquées, pour trouver refuge à l’école du complexe multifonctionnel de la marine qatarie. Portrait d’un « bon samaritain » devenu un père adoptif, tuteur ou encore un "mari" pour certaines PDI de ce site.

Mercredi, 18 juin 2024, le soleil se lève sur le camp informel des PDI à Kienfangué, où vivent près de 500 âmes qui ont été obligées de fuir les violences terroristes. Installées depuis près de cinq ans dans cette école du complexe multifonctionnel de la marine qatarie, ces PDI, constituées en majeure partie de femmes et d’enfants, vivent dans des salles de classe "surpeuplées", loin des agissements inhumains de ces hommes sans foi ni loi et quand bien même gardent toujours vifs les moments difficiles qu’elles ont vécu dans leur zone de provenance.

Grâce à ce « bon samaritain », Boukary Pakmogda, natif du village, la vie a repris son cours normal chez ces PDI. « Salam aleykoum, Salam aleykoum (que la paix soit avec vous, en arabe) », lance Boukary Pakmogda à ses hôtes à notre arrivée sur le site. C’est devenu presque un devoir pour lui, dit-il, de lancer ce « salam aleykoum » à ces PDI qui regagnent la dignité grâce à lui, avant d’entamer sa journée.

Redonner le sourire et de l’espoir à ces victimes du terrorisme, c’est l’objectif de ce « bon samaritain » qui s’investit corps et âme pour que ces « hôtes » ne crèvent pas de faim. Quitte à entrer souvent en déphasage avec certaines autorités pour la cause des PDI, selon ses confidences. « Parce que souvent, quand je mobilisais les vivres pour envoyer dans certains sites, surtout à Kaya (capitale du Centre-Nord), des autorités m’avaient dit que je ne devrais pas faire cela et que je devais passer par elles. Ce qui fait qu’on ne s’entend pas souvent, parce que le plus important pour moi, c’est que ces personnes aient à manger et non de se tirailler sur une question de qui doit faire quoi », se plaint-il.

Vue partielle des objets collectés par Boukary Pakmogda et conservés dans un magasin en attendant le partage

L’homme s’explique difficilement que pour une question d’exigence administrative, l’on garde des gens dans la faim. C’est d’ailleurs pour cela qu’il dit avoir décidé de ne plus collecter des dons pour convoyer vers les zones d’accueil, mais de rester sur place à Ouaga pour agir. En plus de ces difficultés administratives, il dit être aussi confronté souvent à l’ingratitude même de certaines PDI.

Mais le plus important pour lui, proclame-t-il, c’est d’aider celles qui le veulent, pas au nom d’un être humain, mais celui qu’il prie, son Dieu. Et aux yeux des pensionnaires de ce site, il est un père adoptif, un tuteur ou encore un mari pour les femmes, en témoigne son engagement pour ces orphelins et veuves.

Aminata Gueraka, une quinquagénaire, veuve et mère de six enfants, vit sur ce site d’appoint depuis cinq ans après avoir fui son Bourzanga natal (commune de la région du Centre-Nord) à cause des exactions des terroristes.

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Grâce à la grande générosité de « Bouba », elle respire l’air d’une vie quotidienne normale. « Depuis qu’on est là, il n’a jamais mangé, ni bu sans nous. Et quand il part en ville pour travailler, il revient avec des gens pour nous donner des vivres et des habits. Une personne que vous ne connaissiez pas et qui n’a aucun lien familial avec vous, qui vous adopte et qui fait tout pour vous, est-ce qu’on peut le remercier assez ? », marmonne-t-elle presque les larmes aux yeux.

Pour elle, il est leur « Gansoaba » (tuteur en mooré), dans ce village étranger. Les bienfaits de ce Gansoaba, exprimés à leur endroit sont inestimables. « Seul Dieu pour le recomposer », bénit-elle.

Sur ce site, tout le monde est unanime qu’il a le cœur sur la main. Taïrou Gassembé et Moussa Gassembé, tous deux pères de famille et venus de Bourzanga pour les mêmes raisons, sont sans voix quand il s’agit de parler de « Bouba ». N’eût été l’aide de cet altruiste, les choses auraient été plus difficiles pour eux. « Que ferons-nous avec nos enfants ? Sa cour est juste à côté et chaque matin, comme aujourd’hui, il s’arrête ici avant d’aller en ville et il récolte tout ce qu’il gagne auprès des personnes de bonne volonté et nous les apporte. En tout cas, c’est un homme de Dieu, parce que ce qu’il fait pour nous, c’est beaucoup. Il est devenu l’un des nôtres. Ce site est un deuxième chez-lui », confient-ils.

Aminata Gueraka, veuve et mère de six enfants venue de Bourzanga (Centre-nord) estime que Boukary Pakmogda est une bénédiction pour les PDI

Le Gansoaba, comme on l’appelle dans ce site de fortune, a été sans doute influencé par son défunt père pour qui le bonheur des autres comptait plus que le sien, selon le témoignage de son fils. Sa charité, son don de soi et son dévouement envers les autres, comme les gens le décrivent, il les a donc hérités de celui-ci.
Pour celui qui est également surnommé sous d’autres cieux « maire des cimetières », du fait de son impact également dans ce sanctuaire des morts, la vie de demain, le « paradis », se prépare aujourd’hui à travers les actes que l’on pose.

Pour la petite histoire, le quinquagénaire, Boukary Pakmogda, est un père de famille nombreuse qui s’est engagé dans la propreté des cimetières depuis une quinzaine d’années. L’homme se définit comme l’ami des plus faibles et des sans voix. Selon lui, chacun doit faire le bien, sans exception. Car le bien qu’on fait aux autres nous revient toujours sous d’autres formes, se convainc-t-il.

Fils aîné d’une famille polygame, M. Pakmogda, lui aussi polygame, est devenu un père adoptif pour ces orphelins de cette crise sécuritaire, un « bon » tuteur des adultes et un « mari » pour les veuves dans ce site de fortune de plus de 500 PDI, venues pour la majorité de villages de la commune de Bourzanga.

Cette commune située dans la région du Centre-Nord occupe la deuxième place des localités accueillant plus de Personnes déplacées internes (PDI), avec un chiffre de près 500 000 (493 954) à la date du 31 mars 2023, selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR).

Nombre de PDI par région au Burkina Faso à la date du 31 mars 2023 ( source : SP/Conasur)

Cette commune périphérique, comme la plupart des communes périphériques de la capitale burkinabè, accueille d’ailleurs en son sein des milliers de personnes déplacées internes, malgré l’interdiction des autorités de l’époque du pays de s’installer dans les villes et villages qui ne sont pas définis comme des zones d’accueil. Ainsi, la commune de Komsilga accueille plus de 1 000 sur les 59 822 installés dans la région du Centre (dernier bilan du CONASUR).

Celui qui a fait du cimetière de Nagrin un modèle de propreté, veut aussi que ces PDI qui ont fui les bruits et les crépitements des balles soient aussi accueillies à bras ouvert et aidées dans toutes les localités.

C’est désormais son combat et il plaide leur cause auprès de quiconque peut leur venir en aide selon ses moyens. Pour le natif de Kienfangué, c’est de la responsabilité de tous les Burkinabè si une PDI, où qu’elle soit installée, manque de quoi que ce soit, et il le regrette en ces termes : « Parce que si elles (PDI) ne mangent pas, si elles ne s’habillent pas aussi, si elles ne se soignent pas aussi, ça sera de notre faute et Dieu nous demandera les comptes. Parce que c’est de notre rôle de s’occuper des autres. Si tous ceux qui jettent leurs nourritures à la poubelle pouvaient penser qu’il y a des gens qui n’ont pas à manger, ces PDI n’auront jamais faim, parce que chaque jour nos poubelles sont pleines de nourritures et de vieux habits. »

Lire aussi : Réponse humanitaire au Burkina : Roukiatou Maïga, l’amazone qui redonne espoir aux personnes déplacées internes à Dori

Ce combat, il dit l’avoir commencé depuis le début de la crise sécuritaire et il a eu à mobiliser une tonne de riz et l’a envoyée au camp des PDI de Kaya, dans le Centre-Nord. Tout cela s’est fait dans la discrétion et l’anonymat. Car, selon sa philosophie, il n’a pas besoin de parler de ce qu’il fait, parce que le plus important, c’est que des gens ne dorment pas dans les rues, ni dans la faim tant que l’on peut faire quelque chose pour eux. Il prône la discrétion, mais ces œuvres parlent d’elles-mêmes.

Fondues désormais dans cette masse de Komsilga aux 101 193 âmes (selon le recensement général de l’INSD de 2019), ces PDI arrivent à mener de petites Activités génératrices de revenus (AGR) pour vivre. Ce, grâce au soutien indéfectible de Boukary Pakmogda.

Moussa Gassembé, père de famille venu de Bourzanga et installé sur le site de fortune de Kienfangué, implore les bénédictions de Dieu pour leur bienfaiteur

Parmi ces PDI qu’il a aidées à se réinsérer professionnellement, on a Ousmane Diallo. Ce père de famille, que nous avons rencontré dans la mi-journée du 19 juin sur le cimetière de Nagrin, a fui la crise terroriste dans le Nord pour s’installer dans ce quartier de Ouagadougou. Il fait partie de la trentaine d’employés que le « bon samaritain » emploie dans ledit cimetière.

« Quand je suis arrivé à Ouagadougou avec ma famille, je ne savais pas où aller et quand je me suis renseigné, on m’a donné son numéro et il m’a proposé de travailler avec lui dans ce cimetière. Et depuis plus de trois ans, c’est grâce à ce travail que je nourris ma famille et on espère qu’un jour, on repartira chez nous. Il a fait pour moi ce que ma famille n’a pas fait, parce que quand je suis arrivé, je ne savais pas où aller et c’est lui qui m’a aidé à m’installer et avoir un petit travail pour me débrouiller en attendant », conte le PDI.

Ousmane Diallo n’est pas la seule personne à avoir bénéficié des services de Boukary Pakmogda. À l’exemple de ce père de famille venu du Nord du Burkina, nous avons croisé également sur ce lieu Salif Maïga, venu témoigner sa reconnaissance à son bienfaiteur (Boukary Pakmogda). Pour ce vingtenaire, très vif à vue d’œil, venu d’un village de Djibo, après deux ans passés dans ce cimetière avec le « bon samaritain », il dit vouloir rejoindre Bobo-Dioulasso (2e grande ville du Burkina Faso) où se sont installés certains membres de sa famille.

« Je ne peux aller sur les champs des combats, c’est donc ma manière à moi de combattre pour libérer mon pays », lâche-t-il pour justifier son œuvre.

Yvette Zongo
Lefaso.net

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