Actualités :: Dossier foncier à Garghin : « Les vrais terroristes se trouvent en notre (...)

Le dossier sur la crise foncière que connaissent les villages de Garghin et de Tingandogo, dans la province du Kadiogo, ne semble pas reléguée au rang du passé. A en croire le porte-parole des habitants concernés, Moustapha Titinga Nikiéma, que nous avons rencontré le mardi, 7 janvier 2020, l’administration a dissipé plus de 400 parcelles dans cette affaire. Mobilisés, les habitants annoncent pour les jours à venir, des mouvements pour protester contre ce qu’ils ont qualifié de « vol » de parcelles par des "autorités." Entretien !

Lefaso.net : Pouvez-vous revenir en gros sur le fond de l’affaire pour nos lecteurs ?

Moustapha Titinga Nikiéma : Nous avons été victimes d’une dissipation de parcelles. C’est-à-dire que l’autorité compétente, à qui on a remis notre dû ne nous a pas tout remis. De par sa position, l’autorité a gardé une partie de ce qui devait nous revenir. Pour comprendre l’affaire, il faut remonter en 2004. Sur documents, les dirigeants avaient promis remettre les parcelles.

En 2005, on a constaté la dissipation. Nous avons poursuivi sans succès, jusqu’au départ du pouvoir Compaoré. Nous avons relancé avec la transition, qui nous a écoutés, mais n’a pas pu faire quelque chose. Le pouvoir de Roch Kaboré est arrivé et dit que ce que nous revendiquons est juste, qu’il va régler le problème (avec surtout les commissions ad’hoc mises en place). Malheureusement, ce sont les mêmes pratiques d’avant qui se poursuivent. Vous avez réalisé, mais remettez !

Lefaso.net : Qui est ici en cause ?

C’est l’administration ; puisque c’est elle qui a géré. Le contrat de départ, c’est la SONATUR (Société nationale d’Aménagement des terrains urbains), en relation avec la direction générale de d’Urbanisme et la préfecture de Komsilga. Donc, s’il y a dissipation, on ne peut accuser que ces groupes de personnes-là.

Lefaso.net : Sur quoi porte la dissipation ?

Sur des parcelles. Plus de 400 parcelles.

Lefaso.net : Combien de parcelles sont finalement revenues aux habitants ?

Environ 1 500. On devait entrer en possession de plus de 1900 parcelles. Au finish, ils ont annoncé 1 500. C’est après avoir fait le travail que nous avons constaté le manquant. Voilà pourquoi je parle de dissipation.

Lefaso.net : Au départ, combien de personnes étaient concernées par le dédommagement ?

Il y avait deux villages qui étaient concernés : le village de Garghin et celui de Tingandogo. Ce sont leurs terres cultivables qui ont été dépossédées au bénéfice de la LONAB (Loterie nationale burkinabè) et d’une société immobilière.

Lefaso.net : Mais peut-on avoir le nombre de personnes qui étaient concernées par ce déguerpissement ?

Ce sont les propriétaires terriens de ces villages-là. On ne pouvait pas faire un recensement, c’était impossible. L’administration a dit : voici la surface que je veux et en contrepartie, le reste de vos terres, on va faire des parcelles pour vous et c’est ce qu’elle a fait. Les parcelles ont été faites et remises à l’autorité administrative pour nous remettre. L’autorité administrative a réceptionné et nous a invités pour dire que notre dû est venu et qu’on va procéder maintenant au partage.

Donc, on remet 1 000 parcelles à tel village et 400 à l’autre village et les 100 et quelques qui restent, on les remet à l’administration notamment à ceux qui nous accompagnent (dans tous les cas, les motivations ne sont pas les mêmes). Après discussions, on a accepté. Alors que dans les documents officiels, depuis la SONATUR, c’était plus de 1 900 parcelles qui devaient nous revenir. Voyez-vous, ce couac-là, il fallait qu’on fasse des pieds et des mains pour pouvoir avoir les éléments de preuve que nous avançons et c’est lorsqu’on les a eus que nous avons revendiqué le reliquat et c’est ce qui nous amène aujourd’hui à ces multiples problèmes.

Lefaso.net : Vous parliez de parcelles qui devaient revenir à l’administration, précisément aux gens qui vous ont accompagnés. Est-ce que c’est ce que disent les textes ?

Non, ce n’est pas du tout autorisé ; parce que depuis la SONATUR, le premier jour, quand le directeur technique remettait les parcelles, personnellement, je lui ai demandé (parce que c’est moi qui suivais, j’étais au-devant) s’il était possible qu’il enlève d’abord une part pour eux afin de nous laisser avec notre gâteau. Il a dit non, que l’administration est condamnable (si elle le fait), qu’ils n’ont même pas le droit d’enlever une seule parcelle. Ils ont géré la situation, ils nous remettent toutes les parcelles, quitte à nous d’enlever des parcelles pour qui on voudra. Il a dit : nous, on a fait le travail, les parcelles, c’est pour vous. C’est ce que le directeur technique a dit.

Mais, c’est après le partage, et après recherche, que nous avons constaté la dissipation.

Lefaso.net : A ce jour, combien de personnes attendent leurs parcelles ?

C’est un patrimoine. Ainsi, même si j’avais eu une parcelle, est-ce que vous pensez que c’est suffisant et que j’ai été dédommagé suffisamment. Ces terres nous ont été léguées par nos anciens. A notre tour, nous sommes obligés de les léguées aux futures générations. Maintenant, quand on nous prend ces terres-là, il faut monnayer encore d’autres terres pour l’avenir. Pour ajouter encore, le directeur technique a dit que l’administration ne vous donne pas de l’argent en occupation de vos terres, mais elle peut faire des parcelles pour vous, quitte à vous de vous débrouiller.

C’est ainsi que nous avons discuté et j’ai dit, ce sont des cultivateurs, si vous prenez leurs terres, vous voulez qu’ils partent cultiver où ? Il a dit que c’est à nous de nous débrouiller. J’ai dit, dans ce cas-là, on va monnayer ; on garde une partie, on vend une autre partie pour acheter d’autres terres plus loin. C’est ce qui a été fait. Donc dans chaque famille, nous avons escompté avoir au minimum trois parcelles (vous avez une parcelle, la femme et les deux enfants).

Certains ont pu acheter des terres pour aller cultiver, d’autres n’ont pas pu ; parce que la taille des familles n’est pas la même (pour que l’enfant ait une parcelle, il fallait avoir quinze ans révolu ; donc il y a des familles où ce sont uniquement madame et monsieur qui ont bénéficié). Nous nous sommes dit, on va revendiquer le reste de ce qui a été dissipé, ça pourra nous permettre de régler pas mal de problèmes. C’est-à-dire qu’avec ce que nous allons récupérer, on peut se permettre d’ajouter à certains pour leur permettre d’aller acheter d’autres terres (cultivables) ailleurs. En 2017, quand le ministre a donné son accord, il y a eu des contrats entre ces villageois et d’autres villageois plus loin ; donc les gens s’attendent maintenant à aller cultiver à Ipelcé, en allant vers Sapouy.

Lefaso.net : Le ministre avait rassuré que les inquiétudes allaient être levées ! Pourquoi la question se pose-t-elle toujours aujourd’hui ?

Vous savez, l’administration reste l’administration et les hommes sont les hommes. Si l’administration était ce que nous avons connu quand on était petits, je pense qu’on n’allait pas avoir tous ces problèmes. Nous ne pouvons pas comprendre que le ministre ait reçu les documents, et qu’il nous fasse une injustice flagrante à travers son département (le département du ministre de l’Habitat) … ; je me dis qu’il devait gérer le problème. Encore que nous avons apporté les preuves (nous avons sermonné la SONATUR et de là, le problème est parti au ministère qui a dit que le gouvernement va gérer ce genre de problèmes-là).

Donc, quand le ministre nous a rassurés, on s’est dit déjà que c’est bon, notre problème est réglé. On a attendu et en 2018, ils ont mis les bornes et bien avant ça, ils ont demandé le nombre et je leur ai dit : c’est ce qui est dans le papier (on ne peut pas demander au-delà). A la dernière minute, en fin 2019 (puisqu’ils avaient fait la liste des personnes devant bénéficier, plus de 450 personnes), le conseiller technique fait savoir que le ministre a dit qu’il ne peut pas donner tout ce nombre. Je dis mais non, il faut donner parce qu’avant de faire les parcelles, vous étiez au courant de la situation (on ne peut pas se lever aller faire des parcelles et décider de donner un certain nombre, alors que ce sont des problèmes qu’on veut résoudre). Son conseiller dit qu’il n’y a pas de problème, que ça allait être résolu dans la même semaine et qu’ils allaient nous revenir en totalité.

C’est dans cette attente qu’on m’appelle pour dire : monsieur Nikiéma, nous on ne peut que vous donner 20 parcelles. Je n’ai rien dit, je me suis tu, parce que j’étais sidéré. Je ne comprenais plus l’attitude du ministère. Ça fait pleurer et pitié. D’abord pour notre administration et je pleure pour le préjudice. Mais j’ai attendu, quand ils m’ont dit de venir chercher, j’ai appelé le cabinet qui nous accompagne, d’aller nous représenter et prendre. Il est revenu et je me suis dit que c’est un problème pour moi : vous me donnez 20 parcelles, est-ce pour moi ou pour quoi ? Pour créer une bagarre entre moi et la population et je deviens la bête à abattre … ?

Lefaso.net : Mais sur quelle base vous attribue-t-on les 20 parcelles ?

C’est ce que je ne comprends pas. Mais comme il y a un document (joint), on a pris et on a lu. Dans le document, on a dit que c’est par rapport au terrain occupé pour la construction de l’Assemblée nationale.

Lefaso.net : Il y a un terrain prévu sur le site pour la construction de l’Assemblée nationale ?

Au départ, il n’y avait pas ça. Quand la direction générale de l’Urbanisme venait prendre nos terres-là, on ne parlait pas d’Assemblée nationale là-bas (en 2004, on n’en parlait pas). En plus, les terres ont été occupées sans évaluer les superficies ; ils ont décidé d’autorité. Donc, c’est la force. Avec ces 20 parcelles, j’ai appelé mes ‘’lieutenants’’ des deux villages et leur ai exposé le problème. Donc, nous avons enlevé 20 noms sur la liste des 400, question de continuer à réclamer le reste. J’ai dit si on ne prend pas, ça ne fait pas sérieux.

Lefaso.net : Etes-vous reparti vers le ministère de tutelle ?

Si, j’y suis allé. J’ai même contacté le directeur général de la SONATUR. On m’y connaît tellement que des fois, on ne me prend pas au sérieux, on croit que c’est ma cause personnelle. Les gens m’ont confié une responsabilité et je dois la conduire. Je me suis dit qu’il faut qu’on ait de la transparence. Mais comme j’étais toujours en activité (quand c’est le cas, les gens peuvent manœuvrer et ils avaient même décidé de m’affecter loin), je me suis calmé jusqu’à ce que je prenne ma retraite en 2014 et je suis rentré en activité à nouveau sur la question.

Les gens m’ont demandé combien je veux. Je dis que je veux la transparence, le juste ; parce que si la société immobilière n’est pas dans la transparence, les gens qui achètent ses villas peuvent avoir des problèmes de propriété (parce qu’il n’y aura pas de papiers corrects), des années après et là, ce n’est pas bon, c’est très dangereux. En 2016, la société immobilière n’avait aucun papier. Mais quand le gouvernement Roch Kaboré est arrivé, elle a eu tous les papiers. On s’est demandé comment elle a eu les papiers ; parce qu’il faut d’abord que les propriétaires terriens cèdent leur terrain, ce qui n’est pas le cas (pourtant elle a des attestations signées). Ce n’est pas du tout bien.

Lefaso.net : A ce jour, le terrain de la société immobilière est-il cédé ou pas ?

En tout cas, la société immobilière en question, a les papiers et elle est même en train de construire. Les propriétaires terriens n’ont pas cédé. Mais, la société immobilière n’est pas venue contre nous ; c’est l’administration qui a manigancé. La société immobilière cherche simplement à entrer dans un droit, selon les textes. Si des gens dans l’administration peuvent s’asseoir prendre des décisions et dire que c’est au nom de l’autorité supérieure, ça fait pitié et ça fait pleurer.

Lefaso.net : En récapitulatif, votre problème aujourd’hui, ce n’est ni avec la société immobilière ni avec la LONAB, mais plutôt avec les intermédiaires que sont la SONATUR et la direction générale de l’Urbanisme !

Justement ! Tout en sachant que la SONATUR est rattachée au ministre de l’Habitat et de l’Urbanisme. Voilà pourquoi, je dis que le ministère doit être interpellé, ce n’est pas bon.

Lefaso.net : Quelle est votre attente aujourd’hui ?

Qu’on nous dédommage, qu’on nous donne nos parcelles. On ne demande même pas qu’on nous donne monnaie pour monnaie ce qui devait nous revenir ; si on devait le faire, ça allait être grave. La superficie occupée par la société immobilière et la LONAB n’est pas la même qu’on nous a donnée. Encore que même là, ce sont nos terres cultivables (ce qui n’est même plus un dédommagement, parce que ce sont nos terres). Quand nos enfants vont grandir, imaginez ce qui peut être leur réaction, lorsqu’ils vont se rendre compte que leurs parents ont été floués.

Il faut comprendre qu’il y a une certaine solidarité au village ; au village, quand on dit que vous êtes propriétaire terrien, ça ne veut pas dire que c’est un legs de votre père, non. J’ai un cousin, là où je cultive, il est aussi propriétaire, de même que moi et mes enfants. Aussi, si on revient dans l’histoire, Tingadogo est un des villages les plus anciens, qui a existé avant même les villages de Garghin, Bassem-yaam, Boulbi. On peut même dire que Garghin est un quartier, en quelque sorte, de Tingandogo.

Mais ce n’est pas pour autant qu’ils sont venus et qu’ils ne doivent pas avoir de terres cultivables, ils ont hérité d’une superficie, qui devient pour eux. On devient solidaire, parce qu’on partage nos peines et joies ensemble. Quand on vient prendre ma terre, je griffonne un peu chez lui. C’est pour dire que toutes les terres-là, c’est Tingandogo et Garghin. C’est de droit. Presque tout le village de Garghin a été englouti, voilà pourquoi on lui a donné 1 000 parcelles et à Tingandogo, 400 parcelles. En réalité, il n’allait pas avoir de difficultés, si on ne nous avait pas volés. C’est pourquoi, nous avons pris un cabinet pour nous aider à défendre nos droits.

Lefaso.net : Est-ce que les propriétaires terriens ne partagent pas la responsabilité de cette situation ?

Non, ils ne sont pas fautifs ; parce qu’au Burkina, vous ne verrez nulle part un propriétaire terrien s’opposer à une réalisation de l’administration. Il accepte, et même à bras ouverts ; puisqu’il se dit que c’est pour leur bien, le bien de sa localité. Ce qu’il y a, c’était d’honorer ce qu’ils ont dit, c’est tout. Ça me fait mal de savoir que l’administration fonctionne ainsi. C’est très triste parce qu’avec ça, le pays n’a pas d’avenir. Ça fait mal aujourd’hui de se rendre compte que c’est ceux d’en haut là-mêmes qui sont malhonnêtes.

Aujourd’hui, il n’est pas rare de voir une autorité qui sort et qui ment publiquement. C’est grave et personnellement ça me fait mal, c’est révoltant. Nous avons affaire à des terroristes, mais nous avons de vrais terroristes en notre propre sein. Et si ceux d’en haut-là ne rectifient pas vite le tir, ils vont essayer à un certain moment, mais ce sera trop tard. Pourquoi piller les gens de la sorte. Ce sont les mêmes gourmands qui sont à la marmite, donc rien ne va parvenir au bas peuple. Quand on parle de cohésion sociale, c’est tout cela.

On nous dit à longueur de journée qu’il faut la solidarité, l’unité pour lutter contre le terrorisme. On ne peut pas mettre des rapaces en haut et croire que tout va aller bien. Non, ce n’est pas possible. Nous revendiquons juste ce qui nous revient, on ne veut pas ce qui ne nous appartient pas, il faut nous le donner. Depuis Sankara (Thomas), la jus,tice sociale tant prônée a foutu le camp. Nous, nous allons pleurer pour que les autorités entendent nos pleurs ; qu’il plaise à elles de régler ou de ne pas régler.

Entretien réalisé par Oumar Ouédraogo
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