ActualitésDOSSIERS :: Menaces terroristes au Nord : Inquiétude et consternation à Kaïn

Kaïn, commune rurale de la province du Yatenga, région du Nord est à environ 265 kilomètres de Ouagadougou la capitale burkinabè. Dans cette bourgade, les populations vivent dans une peur permanente suite à l’exécution d’un professeur du lycée départemental. Comme le disent les habitants eux-mêmes, « il n’y a pas de vie après 20 h »,

Vendredi 19 janvier 2018. Yensé, village qui abrite le poste de police des frontières avec le Mali, est traversé par la Route Nationale 2 (RN2). C’est notre porte d’entrée dans la commune rurale de Kaïn. En cette matinée où les rayons de soleil dissipent les vents d’harmattan, il n’y a pas de voyageurs au poste frontalier. La présence remarquée des soldats lourdement armés laisse imaginer aisément la mission à eux assignée. Impossible de franchir cette localité sans décliner son identité aux agents de police. L’occasion est mise à profit par le reporter que nous sommes de donner les raisons de notre présence dans la commune qui partage plusieurs kilomètres de frontière avec la République du Mali. Sécurité oblige. Suite aux échanges avec les éléments des forces de défense et de sécurité, le cap est mis sur les routes de la commune.

La vie ne tourne pas après 20 h

Ce religieux installé dans la localité depuis une vingtaine d’années n’envisage pas de quitter Kaïn malgré la menace terroriste permanente. « Depuis l’assassinat du professeur du lycée départemental l’année dernière, la vie est très difficile dans notre contrée. La peur s’est installée dans les esprits à telle enseigne qu’il n’y a plus de vie ici après 20h. « Il faut que les autorités prennent des dispositions pour nous sauver avec l’aide de Dieu. Ici, les menaces sont permanentes » indique notre interlocuteur.

Au marché de Kaïn comme chaque vendredi, il y a du beau monde. Le sujet de la menace terroriste fait l’objet des discussions sous les hangars en pailles, nous confie notre interprète local. Mais difficile de trouver un interlocuteur quand il s’agit de s’exprimer devant le micro. Les uns et les autres se refusent à tout commentaire, animés par la crainte de représailles. Même sous le couvert de l’anonymat, les habitants opposent un refus catégorique. Un élève en classe de 4ème au lycée départemental, courageusement décide de parler. « C’est la mort de notre enseignant qui a mis le village dans la désolation. Il n’y a plus d’activités récréatives (réjouissances lors des mariages et baptêmes), tous les agents de l’Etat ont déserté notre village. Nous ne savons pas pourquoi les gens sont venus du côté de la frontière tuer notre professeur et blesser deux autres, nous privant ainsi d’enseignants. Ça fait pitié. L’année prochaine, si la situation ne change pas, j’irai à Thiou ou à Ouahigouya pour reprendre les études ».

Le danger vient de la frontière

En attendant, notre « brave » élève travaille dans une boutique pour avoir un peu d’argent. Il souhaite, tout comme ce parent d’élève que nous avons aussi rencontré, que des mesures idoines soient prises pour la poursuite des cours. « Nos enfants sont dans la nature, la peur nous envahit à cause des exactions et des menaces verbales et personne ne nous vient en secours, c’est cela qui nous inquiète », explique un membre de l’association des parents d’élèves de la commune. Un conseiller municipal (qui préfère garder l’anonymat comme la plupart des interlocuteurs) lâche ses sentiments : « Je déplore vraiment la fermeture de la mairie. L’insécurité vécue par les populations provient des villages environnants de l’autre côté de la frontière malienne. Chez nos frères des villages de l’autre côté de la frontière sont venus il y a quelques jours (12 janvier 2018), des individus qui ont fait irruption dans les mosquées pour imposer leur vision de la religion par des prêches (Ouazou). Nous avons la confirmation que trois personnes ont été tuées là-bas ».

Une année scolaire hypothéquée ?

L’insécurité grandissante dans la zone frontalière met à rude épreuve le fonctionnement du système éducatif. Selon les statistiques de la Direction Provinciale de l’Education Préscolaire, Primaire et non formelle du Yatenga (DPEPPNF/Y), la commune de Kaïn compte 13 écoles primaires publiques, 03 écoles coraniques et 75 enseignants dispensent des cours au profit de 2428 élèves. L’ouverture du lycée départemental depuis quelques années et qui compte six classes actuellement contribue à la résolution de la problématique de l’enseignement dans cette localité. Malheureusement, lors de notre premier séjour dans la commune, aucun établissement n’était ouvert à cause de la grève des enseignants et de l’assassinat du professeur. A l’heure même où les évaluations des élèves ont commencé sur le territoire provincial (12 février 2018) pour sauver l’année scolaire, les écoles du territoire communal de Kaïn lors de notre second passage restent toujours fermées.

Cette situation est déplorée par cet instituteur de l’école du village de Nénébourou qui se confie : « C’est avec regret que les enseignants ont déserté les classes pour sauver leur vie. Nous n’avons aucune garantie de protection face à la menace des forces du mal. Nous savons que nous sommes dans une zone dite « rouge », la barbarie de la nuit du 26 Novembre 2017 est venue tout confirmer. On va faire comment ? Que feriez-vous à notre place ? Il faut que l’Etat prenne ses responsabilités pour sauver l’école ».

Relever les défis sécuritaires

L’atteinte des objectifs du développement local ne peut être effective sans la sécurisation des personnes et des biens. Cette conviction est partagée dans la commune de Kaïn dont les populations nourrissent l’espoir de voir les défis de la sécurité relevés dans leur localité. Pour l’heure, cette commune située à un jet de pierre des villages maliens ne dispose ni de commissariat de police, ni de brigade de gendarmerie. A l’entrée du chef-lieu de la commune, un chantier en souffrance depuis 2011 devrait servir, à en croire les populations, de commissariat de district de la localité.

A ce propos, le Directeur Régional de la police nationale du Nord, le Commissaire Divisionnaire Désiré Ouédraogo se veut rassurant : « Les dispositions sont prises pour terminer le chantier. Dans un futur très proche, les travaux de reconstruction seront terminés, de nouveaux effectifs et des équipements nécessaires seront envoyés sur place pour permettre au commissariat de contribuer efficacement à la lutte contre les fléaux qui nuisent au développement local »

Des infrastructures socio-éducatives fermées

Une des conséquences de l’insécurité qui règne dans cette bourgade reste sans conteste la fermeture des infrastructures publiques. Parmi ces infrastructures, il y a le lycée Départemental, situé en bordure de la route départementale. Un des enseignants (Souleymane Kouyama) de cet établissement a été abattu froidement par des individus armés non encore identifiés dans la nuit du 26 au 27 novembre 2017. Plusieurs mois après ce drame qui a également occasionné deux blessés dans les rangs du corps professoral, le triste souvenir reste intact dans l’esprit des habitants de Kaïn qui vivent toujours dans une peur bleue.

Un autre constat, ce sont les fermetures de la mairie, de la préfecture, du centre de santé et de promotion sociale (CSPS). Cette situation porte préjudice aux usagers qui ne peuvent pas se faire établir localement des actes administratifs et bénéficier de soins de santé. Visiblement l’amertume de beaucoup de citoyens est perceptible à l’image de ce quinquagénaire. « Pour sauver les vies de nos malades, nous sommes obligés de nous déporter au deuxième CSPS de la localité situé à Doubaré (une vingtaine de km de Kaïn). Mais en cas de graves maladies, il faut obligatoirement se rendre au Centre médical avec antenne chirurgicale (CMA) de la commune voisine de Thiou où s’est « réfugié » depuis lors le personnel médical du CSPS de Kaïn. »

De cette situation déplorable, les populations sont visiblement plongées dans le désespoir. Ce groupe de notables dont nous gardons les identités dans l’anonymat se posent des questions. « Nous ne comprenons pas l’attitude des gens qui viennent semer la psychose dans la localité. Notre salut, en attendant, viendra de Dieu et nous prions pour le retour de la paix » indiquent-ils. « Quelle que soit la tournure que prendront les évènements, je mourrai ici sur les terres de mes ancêtres. Je voudrais que les populations dans un esprit non partisan s’unissent pour affronter les malfaiteurs avec l’aide de l’Etat » révèle l’un d’eux.

Quel avenir pour cette collectivité ?

Le maire de la commune, Hono Guindo conscient de la gravité de la situation se dit consterné. « Avant l’attaque du 26 novembre 2017 par les bandits armés, nous avons eu vent de rumeurs d’enlèvement de personnalités si bien que nous n’avons pas cherché à prendre des risques », nous confie le bourgmestre. Face au spectre de l’insécurité « suspendu » au-dessus des têtes comme l’épée de Damoclès, le Président du conseil municipal de Kaïn interpelle et appelle, de tout vœu, l’Etat pour venir en aide aux populations de sa commune qui ne savent pas à quel saint se vouer.

En plus de la sécurité, d’autres défis restent à relever, soutient Hono Guindo qui cite pêle-mêle les problèmes d’eau du fait de l’insuffisance des puits, des barrages et autres forages. Malgré ces difficultés, Kaïn reste, foi du maire, une commune qui regorge de potentialités à exploiter. Du reste, l’ambition contenue dans le Plan communal de développement (PCD) est de faire de Kaïn, le premier exportateur de céréales et de bétail dans la province du Yatenga rappelle le maire. Pour relever les défis, les populations comptent sur le soutien de l’Etat et des partenaires. En attendant, elles se posent des questions sur ce qu’elles ont fait pour mériter cette situation qui compromet le développement local. « Entre inquiétude et désespoir, beaucoup, à tort ou à raison, se demandent si la commune fait encore partie intégrante du Burkina Faso » soutient le maire de Kaïn.

Yann NIKIEMA
Lefaso.net


Très chers lecteurs et lectrices, ce reportage s’est déroulé dans un contexte de psychose et de peur généralisée dans une des communes frontalières du Mali suite à une attaque perpétrée par des individus non identifiés.

Entre la volonté d’informer et les risques de représailles dans une bourgade où tout le monde se méfie de tout le monde, les langues se déliant très difficilement, nous nous sommes tenus au principe sacro-saint du respect de l’anonymat de nos interlocuteurs. Ce choix se veut non seulement de protéger les identités de ces quelques rares habitants qui ont accepté de briser le silence mais d’établir un climat de confiance pour la suite du reportage.

Dans cet espace d’omerta, le silence semble être imposé par des gens sans foi ni loi. A cette situation vient s’ajouter le respect des principes de solidarité des populations qui craignent des rétorsions ou des vengeances, en témoigne ce berger d’une église de la localité qui a refusé d’être cité encore moins être pris en photo.

C’est surtout de cette dure réalité et ce sentiment d’abandon de l’Etat que vivent ces braves populations que nous avons voulu, de notre devoir de journaliste, rendre compte à l’opinion publique et interpeller qui de droit sur les conditions de vie des Burkinabè de cette localité faites de peur permanente depuis un certain temps. Que dire, ils ont besoin de se sentir Burkinabè à travers la présence de l’Etat. A contrario tout effort de développement de la commune rurale de Kaïn est compromis.

Y.N.


Encadré 1 : Historique de Kaïn

Commune rurale depuis 2006, Kaïn, à en croire les sages de la localité, signifie buffle en langue dogon. Naaba Siguiri, chef coutumier actuel de Kaïn, relatant l’histoire fait comprendre que le fondateur du village, un chasseur venu de Koro (Mali) à la poursuite de cet animal, s’est stabilisé dans la localité et décida de la nommer Kaïn « c’est-à-dire Buffle » d’où le nom du village. Le pouvoir moderne a d’abord rattaché le village au Yatenga en l’érigeant en département (en 1982). D’une superficie de 720 Km2, la commune compte de nos jours 16.101 habitants (projection 2018) répartis à travers onze villages et six quartiers. Dans cette localité, cohabitent paisiblement les Dogons (autochtones), les Mossis et les Peulhs. D’autres ethnies qui sont minoritaires et très mobiles résident également à Kaïn. C’est le cas des Fulsés et des Bella.

Encadré 2 : Kain attend des gestes forts

Kaïn, commune frontalière, très pauvre, avec des défis socio-économiques énormes à relever attend visiblement des gestes forts du pouvoir central. C’est le moins que l’on puisse dire au regard du désespoir qui s’installe dans cette commune. Mais le salut pourra venir du Programme d’Urgence pour le Sahel (PUS-BF). Ce programme dont la mise en œuvre est en cours, prend en compte les communes de Kaïn, Bahn, Sollé (Région du Nord). Il s’agira d’améliorer l’accès aux services sociaux de base et la résilience des populations, la gouvernance administrative et locale, de renforcer la sécurité des populations et de leurs biens. A en croire les autorités régionales, il y a de l’espoir pour les populations avec l’électrification rurale de la commune (en cours), la construction de la préfecture, l’aménagement de la route départementale N°43 principale voie d’accès à la commune etc. Photo 1902

Encadré 3 : Chercher l’eau à 75 mètres dans les puits

Le concours des animaux comme les chameaux et dromadaires est sollicité pour la recherche de l’or bleu perdu dans les profondeurs des puits à grand diamètre. Pour disposer du liquide précieux aux fins de la consommation familiale et abreuver le bétail, « Nous sommes obligés de nous lever très tôt et parfois au cours de la nuit pour cette corvée d’eau car nos familles et nos animaux en ont besoin. L’eau des puits se trouve à une profondeur de plus de 75m. On va faire comment ? » foi de Belko Diallo et Noufou Wermé des villages de Thou et de Nenebouro. Le même problème de l’accès à l’eau reste également posé à Kaïn, chef-lieu de la commune même si quelques adductions d’eau potable ont été réalisées.

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