ActualitésDOSSIERS :: Sidi M. A. SIDIBE : « Le pays semble plonger dans une léthargie en même temps (...)

Informaticien burkinabè résidant en France, Sidi Mohamed Ahemine Sidibé estimait, dès février 2014 dans une tribune publiée sur notre site, que l’alternance était inéluctable maintenant. La suite des événements ne lui a pas donné tort. Deux ans après l’insurrection populaire, il constate que si l’État avait démissionné dans bien des secteurs sous Blaise Compaoré, « les nouveaux venus ne semblent pas en prendre la réelle mesure ».

Deux ans après, que pensez-vous de l’insurrection populaire ?

De l’insurrection populaire, deux ans après je ne peux en penser que ce que j’en pensais déjà au moment même de sa genèse, à savoir sa stricte nécessité. S’insurger parce que l’on est profondément attaché à une valeur humaine que l’on voit en train d’être bafouée devrait être inscrit dans l’ADN de tous les peuples du monde si nous voulons sauver notre humanité. Une insurrection n’est rien d’autre qu’une indignation collective contre un pouvoir inique. Et le nôtre, enfin celui de Compaoré l’était. Comme je l’ai déjà dit dans vos colonnes, cette polémique autour de l’article 37 n’était que le creuset de tous les mécontentements, de toutes les frustrations et de toutes les révoltes engendrés par l’injustice causée par les abus et les détournements du pouvoir à des fins personnelles. Nous avons attendu 27 années durant avant de la déclencher, mais comme on dit souvent : mieux vaut tard que jamais.

Par contre ce que nous ne devrons jamais perdre de vue, c’est ce caractère particulier de cette insurrection car portée par la jeunesse qui est la composante la plus large de notre Nation. Cela montre que l’ordre déchu n’avait pas su investir dans cette jeunesse et s’il l’a fait ce fut de façon perfide. Cette responsabilité nous incombe désormais car une Nation qui n’investit pas dans sa jeunesse ne peut absolument s’inscrire ni dans un progrès ni dans une stabilité durable.

L’insurrection a-t-elle tenu ses promesses ?

Je suppose que vous voulez parler des espoirs que cet évènement a suscités. Sinon cela n’a pas grande signification. Il est vrai que nous sommes sortis de ces journées glorieuses, insurrectionnelles avec beaucoup d’espoirs et une espérance nouvelle à bâtir une Nation débarrassée de tous ces maux qui engendraient injustice, inégalité, impunité, corruption et bien d’autres pour lesquels des devanciers comme Norbert Zongo étaient prêts à mourir. D’ailleurs cela s’est très vite traduit dans le slogan « plus rien ne sera comme avant » tant le pays en regorgeait. Mais il faut reconnaitre que le pays semble actuellement plonger dans une léthargie en même temps que cette espérance se dissipe petit à petit. Et un peuple sans espérance est comme un peuple sans horizon où la moindre contradiction sociale peut entraîner de vraies fractures. Il est difficile et même dangereux de tenter d’établir ici une liste exhaustive des attentes de nos populations.

Par contre la justice tant réclamée semble être remise aux calendes grecques. Or elle est la première condition pour que nous retrouvions une Nation Unitaire. Ce ne sont pas les récompenses personnelles, individuelles, honorifiques ou matérielles qui apaiseront certains cœurs durablement, mais une vraie justice.

Le quidam lambda qui se tue dans des tâches roturières n’a pas l’once d’une amélioration de ces conditions, ni le paysan à qui l’on a récemment fait des promesses de campagne après l’insurrection. Pour beaucoup de Burkinabè, les conditions de vie semblent se dégrader de jour en jour car notre économie souffre pour plusieurs raisons que cette interview ne laisse pas le temps d’égrener.

Il est donc normal que le pays gronde, même si je concède que deux années ne sont pas forcément suffisantes. Oui on nous dit que des grands chantiers sont en amorçage. Si tel était le cas alors je dirai que le gouvernement manque beaucoup de pédagogie. Car un peuple est toujours enclin à consentir des sacrifices lorsqu’il est conscient des fruits futurs. Il faut alors le lui expliquer de façon convaincante.

Par ailleurs est-ce que les privilèges ont disparu ? Je dirai non. Il y a toujours les nantis repus et les indigents qui pensent être toujours oubliés. Cette semaine, j’étais dans une école primaire à Colma dans la région de BAMA où j’ai demandé aux élèves ce qu’ils souhaitaient que je leur apporte. Ils m’ont demandé de l’eau. Pendant qu’ailleurs d’autres demanderaient des jouets. On ne peut qu’en être saisi. Voici pourquoi les Burkinabè ont le sentiment que rien ne se passe. L’État avait démissionné dans bien des secteurs sous Blaise Compaoré et les nouveaux venus ne semblent pas en prendre la réelle mesure.

Que pensez-vous du Burkina post insurrection deux ans ?

Notre élan insurrectionnel était nimbé d’un profond désir de changement ou même de réformation car auréolé des vertus que nous avons connues sous la révolution du Capitaine Thomas Sankara. Mais il faut admettre que nos praxis ne se sont pas inscrites dans les sillons d’une transformation profonde et de sacrifice qu’appelle une telle situation. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons tous très vite accepté le terme « insurrection » au lieu de « révolution ».

Notre constitution pour lequel nous avons payé un aussi lourd tribut devrait être la seule boussole qui nous guide et placée comme il se doit au faîte de la hiérarchie des règles qui régissent notre contrat social. Or par souci de satisfaction de nécessités immédiates ou de maintien d’éphémère paix sociale, nous sommes en train d’accepter même une milice d’auto-défense avec son Droit. Certes nous sommes confrontés à une grave situation sécuritaire sur fond de terrorisme, mais qui somme toute est la conséquence d’une déficience de l’État dans ses fonctions régaliennes. En effet l’État s’engage à assurer la sécurité des biens et des personnes. C’est ainsi que le préambule de notre constitution traduit notre engagement et notre volonté d’édifier un État de droit garantissant l’exercice des droits collectifs et individuels, la liberté, la dignité, la sûreté, le bien-être, le développement, l’égalité et la justice comme valeurs fondamentales d’une société pluraliste de progrès et débarrassée de tout préjugé. De même que son article 3 stipule que nul ne peut être arrêté, gardé, déporté ou exilé qu’en vertu de la loi.
Il y a donc sans conteste une contradiction avec ce qui se passe en ce moment.
Aussi un signal fort aurait pu être donné par la seule sanctuarisation de l’article 37, au lieu d’une nouvelle constituante dont les résultats semblent lointains sans aucune sûreté d’acceptation.

Nous étions clivés avant l’insurrection en deux camps et nous sommes encore divisés parce que nous peinons à dégager de nos idées une vision de société qui nous fédère en dehors de cette croyance fétichiste de l’insurrection. Je m’explique : l’insurrection semble avoir imposé en nous de façon inconsciente ou non, un camp de pensée, de vérité, de critique qui n’est autre chose qu’une nouvelle forme de clanisme que nous dénoncions. Vous voyez, même vous, vous ne donnez la parole qu’à ceux que vous croyez avoir été légitimés par leur participation chez les vainqueurs, pour réfléchir sur les deux ans que nous venons de traverser…

Si c’était à refaire ?

Si c’était à refaire alors on le referait sans aucune inflexion. Mais cela implique que nous serions dans les conditions de déni des droits fondamentaux et de démocratie qui l’on engendrée. Mon souhait le plus ardent est que cette insurrection participe de la transformation la plus efficace de notre conscience collective aussi bien politique que citoyenne pour que nous ne connaissions plus pareille césure. Et c’est avec déférence que je réitère mes hommages à tous ceux qui sont tombés car l’histoire de notre pays est en train de s’écrire avec une plume trempée dans leur sang intarissable que nous nous devons d’honorer à jamais.

Propos recueillis par C. PARE
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