Actualités :: Droits des enfants talibés : Au nom d’Allah, il faut réformer les écoles (...)

Le spectacle d’enfants tenant à la main une boîte à longueur de journée est devenu familier dans nos villes et villages. Ce sont, pour la plupart (et non exclusivement), des élèves des écoles coraniques dénommés “talibés”, à la quête de leur pain quotidien. C’est dire que les foyers coraniques, qui constituent le plus ancien modèle d’éducation et d’enseignement, sont, aujourd’hui, confrontés à bien des difficultés : déviation des maîtres coraniques comparativement à leurs prédécesseurs, inadéquation entre le système et le contexte actuel et intrusion de pratiques mercantiles et lucratives de certains maîtres. C’est pourquoi la Fondation pour le développement communautaire (FDC/BF), en collaboration avec la Communauté musulmane du Burkina Faso (CMBF), a organisé un forum régional à Koudougou, chef-lieu de la région du Centre-Ouest, du 25 au 27 mai 2010, sur “la problématique des écoles coraniques et perspectives”. Ce qui nous a permis de toucher du doigt cette réalité hautement sociale.

Agé seulement de sept (7) ans et le corps couvert de plaies, un talibé, une boîte de conserve de tomate vide à la main, arpente les rues de Ouahigouya, mendiant. Son maître, assis quelque part dans la ville, est tout simplement cynique : pour lui, l’enfant souffrant d’une allergie avec des signes visibles sur le corps inspirera forcément pitié aux âmes sensibles et lui ramena chaque soir le fruit de sa mendicité en nature et en espèces. Le 15 juillet 2009, cet enfant misérable est appréhendé par le responsable de l’Association des jeunes pour le bien-être social de Bogoya (AJBFB), Abdoulaye Kindo, qui l’amène à l’hôpital après avoir sensibilisé son maître. Miyo Golérou Sambaré, cultivateur à Gorgadji, dans le Soum, a confié en 2000 son garçonnet âgé de trois (3) ans au maître coranique Djafara Mabo, résident à Bangataka, dans le Séno.

Une année plus tard, ce dernier part pour Soma, en république du Mali, avec ses élèves, y compris le petit Sambaré. Malheureusement, il revient en 2008 sans l’enfant, qui aurait disparu dans la nature. Informé, son père vend un bœuf pour aller à sa recherche au Mali. Mais il en reviendra bredouille. Jusqu’au moment où nous tracions ces lignes, le père n’avait pas encore retrouvé son garçon, l’unique, et promet des têtes de bœufs à qui l’aidera à retrouver son rejeton. Les parents de Nassirou Nana, dans la province du Boulgou, eux, ont eu plus de chance. Cet enfant de onze (11) ans a fui son maître basé à Koro, au Mali, pour des raisons de maltraitance, avant de se retrouver à Ouahigouya.

Le 2 octobre 2008, il est repéré dans le village de Koudimbo, dans le Zandoma, par les services de l’Action sociale et de la Solidarité nationale. Grâce à l’action conjuguée du comité technique de pilotage des projets talibés, de la communauté musulmane et de certaines associations, il a retrouvé ses parents fin octobre 2008. “L’année passée, un maître coranique en transit nous a confié un enfant malade pour conduire les autres à destination en nous promettant de revenir avec l’argent nécessaire pour les soins du petit. Malgré nos efforts, l’enfant est décédé. Nous étions déboussolés. Après les constats de la gendarmerie, il a été enterré.

Mais, jusque-là, le maître n’est pas revenu et on se demande ce qu’il dira aux parents de l’enfant”, nous a confié un habitant de la Sissili en récitant un verset. Enfin, inclinons-nous sur la mémoire des trois (3) enfants talibés morts en juillet 2007 à Dori suite à l’effondrement de leur abri de fortune. Des faits malheureux de ce genre, on peut en citer à l’infini, et ils sont là pour nous rappeler que les écoles coraniques, dans leur forme actuelle, connaissent des difficultés : déviation des maîtres coraniques par rapport à ceux d’avant, inadéquation entre le système et le contexte actuel, intrusion de pratiques mercantiles et lucratives de certains maîtres coraniques...

Les conséquences sont, elles aussi, nombreuses : les enfants en situation d’errance sont exposés à des maux comme le travail des enfants, la violence, le trafic, la drogue, la délinquance et les maladies. Ces enfants, qui évoluent dans un système informel, ne sont pas pris en compte dans les statistiques scolaires, pas même celles du non-formel, car les foyers sont royalement négligés par les pouvoirs publics. Ils vivent des conditions difficiles, car leur nombre est souvent élevé chez le maître, qui n’arrive plus à bien les loger, les nourrir, ni les soigner. Lui-même, analphabète, est sans revenu particulier et sans soutien.

Une réforme s’impose

La responsabilité d’éduquer l’enfant, au-delà des parents, incombe à la société et aux dirigeants, car un enfant abandonné signifie l’échec de la société. L’enfant talibé devra donc être protégé, à l’instar de tous les autres enfants, des facteurs susceptibles d’affecter sa santé physique, morale ou sociale. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la tenue à Koudougou, les 25, 26 et 27 mai 2010, du 1er forum régional sur la problématique des écoles coraniques au Burkina Faso, sous le parrainage du ministre de la Santé, Seydou Bouda.

Organisé par la Fondation pour le développement communautaire du Burkina Faso (FDC/BF), en collaboration avec la communauté musulmane du Burkina Faso (CMBF), ce forum a regroupé une centaine de participants composés de leaders religieux musulmans, de maîtres coraniques, de parents d’enfants talibés, de responsables d’associations islamiques et de partenaires techniques de trois ministères qui sont : le ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation ; le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale ; et le ministère de la Sécurité.

Ce forum régional qui intervient après les fora de Bobo-Dioulasso et de Fada N’Gourma a réuni vingt et une provinces des sept régions du Centre, du Centre-Nord, du Centre-Est, du Cendre-Sud, du Nord et du Plateau central du Burkina Faso. Financée par Acting for life (France), cette rencontre a eu le mérite d’avoir informé les participants sur la situation des écoles coraniques et des talibés au Burkina. Ce qui leur a permis de réfléchir sur leur vision de la nouvelle école coranique au Burkina Faso. Et ce, à travers des communications et des réflexions en ateliers.

“Situation des talibés et des écoles coraniques au Burkina Faso”, c’est le thème de la première communication, livrée par le coordonnateur du projet Talibé à la FDC/BF, Mahomet Ouédraogo, président du comité d’organisation. Il a, d’emblée, relevé que suite à des études sous-régionales sur la problématique des écoles coraniques et des talibés conduites en avril 2006 par FDC/BF au Burkina, un comité technique de pilotage du projet Talibé (CTP/Talibé) a été mis en place et compte sept structures membres (ACCED, AFIB, AJBFB, ANERSER, Keoogo, la FDC/BF et la communauté musulmane du Burkina).

Avec l’appui des partenaires techniques comme le ministère de l’Enseignement de base et de l’Alphabétisation, le ministère de l’Action sociale et de la Solidarité nationale, le ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation et celui des partenaires techniques et financiers comme Kinderpostzegels (Pays-Bas), Save the children/Suède et Acting for life (France), bien des actions ont été menées : constructions de hangars et de latrines pour des foyers coraniques, formation et soutien des foyers en soins de santé primaire, opération carte d’identification des talibés ; réalisation de sessions d’alphabétisation dans le foyer ; tenue de 25 conférences provinciales et de fora régionaux... pour le communicateur, les études ont permis de prendre la mesure de l’importance des foyers coraniques, qui pourraient être appuyés dans la perspective de la scolarisation et de l’Education pour tous (EPT).

Même son de cloche chez l’imam Tiégo Tiemtoré, qui s’est penché sur la place du centre coranique de proximité dans l’enseignement coranique et d’éducation de base des talibés. D’entrée de jeu, il a fait remarquer que l’école coranique, qui relève de l’éducation non formelle, est considérée comme le plus ancien modèle d’éducation et d’enseignement et a été le premier cadre de formation des premiers musulmans avant l’apparition des medersas et l’envoi des étudiants arabophones au Maghreb ou dans les pays du Golf à partir des années 60.

L’islam oblige, selon lui, les parents à donner une éducation complète à leurs enfants, surtout une éducation religieuse qui leur permettra d’être de bons croyants, car un hadice du prophète Mohamed (Saw) dit : “Enseignez le Coran à vos enfants, le père de celui qui a appris le Coran portera une couronne de lumière au jour dernier”. D’autres invites à la quête du savoir sont dans le Coran : “Ceux qui savent et ceux qui ne savent pas sont-ils les mêmes ?” ; “Ceux qui craignent Dieu parmi ses adorateurs sont les savants”. Et le hadice quoudsi d’ajouter : “Connais-moi avant de m’adorer. Si tu ne me connais pas, comment pourrais-tu m’adorer ?”

Le ministre talibé

Au sujet des difficultés de l’école coranique, l’imam Tiemtoré a souligné qu’elles ternissent l’image de cette noble institution. “Les écoles coraniques, pour ne pas être en déphasage avec l’évolution que connaît notre société, doivent, en plus de l’enseignement du Coran qu’elles dispensent, préparer les enfants à pouvoir mieux s’assumer dans l’avenir”, a-t-il souligné. C’est pourquoi il a préconisé une réforme des foyers coraniques par la création de centres coraniques de proximité, qui existeront aux côtés de l’école classique. Leur objectif est de permettre aux élèves issus des écoles classiques ou autres d’apprendre la lecture du Coran et d’acquérir des notions sur la langue arabe, sans pour autant rompre le lien avec la structure familiale d’origine.

“L’islam insiste sur une prise en charge de l’enfant en lui assurant une protection totale et en lui reconnaissant des droits qui lui garantissent une bonne éducation dans un environnement sain, marqué par la tendresse et l’affection, la communauté musulmane doit s’engager dans une voie de réforme des écoles coraniques en vue de faire d’elles des leviers d’épanouissement individuel et collectif”, a-t-il conclu. Traitant du thème “Quelles stratégies pour un meilleur apprentissage dans les centres coraniques”, l’imam Alidou Ilboudo a fait remarquer que l’enseignement coranique dispensé était intégré au milieu et que les élèves coraniques, au sortir du foyer, allaient s’installer dans leur village où ils répliquaient l’école du maître et devenaient ainsi des personnalités.

Beaucoup réussissaient dans l’agriculture, l’élevage ou le commerce. Mais aujourd’hui la pratique a, selon lui, beaucoup été dévoyée si bien que parfois, les enfants sont jetés à la rue ou utilisés pour des travaux dans les champs de coton, de riz... Rien d’étonnant si une enquête du MASSN au Burkina notifiait que 44,06 des enfants de la rue provenaient des écoles coraniques. “Le processus de réforme nécessite une véritable mobilisation de tous les acteurs sociaux, communautaires et étatiques au nom de la dignité humaine”, a conseillé l’imam.

Après avoir proposé des solutions, ce leader religieux n’a pas manqué de conclure, sans ambages : “L’époque actuelle est exigeante et n’offre pas de réussite à celui qui n’est pas épanoui”. La menace de disparition de l’école coranique vient plus de l’intérieur : L’archaïsme du système. Nous avons le devoir d’améliorer l’école coranique pour l’avenir des enfants qui s’y trouvent et qui doivent partager demain le même monde que ceux qui fréquentent ailleurs. C’est un défi d’époque et de génération”.

Outre ces communications, les participants se sont retrouvés en atelier pour se pencher sur des sous-thèmes : “Place et rôles des principaux acteurs (parents, maître coraniques, leaders religieux, talibés) dans le processus de mise en place de la nouvelle école coranique au Burkina Faso” ; “Place et rôles des acteurs étatiques, des ONG et associations dans la mise en œuvre de la réforme des écoles coraniques” ; « Quelles sont la feuille de route et les dispositions à engager pour la mise en œuvre des écoles coraniques de proximité – une mosquée, une école coranique » et “Place et rôles des femmes et associations féminines islamiques dans le processus de mise en place de la nouvelle école coranique au Burkina Faso”.

Au terme des travaux, le forum a reconnu les difficultés ci-dessus citées, qui minent l’école coranique. C’est pourquoi les participants ont, entre autres, demandé qu’il y ait un cahier des charges pour la profession de maîtres coraniques ainsi que pour l’ouverture d’une école coranique au Burkina Faso sous l’égide de la communauté musulmane et que n’exercera la profession de maître coranique que celui qui aurait satisfait aux conditions et serait titulaire d’une autorisation dûment établie.

Le ministre de la Santé, Seydou Bouda, un ancien talibé, qui a parrainé ce forum, s’est félicité que ses coreligionnaires se soient enfin décidés à se pencher sur cette problématique qui n’a que trop duré, selon lui. “L’école moderne étant obligatoire jusqu’à l’âge de 16 ans, on ne peut pas laisser des enfants errer dans les lieux publics et en train de faire autre chose que l’apprentissage ; au rythme où vont les choses, si vous ne vous engagez pas à revoir les choses, c’est l’Administration qui le fera à votre place”, a-t-il souligné, avant de poursuivre : “La communauté musulmane doit s’assumer avec l’appui de la FDC, qui n’est qu’un facilitateur dans ce processus de réforme.

Il faut donner une instruction religieuse aux enfants tout en leur permettant d’être de leur temps ; nous sommes dans un monde de la science et de la connaissance, il n’est pas normal d’exclure nos enfants. J’étais le jour à l’école française et le soir à l’école coranique. Permettons à nos enfants d’être utiles à eux-mêmes et à la communauté en faisant d’eux des musulmans avertis”.

Son représentant à la clôture, le gouverneur du Centre-Ouest, Seydou Baworo Sanou, a dit sa satisfaction des résultats atteints par le forum. Le vice-président de la communauté musulmane, El hadj Adama Sakandé, a exprimé sa reconnaissance, au nom du président Oumarou Kanazoé, à la FDC/BF et à ses partenaires pour leur engagement aux côtés de la CMBF dans la recherche des solutions pour une école coranique de qualité. Il a exhorté, à la lumière du Coran, les maîtres coraniques à se ressaisir et à éviter des pratiques qui ternissent l’image de l’islam. Il faut se féliciter qu’au cours de cette rencontre l’unanimité se soit faite autour de la nécessité de s’inscrire dans une dynamique de réforme pour redonner aux apprenants leur dignité et faire d’eux des acteurs du développement. Un forum national est en vue et les discussions doivent se poursuivre en attendant ce rendez-vous.

Abdou Karim Sawadogo

L’Observateur Paalga

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