Actualités :: Colonel Antoine Sanou, directeur général du SND : “Ne me faites pas dire que (...)
Colonel Antoine Sanou

L’ancien saint-cyrien et directeur général du Service national pour le développement (SND), le colonel Antoine Sanou, lève le voile sur sa structure. Si celui qui dirige le SND depuis 1999 évite de se prononcer sur des questions politiques, il évoque néanmoins avec aisance dans cet entretien, les phénomènes de la corruption, la cupidité, la fraude...En somme, les maux qui gangrènent la société burkinabè.

Sidwaya (S.) : Quelles sont les missions du Service national pour le développement (SND) ?

Antoine Sanou (A.S.) : Le Service national pour le développement (SND) a pour mission de faire prendre conscience à la jeunesse de ses responsabilités dans le développement socioéconomique du Burkina Faso. De même, le SND travaille à inculquer à la jeunesse un esprit citoyen et l’amener à prendre conscience de sa responsabilité quant à l’avenir du Burkina Faso. Ces missions sont nouvelles. Dans le temps, le SND mettait l’accent sur la valorisation de la production.

S. : Dans quel contexte le SND a été créé ?

A.S. : Le SND a été créé dans un contexte politique. Vous vous rappelez la période du Conseil national de la Révolution (CNR) ? C’est le décret CNR 272/PRES du 18 juillet 1984 qui a créé le SND. L’objectif était de sensibiliser la jeunesse à la défense de la patrie. Il faut le dire aussi, ce service visait à pousser la Révolution. Mais après, nous avons changé de cap, de nos jours, nous sommes revenus à la réalité, dans l’actualité. C’est le développement du Burkina Faso qui compte aujourd’hui.

S. : Le SND était accompagné d’une phase pratique, en l’occurrence la formation militaire. Pourquoi a-t-elle été supprimée ?

A.S. : Soulignons que le SND a connu beaucoup de mutations. Il faut être franc, nous avons supprimé la phase militaire simplement pour des contraintes budgétaires. Il y a eu des pressions du Fonds monétaire international (F.M.I.) et de la Banque mondiale. Le SND quittant la coupe du ministère de la Défense pour le Premier ministère, avec de nouveaux objectifs, ne pouvait plus continuer sur la lancée avec la formation militaire qui coûtait extrêmement cher. Et tous ces jeunes qu’on formait militairement, quand on les laissait partir, certains devenaient de petits bandits. Ils savaient manier des armes qui sont très dangereuses. Il ne faut donc pas les laisser à la portée de tout le monde. Il fallait donc recadrer la formation.

S. : Quelles sont les mutations majeures intervenues au SND ?

A.S. : La plus grande mutation, c’est d’être passé d’une simple direction à un statut d’Etablissement public de l’Etat à caractère administratif (EPA). C’est la plus grande mutation, d’autant plus que le SND est maintenant placé sous la tutelle directe du premier ministère et sous la tutelle financière du ministère de l’Economie et des Finances, avec un conseil d’administration. En plus, neuf ministères sont associés au SND. L’autre mutation, c’est l’accent mis sur la formation professionnelle, civique et patriotique. La formation professionnelle occupe une grande partie des appelés : 600 dont 300 à Badala et 300 à Loumbila. Pendant cette formation, ils apprennent la mécanique-cyclo, la menuiserie et la maçonnerie. Ces jeunes viennent de toutes les provinces du Burkina Faso. Ce sont les hauts-commissariats qui les sélectionnent. Il nous les envoient pour une répartition en fonction des filières souhaitées.

Comme autre innovation, nous prenons 1 500 appelés par an que nous mettons à la disposition du MEBA et du MESSRS. Ces jeunes appuient ces structures en personnel d’appui et de soutien. A côté de tout cela, il y a les jeunes qui ne rentrent pas dans ces catégories que nous prenons dans les provinces pour leur inculquer le civisme et le patriotisme. Nous sommes déjà à plus de 15 000 jeunes qui ont bénéficié de cette formation. Cette formation porte du fruit sur le terrain car ceux qui les emploient nous ont informé que le comportement des “sndistes” de nos jours, a nettement changé. Il est vrai qu’il y a des brebis galeuses, car certains viennent pour l’argent, mais l’arbre porte des fruits et nous espérons qu’il continuera à porter de bons fruits.

S. : Nombreux sont ceux qui, de nos jours, ne semblent pas comprendre l’utilité du SND, surtout la gestion des fonds que l’on retient sur les salaires de la première année de service des fonctionnaires. Qu’en dites-vous ?

A.S. : C’est vrai, ce n’est pas facile d’être fonctionnaire et de toucher un salaire de 30 000 F CFA alors qu’en réalité l’on a plus de 200 000 F CFA. Je suis d’avis que c’est très difficile, mais il faut faire la part des choses. Nous sommes des Burkinabè et l’Etat a contribué à notre réussite. Notre expérience à travers le SND est enviée par des pays voisins. J’ai des amis au Niger, au Bénin, en Côte d’Ivoire, etc. qui veulent faire ce que le Burkina Faso a fait, mais c’est difficile. Nous, nous avons profité de la Révolution pour mettre le SND en place. C’est ce qui fait qu’il y a cet ancrage, de nos jours. Si on essayait à l’heure actuelle, ce ne serait pas facile ! Revenant à votre question, ne croyons pas que l’argent prélevé sur les salaires des fonctionnaires est remis au SND. C’est l’Etat qui économise. Grâce au SND, l’Etat engrange environ deux milliards de F CFA par an. Cela a été démontré par une étude. Il faut que les gens le sachent. C’est vrai, les jeunes sont frustrés, mais ils comprennent de plus en plus que c’est leur contribution au développement du pays. C’est en somme le pays tout entier qui gagne.

Quant à la catégorie qui renferme le plus grand nombre de personnes, à savoir les chômeurs, pour eux, les 30 000 F CFA, c’est de l’argent ! Il y a environ 20 000 jeunes par an qui nous sollicitent pour 1500 places. Le jour des recrutements, nous sommes harcelés : on casse nos portes, nos murs... pour 30 000 F CFA. L’offre est totalement inférieure à la demande. Pourtant, c’est écrit dans les textes que le SND est obligatoire et égal pour tous. Pour ces jeunes chômeurs, le problème ne se pose pas. Pour ce qui est des jeunes fonctionnaires, c’est vraiment difficile. C’est pour cela que quand notre équipe est arrivée, les conditions se sont améliorées. Ainsi, au lieu de quatre enfants et/ou 35 ans, de nos jours, il faut trois enfants et 30 ans pour être dispensé du SND. Aussi, de 14 000 F CFA, nous sommes passés à 30 000 F CFA comme pécule du SND.

S : Les jeunes fonctionnaires de tous les services du Burkina Faso sont-ils soumis à ce sacrifice de prélèvement au SND ?

AS. : Tout le monde est soumis au régime du SND. Les magistrats le font. Ils ont tout fait, mais nous leur avons dit que tous les Burkinabè sont égaux. Dès que l’on sort d’une école professionnelle, on est soumis au SND. Nous voudrions bien étudier au cas par cas les dossiers mais si nous le faisons, la loi ne sera plus la loi car elle fera des différences. D’ailleurs, pour appliquer la loi dans toute sa rigueur, les magistrats sont les premiers concernés. Ils sont donc bel et bien soumis au SND. Ceux qui arrivent à avoir la dispense parce qu’ils ont 30 ans ou trois enfants ne sont pas concernés. Ceux qui ne sont pas prêt, demandent un ajournement pour se préparer avec le salaire entier. Mais si j’ai un conseil à donner, il vaut mieux commencer bas que de prendre le salaire directement. Cela ne dure pas trop, c’est juste douze (12) mois ; douze mois c’est certainement pas court, mais c’est un sacrifice pour le pays, qui vaut la peine.

S : Seuls les fonctionnaires sont astreints, au SND. Ceux du privé, quelle est leur part ?

AS. : Les non-fonctionnaires sont soumis au SND. Ce sont eux-mêmes qui m’intéressent le plus, car c’est cette catégorie-là qui alimente le budget du SND. Les recettes propres du SND viennent de là. Le privé fournit de l’argent frais aux caisses du Service national pour le développement (SND). Le budget national nous a imposé 98 à 100 millions de F CFA de recettes, cette année. Nous ne pourrons pas les atteindre, mais ce sont les privés qui vont fournir cette somme.

S : N’existe-ils pas des personnes qui obtiennent des attestations de façon parallèle sans avoir effectué les 12 mois du SND ou sans être dispensés ?

AS. : L’année dernière, nous avons démantelé un réseau de gangsters. Ma signature a été imitée et des attestations ont été confectionnées et soustraites frauduleusement des tiroirs. Cela a été fait par des appelés qui avaient exercé à la direction générale du SND. Le réseau a été anéanti. S’il y a d’autres réseaux parallèles, ce ne doit pas être au SND. Pour obtenir l’attestation, il faut avoir réellement accompli son devoir civique ou être dispensé. Si je m’amuse à donner une attestation à quelqu’un qui n’a pas fait le SND, c’est comme si on donnait un bac, une licence ou une Maîtrise à quelqu’un qui ne le mérite pas.

S : Certifiez-vous ainsi que le SND a définitivement résolu la question de la fraude ?

AS. : Je ne peux pas certifier du coup, mettre ma main dans le feu pour le dire ! Mais en tous les cas, à notre connaissance et à celle des services de renseignements dont nous disposons, pour l’instant, c’est nous seuls qui délivrons les attestations du SND. Maintenant, avec l’informatique, le scanner, etc. on peut tout fabriquer. Tout peut être falsifié de nos jours. Il est difficile parfois de faire la différence entre le faux et le vrai. C’est aussi l’inconvénient du progrès scientifique.

S : Depuis plus de deux ans, le SND procède à des formations civiques et patriotiques de la jeunesse burkinabè. Pourquoi cette formule et que vise-t-elle ?

AS. : Ne me faites pas dire que la morale agonise ! La morale semble en recul par rapport à ce que nous avons vécu à notre temps. Les jeunes aiment de plus en plus la facilité. Aujourd’hui, pour de l’argent, on peut tuer. On vole, on tue pour de l’argent. La morale agonise, mais elle n’est pas encore morte. Heureusement, il y a encore des hommes de valeur, des références, mais avant qu’il n’y ait la dérive totale, il faut recentrer, rattraper vite les choses. Je suis d’accord avec le gouvernement quand il met autant de moyens (50 millions de F CFA accordés par le conseil d’administration du SND) pour la formation civique et patriotique. Cette initiative touche sept régions. Même si les jeunes viennent pour les 1000 F CFA, il y a quelque chose qui reste tout de même. Tout ce qui arrive est le résultat du gain facile, de la cupidité. Ne mettons pas tout du côté des jeunes. Tout le monde a besoin d’être recentré à un moment de la vie. Il y a des délinquants à col blanc. Pourtant, ils ont fait la morale, ils ont appris le civisme à l’école primaire où on commençait par “qui vole un œuf volera un bœuf”. Mais il y a des individus qui ont la crainte de quelque chose et d’autres non. Ne leur confiez pas de l’argent, ils s’en “foutent de la bonne gestion”. De façon cupide, ils ne peuvent pas gérer des fonds publics.

Tous ont besoin d’être formés, mais chacun à un degré divers. Si on prend les directeurs généraux et autres, c’est la corruption, le gain facile, le blanchiment d’argent...Voilà des modules qu’on peut leur enseigner. Aux enfants, c’est l’honnêteté, la tolérance, le respect des personnes âgées, etc, qu’il faut leur inculquer. Hier, j’étais à l’Assemblée nationale (ndlr, l’entretien a eu lieu le 23 octobre 2007) avec des députés, il ya un des députés qui disait que la corruption, ce n’est plus le gendarme ou le policier qui prend 1000 F CFA. Ce sont les patrons, les méthodes de passation des marchés publics de l’Etat qui posent problème. Il faut revoir les gymnastiques cérébrales que les gens font pour pouvoir soutirer l’argent, tout ça qu’il faut revoir. Je n’ai pas peur de le dire, c’est réel, je ne l’invente pas. C’est vrai qu’au Burkina Faso, nous n’avons pas encore atteint le seuil de non-retour, mais il faut faire attention.

S. : Il vous est souvent reproché de faire du favoritisme dans le recrutement des jeunes qui désirent participer au SND. Que répondez-vous ?

AS. : Chacun est libre de faire des reproches. Les gens le disent, mais personne n’est venu me saisir personnellement. Il faut recentrer le débat pour une transparence. On n’a toujours pas trouvé le mode de recrutement exact qu’il faut pour ces enfants. On ne fait pas de concours pour recruter les jeunes pour le SND.

C’est un système de loterie. Les jeunes viennent le matin vers 4 heures, 5 heures du matin ; il y a des papiers sur lesquels il est écrit oui ou non. Les uns et les autres tirent au sort. Si quelqu’un peut aider à améliorer un système de choix meilleur, moi j’y adhère. Maintenant, s’il y a des agents qui prennent de l’argent et promettent de faire recruter quelqu’un, je profite pour dire qu’on ne paie même pas 5 F CFA pour accomplir le SND. C’est volontaire et obligatoire, certes mais on ne prend pas l’argent de quelqu’un. Celui qui dit à un citoyen qu’il peut l’inscrire moyennant une rétribution, c’est un escroc. J’ai interdit aux militaires qui venaient avec des dossiers et les remplissaient dans la cour de continuer à le faire. Moi, personnellement, je ne reçois pas de dossiers ; mais cela ne veut pas dire qu’il n’y en a pas ! Je vous l’avoue, ça vient de toute part. Des interventions, des patrons qui demandent, etc. Mais, il faut rester stoïque. Quand vous avez un patron qui vous protège, n’ayez pas peur, allez-jusqu’au bout, refusez, il n’y aura rien, tout se passera bien.

S. : Pensez-vous que le Service national pour le développement a encore de beaux jours devant lui ?

AS. : Le SND a de beaux jours vis-à-vis de son recentrage. C’est un service envié par nombre de pays voisins. Le Bénin vient de mettre en place son service civique. Le chef d’Etat-major général des Forces armées béninoises qui est un grand ami à moi depuis la France, m’a saisi et m’a signifié que son chef d’Etat voulait qu’il mette en place rapidement ce service civique. Je lui ai envoyé les documents. Je crois qu’ils feront mieux que nous parce qu’ils s’appuieront sur notre expérience et vont l’améliorer.

Je crois que le SND a de beaux jours et va jouer plus son rôle de formation de la jeunesse. Déjà que le SND absorbe une partie de la jeunesse, je ne crois pas que ce rôle puisse être tout de suite retiré par le gouvernement. Au contraire, je pense qu’ils vont travailler à renforcer les capacités opérationnelles du SND pour qu’il joue un rôle de plus en plus important au sein du ministère de la Jeunesse et de l’Emploi.
Je prévois des lendemains meilleurs pour le SND. Cette année, nous avons innové. Les jeunes sortaient de nos centres de formation et on ne savait plus ce qu’ils devenaient. Nous avons créer un bureau de suivi de ces jeunes. Tous les six mois, ces promotions seront évaluées. Nous sommes au service de la jeunesse. Nous avons connu ce pays au moment où nous n’étions pas nombreux, c’est une chance.
Nous faisions notre boulot de façon honnête et consciencieuse. Les jeunes sont venus dans des situations très difficiles au plan mondial. Mais il faut qu’ils se disent que l’avenir est pour eux. Qu’on le veuille ou pas, nous serons un jour retraités.

La jeunesse est l’avenir d’un pays. Nous plaçons donc notre confiance en elle. C’est pour les jeunes que nous sommes là. Si nous ne sommes là que pour nous seulement, cela ne sert à rien. Je dis donc aux jeunes de ne pas se décourager, de voir l’avenir de façon sereine. Le soleil brille pour tous les Burkinabè et brillera pour eux aussi. Les jeunes doivent se dire que le sacrifice qu’ils font n’est pas de trop. Ils pourront s’en vanter demain pour dire qu’eux au moins, ils ont payé un tribut pour leur pays.

Boubakar SY (magnansy@yahoo.fr)
Ali TRAORE (traore_ali2005@yahoo.fr)

Sidwaya

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