Actualités :: La nouvelle du vendredi : La femme de l’imam

Koira-noma. On dépassait une cour, une deuxième, la troisième était une mosquée. A coup sûr. Il n’y avait certes pas que des musulmans mais c’était tout comme. Chrétiens et fétichistes oeuvraient aussi pour qu’il y eût autant d’églises, autant de bosquets sacrés. Et la concurrence était rude. Les gurus veillaient à ce que chaque fidèle remplissât ses devoirs. Car à la moindre incartade, les gens d’en face vous piquaient un adepte.

C’était l’aube. La voix caverneuse d’un muezzin retentit amplifiée par un haut-parleur. Musulmans de tous les quatre points cardinaux réveillez-vous ! La prière vaut mieux que le sommeil, semblait dire la même voix.

Du fond de sa chambre, l’imam Salam Ibn Omar perçut l’appel. Il se leva promptement. Il en avait l’habitude. Hadja, sa femme, couchée derrière lui en avait pris aussi l’habitude. Ce matin-ci néanmoins elle ne bougea pas. Souffrait-elle de quelque mal ? Salam Ibn Omar ne s’en soucia pas outre mesure. Il sortit précipitamment pour sa toilette rituelle. Il l’avait expliqué aux fidèles l’autre

jour : que si la prière était la clé du paradis, la clé de la prière c’étaient les ablutions.

A un mile se dressait fièrement la grande mosquée. C’était une merveille qu’avait conçue là un grand architecte du monde arabo-musulman. Salam Ibn Omar s’y rendit. Il n’avait point tort. On y était à l’aise pour prier, méditer et invoquer Dieu. Justement ! L’imam avait besoin de faire des invocations après la prière en congrégation. Les hommes occupaient les premiers rangs. Les femmes venaient derrière. Mettait-on les dames devant.. .quel désastre ce serait !

A admirer ces belles formes beaucoup se seraient égarés dans leur adoration. Mais Dieu est sage et prévoyant. Le culte fini, les gens se retirèrent. Salam Ibn Omar resta. Et pendant longtemps il pria. Puisse sa chère épouse revenir dans le droit chemin !

Lorsqu’il fut dehors, il tomba des nues. La nuit s’était complètement retirée. Le soleil dardait ses rayons plus impétueux que jamais. De jeunes enfants jouaient à cache-cache. Ils se pourchassaient riant à gorge déployée. Et à leurs rires, leurs cris, se mêlait le bêlement des moutons. On était alors à quelques jours de la Tabaski, la fête du mouton à Koira-noma.

Un lit d’hôpital... Une belle-mère qui souffre de cancer de seins... Des ressources mobilisées. Voyez-vous l’imam Salam Ibn Omar n’était plus en mesure d’accomplir son devoir de musulman. Tout devôt qu’il fût. Et voilà ce que refusaient de comprendre les siens, Hadja en tête. Pour les enfants, l’imam comprenait. Mais que sa propre compagne en fasse tout un drame et ne veuille plus entendre raison... Ça c’était autre chose. Si au moins elle était étrangère à mes problèmes, se dit-il. Mais elle les vivait. Le soir venu, l’imam fuyait maintenant le lit conjugal. Pourquoi ? A cause des jérémiades de sa femme. Et chaque nuit, c’étaient alors des veillées de prière. Des appels au secours. L’entendait-on ? Apparemment non.

Cela faisait effectivement un "bye" déjà que Hadja n’adressait plus la parole à son mari que pour répondre à ses questions. Encore que ses réponses étaient des plus évasives. Malgré tout l’imam encaissait stoïque ayant foi que les choses iront s’améliorant. Hélas elles ne demeurèrent même pas telles quelles étaient. La situation se dégrada. Hadja devint intraitable.

Quand son mari l’entretint de toutes ces années passées ou jamais il n’avait failli à son devoir. Lui qui ne sacrifiait guère un mouton mais deux, trois voire quatre. Quand il lui expliquait que Dieu comprend... Elle l’arrêta net : "Mais les gens prendront-ils seulement ? Ne sais-tu pas qu’on te guette ? Partout où tu

passes, tu professes et avec quel zèle que Dieu donne a quiconque lui demande. Et toi, l’imam de la ville, tu oses aujourd’hui ne pas avoir ton mouton ! Tu veux que je te dise ? Et bien, bientôt nous serons montrés du doigt dans tout Koira¬ noma".

Et cela la femme du marabout n’était pas prête à l’accepter. Autant mourir sinon il ne sera pas dit que son mari a prêché faux. Elle le lui avait dit. Si lui ne faisait rien, elle n’allait pas croiser les bras. Elle ne prêtera pas le flanc dans cette cité où les gens étaient toujours prompts à dénicher la paille dans l’oeil du voisin. Hadja savait. La moindre incartade on vous retirait un fidèle. Donc elle aura un mouton. Qu’importent les moyens il le faut. Les dés étaient jetés. Les paris ouverts. L’aura-t-elle ? Ne l’aura-t-elle pas ?

Et la fête comme si elle eut chaussé des bottes de sept lieues. Et comme si elle eut voulu envenimer les choses avançait à grandes enjambées. C’était la fête du mouton par ci... La fête de Tabaski par là. Les temps étaient durs mais les prix des articles ne cessaient de grimper du fait de la fête. Jamais événement ne connut autant d’effervescence à Koira-noma. La presse faisait courir des histoires incroyables... Tabaski à Dar Es Salam. Un mouton aurait provoqué la mort de son propriétaire en lui adressant la parole. Hamdallaye. Un bouc se serait volatilisé juste au moment où on lui tranchait la tête... Tout cela amusait les gens.

La veille de la fête. L’horloge en face de la porte d’entrée indiquait quatorze heures. Et tandis que dans les cours voisines le bêlement des moutons rendait impossible toute tentative de sieste, chez l’imam il régnait un silence absolu. Femme et enfants boudaient. Dix-huit "heures s’annonça et toujours rien. Alors, à la faveur de la nuit qui s’était installée sans qu’on ne l’eût sentie venir, Hadja sortit. Deux quarts d’heures s’écoulèrent puis elle revint. Un jeune garçon l’accompagnait. Derrière le garçonnet trottinait un gros bélier dont le pelage rappelait le plumage noir et blanc du corbeau. A la vue du cortège, les enfants s’élancèrent vers leur mère en criant : "Maman ! Maman !". L’honneur de la famille était sauf. La fête pouvait alors commencer...

Le jour de la fête. Le matin. Des garçons coiffés. Des filles tressées. Tous bien endimanchés avaient investi les rues et les ruelles de la cité. Leurs menottes

tendues vers les passants réclamaient "dix francs ! dix francs !" On y déposait les piécettes. Ils s’en allaient aussitôt tout joyeux. On enviait leur innocence.

Après les deux rakaat à la grande mosquée, les adultes se rendaient visite. On sortait d’une cour. On rentrait dans une autre. On se congratulait, se faisait des voeux. L’atmosphère était conviviale. Ailleurs c’était autre chose...

Huit. Neuf. Dix. Défilaient les heures. Hadja s’impatienta. Les convives ne tarderont plus. Et la préparation des boyaux étant délicate il fallait qu’elle s’y mît tôt. Pourtant le "maître de maison" ne venait toujours pas. Elle sollicita alors le concours d’un boucher qui vint égorger le bélier. S’était-il à peine éloigné ? Par Dieu l’animal se releva bien vivant sur ses quatre pattes ! Quel choc ce fut ! Un cri puis un deuxième suivi de bruit de corps qui s’écroulent... La femme et le boucher gisaient là sur le sol évanouis.

Dans cette nuit où elle venait de sombrer, Hadja vit venir vers elle une créature lumineuse tout de blanc vêtue. Dieu ? Ange ? Elle n’en savait rien si ce n’est que l’être était profondément contrarié. Et il lui semblait que c’était elle qui l’avait mis dans cet état. Puisqu’elle se fit sermonner longuement et rudement. Pourquoi obliges-tu ton mari à se surendetter ? Pourquoi prendre le mouton à crédit en son nom sans rien lui dire ? Aller jusqu’à liguer ses enfants contre lui, pourquoi ? Prends garde femme ! Tu es trop fière...

Entre deux sermons l’être crachait de dépit. Et de sa bouche tombaient des boules de feu... Hadja eut très peur et se vit le front collé au sol dans une attitude de prière en train d’implorer miséricorde. C’est alors que l’apparition disparut. Elle revint à elle mais transpirait abondamment. Salam Ibn Omar qui venait de franchir le seuil de la porte courut vers elle. Et la prenant dans ses bras il lui demanda tendrement ce qu’elle avait. Elle ouvrit la bouche voulant répondre mais aucun son n’en sortit. Elle regardait hagard dans le lointain...

Dans ce morceau de ciel, les nuages avançaient paisiblement sans en avoir l’air.

Dans Koira-noma la fête battait son plein. Les gens circulaient. Mais c’était tout le contraire des nuages. Une ambulance passa avec des accidentés. La fête avait commencé ses victimes.

Adamou L. Kantagba

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