Actualités :: Soutenance de thèse en sociologie : Zakaria Drabo analyse les crises de (...)

« Analyse des processus d’action et thérapeutique à l’œuvre dans la survenue et le traitement des crises hystériformes répétitives dans trois établissements d’enseignement post-primaire et secondaire de la ville de Ouagadougou (Burkina Faso) ». C’est le titre de la thèse en sociologie écrite sous la direction de Dr Roger Zerbo et soutenue par Zakaria Drabo, ce jeudi 28 mars 2024 à l’université Joseph-Ki-Zerbo.

Depuis quelques années, les médias se font l’écho de crises hystériformes qui touchent essentiellement les jeunes filles dans les collèges et lycées du Burkina Faso. Si l’on est tenté de dire que le phénomène est récent, à en croire l’impétrant Zakaria Drabo, il est bien plus vieux qu’on ne le pense et c’est seulement la médiatisation actuelle qui donne l’impression qu’il s’agit d’un fait nouveau. Qu’est-ce qui favorise le déclenchement de ces crises hystériformes ? Pourquoi touchent-elles prioritairement les filles ? Pourquoi sont-elles récurrentes au sein des lycées et collèges ? Ce sont les questions auxquelles a répondu Zakaria Drabo dans sa thèse de 347 pages préparée au sein du Laboratoire de recherche interdisciplinaire en sciences sociales et santé (LARISS), sous la direction de Dr Roger Zerbo, anthropologue, maître de recherche au Centre national de la recherche scientifique et technologique (CNRST).

Se fondant sur des études antérieures, Zakaria Drabo a relevé plusieurs modèles de tentatives d’élucider le phénomène. On a le modèle anthropologique qui évoque l’action d’êtres surnaturels, que sont les génies et sorciers, qui s’attaquent aux élèves car les écoles sont bâties sur d’anciens sites qu’ils habitaient. Il y a aussi le cas des génies amoureux qui s’en prendraient aux filles. Le modèle psychologique met en avant le rôle des forces psychiques. Ainsi, la peur et le traumatisme constituent, selon Zakaria Drabo, des mécanismes favorables à l’apparition des symptômes hystériques.

Il y a également le modèle contextuel qui prend en compte le contexte social dans lequel évoluent les sujets de crises hystériformes. Ainsi, les conflits en famille, la violence envers les filles peuvent expliquer ces crises. Il y a également le modèle écologique qui situe l’apparition des transes au sein de la famille, à l’école et dans l’environnement culturel. C’est la combinaison de ces facteurs qui entraîne la survenue des transes féminines. Mais selon l’impétrant, « ces travaux antérieurs, en mettant l’accent sur les forces mystiques et psychosociales, perçoivent les élèves affectées comme des victimes d’une agression extérieure. Ils ont mis entre parenthèses les sujets affectés, leurs subjectivités, leurs stratégies et les interactions qui existent entre eux et les acteurs sociaux de base ». « En mettant l’accent sur les structures, ces différentes approches susmentionnées posent problème dans la compréhension de la large variation inter-élèves des manifestations hystériformes. Pourquoi tous les élèves ne développent-ils pas des crises ? », soutient l’impétrant.

Selon Zakaria Drabo, pour comprendre le phénomène, il est nécessaire de s’appuyer sur une perspective qui prend en compte les acteurs concernés. Ainsi, leur donner la parole leur permet d’évoquer leurs expériences sociales, leur subjectivité et les logiques qui les animent au sein des écoles. Ce retour à l’acteur, selon M. Drabo, permet de comprendre les histoires des personnes en lien avec les déclenchements des transes scolaires.

Zakaria Drabo a été élevé au grade de docteur avec la mention très honorable

En donnant ainsi la parole aux filles sujettes à ces transes, l’impétrant est parvenu à des conclusions qui s’articulent autour de cinq points. Il note la persistance de l’idée selon laquelle ces transes sont d’origine mystique et s’expliquent par la possession par des êtres surnaturels. À cela s’ajoutent les interactions dysfonctionnelles qui peuvent aussi être mises en cause dans la survenue des transes. Les conflits, les humiliations, le sentiment d’abandon, le mépris, l’absence de l’être cher, tous ces facteurs concourent à la survenue des transes. Par ailleurs, en milieu scolaire, les sanctions scolaires données par les enseignants constituent des facteurs qui favorisent la survenues ces crises hystériformes.

« Généralement, on dit que les filles sont agressées par des êtres surnaturels. Et pourtant, elles ont aussi ce qu’on appelle une co-responsabilité, c’est-à-dire qu’elles-mêmes participent à la survenue des crises. Il y a certaines formes de pratiques, d’agissements qui peuvent produire les crises hystériformes. Dans le milieu familial, certaines filles ont des difficultés ou des interactions conflictuelles avec l’entourage, les parents. Dans le milieu scolaire, la question des notes et des sanctions scolaires peut provoquer des crises hystériformes. Au-delà du cadre scolaire qu’on peut dire hanté, il y a des pratiques scolaires réelles qu’on peut observer qui favorisent les déclenchements des crises hystériformes (…). En termes simples, on peut dire que c’est leur quotidien qui provoque ces crises. Quand un enseignant dit à une fille qu’il lui fera un retrait de point, ce n’est pas un génie qui le dit ; c’est un homme. C’est pour dire que l’action des uns et des autres influence la survenue de ces crises », explique Zakaria Drabo.

Pour ce qui est de la question de la féminisation du phénomène, M. Drabo souligne que l’adaptation sociale varie en fonction de l’appartenance sexuelle. « Les garçons sont plus actifs dans leur mode d’adaptation. Lorsqu’un garçon a un problème de discipline avec un enseignant, cela va aboutir souvent à un conflit. Mais lorsqu’il s’agit d’une fille, généralement elle se morfond sur elle-même. Il y a donc un certain débordement émotionnel qui caractérise les filles ; pas toutes les filles, parce qu’il y a des filles qui résistent à ce débordement émotionnel », confie l’impétrant.

En ce qui concerne les itinéraires thérapeutiques des crises hystériformes, au sein des établissements scolaires, cela se traduit par l’assistance sociale. C’est-à-dire que les soins renvoient aux gestes de secours, aux conseils, aux évacuations et à donner l’alerte aux parents. Au sein des familles, les parents optent pour plusieurs types de soins allant des soins biomédicaux aux traitements traditionnels en passant par les soins spirituels.

Les résultats révèlent également une adaptation sociale émotionnelle chez les filles affectées. En plus de cela, l’étude révèle que les crises hystériformes traduisent une logique féminine de présentation de soi. « Elles constituent une stratégie de refuge, de recherche de profit pour soi et d’expression des déboires amoureux. Les crises s’apparentent à un théâtre, à une mise en scène de soi », déclare M. Zerbo.

Le jury a salué un travail de belle facture

Selon l’impétrant, les résultats de ces recherches mettent en lumière plusieurs types de crises hystériformes : les crises de possession, les crises de désaveu, les crises émotionnelles et les crises actives. Pour lui, pour un tant soit peu aider les filles affectées, il faut s’ouvrir à elles, les écouter pour mieux comprendre le processus complexe qui conduit à la survenue de ces crises hystériformes et leur apporter l’aide qui sied.

Une thématique pertinente

Dr Roger Zerbo, le directeur de thèse, a souligné que la thématique de recherche de Zakaria Drabo est pertinente parce que les manifestations des crises hystériformes interpellent sur une dimension importante de la santé qui est le « bien-être mental et social ». Il a tenu à saluer les travaux de l’impétrant qui jettent une lumière sur ce phénomène qui existe depuis fort longtemps.

« Le mérite de M. Drabo est de tenter de trouver des indices de causalité de certaines crises hystériformes chez les adolescentes, en interrogeant les espaces familiaux et les relations interpersonnelles (…) La crise hystériforme qui s’inscrit dans le registre des transes est une forme d’état second dans lequel un individu est plongé durant une période relativement brève et de manière inhabituelle. Les notions de risque et de vulnérabilité demeurent pertinentes pour saisir le sens des crises hystériques que les filles présentent dans les espaces académiques. Il a si bien montré que diverses formes d’expression et de croyances populaires sont associées à ces crises. La thèse comporte un aspect pluridisciplinaire qui permet de comprendre plusieurs formes et logiques d’interprétations de la situation et de l’expérience des filles affectées par les crises hystériformes. L’analyse des témoignages et des expériences quotidiennes des patientes lui permet d’affirmer que les conflits d’interactions sociales dans les espaces domestiques créent des situations de vulnérabilité sociale dont souffrent les filles affectées par les crises hystériformes. En s’inspirant de la littérature anthropologique et des données empiriques, Drabo conclut que les traumatismes sociaux et la peur constituent des mécanismes favorables à l’apparition des symptômes hystériques chez les jeunes filles », a déclaré le directeur de thèse.

Pour lui, ce travail de Zakaria Drabo ouvre un chantier pour des recherches sur la santé mentale et la construction de la personnalité des adolescent(e)s dans une société en transformation.

Après plus de trois heures de présentation, de suggestions et de questions à l’impétrant, le jury présidé par Pr André Soubeiga a élevé Zakaria Drabo au titre de docteur avec la mention très honorable. Pour le président du jury, la thèse de Dr Drabo est d’une belle facture sociologique parce qu’il a pu mettre en évidence un certain nombre de réalités qui expliquent la complexité de ce phénomène social. « Ce travail a connu un aboutissement heureux parce que le candidat a été en mesure de décortiquer d’un point de vue sociologique les facteurs qui permettent d’expliquer ce phénomène », a laissé entendre Pr Soubeiga.

Justine Bonkoungou
Lefaso.net

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