Actualités :: Burkina /Bénin : Hommage à Stanislas Spéro Adotévi (Dr Jean-Hubert Bazié)

A travers les lignes ci-dessous, Dr Jean-Hubert Bazié livre son témoignage sur la vie de Pr Stanislas Spéro Kpakpovi Adotévi. Au Benin, d’où il est originaire, il a occupé d’importantes fonctions : ministre de l’Information puis de la Culture, directeur de l’Institut des recherches appliquées et directeur des Archives nationales et des musées (Dahomey)… Arrivé au Burkina en tant que fonctionnaire de l’UNICEF, il est profondément tombé amoureux du pays au point de décider d’y rester, même après sa retraite. Lisez plutôt.

Il nous a quittés le 7 février dernier dans la discrétion et la simplicité, à 90 ans. Un peu comme monsieur tout le monde.

Et pourtant !

Stanislas Spéro Kpakpovi ADOTEVI, c’est de lui qu’il s’agit, était plus qu’un homme remarquable. Sous la surface des eaux calmes en apparence, se développait une vie intense et riche. Il était une véritable personnalité du monde littéraire, philosophique et politique d’après les fameuses indépendances africaines des années soixante.

ADOTEVI LE BURKINABE

Beaucoup a été déjà dit sur les ondes, dans les journaux écrits et les réseaux sociaux sur le personnage. Pourfendeur de la négritude contemplative (à la Léopold Sédar SENGHOR) et conformiste (à la Aimé CESAIRE), intellectuel engagé dans la lutte de libération matérielle autant que spirituelle des opprimés, ADOTEVI dont l’œuvre phare est NEGRITUDE ET NEGROLOGUES avait choisi, il y a plus de trois décennies, d’élire domicile, si on peut le dire ainsi, au BURKINA FASO de Thomas SANKARA, à la suite de ses pérégrinations de fonctionnaire international.

Cet ancien ministre du Dahomey devenu BENIN de KEREKOU dont il faisait partie des « cercles pensants », appartenait à la Gauche révolutionnaire. Il en avait payé l’addition d’ailleurs, ayant connu la prison et la torture avec d’autres en récompense, sous le même régime. D’abord Représentant de l’UNICEF en HAUTE-VOLTA, au moment où le pays n’avait pas encore changé de nom, puis en 1987, Directeur régional pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, ADOTEVI avait fini par « s’acclimater » au Faso et avait fini par en prendre la nationalité. Il y avait bâti sa demeure, au propre comme au figuré.

Arrivé au BURKINA au moment où les prémices d’un bouleversement politique majeur était en gestation, il a pu suivre sur place l’évolution de ce pays, à l’ombre du système des Nations-Unies sur place, jusqu’à l’éclatement de la REVOLUTION, le 4 Août 1983. Depuis lors et jusqu’au FRONT POPULAIRE, son domicile ne cessait d’être fréquenté par tous : de Valère SOME du Parti de la démocratie sociale (PDS) à Blaise COMPAORE, président du FRONT POPULAIRE (FP) en passant par Eugène DONDASSE et Philippe OUEDRAOGO du PARTI AFRICAIN DE L’INDEPENDANCE (PAI), etc.

Ses relations ne se limitaient pas au domaine professionnel ni politique. Il avait des « amitiés sociales » dirons-nous, notamment avec la famille SIMPORE Gabriel, ancien Directeur général de la Poste à qui il avait été recommandé par un collègue pour son séjour dans notre pays. Il a apprécié ADOTEVI pour sa discrétion et son sens du respect d’autrui. C’est à SIMPORE d’ailleurs qu’il confia la supervision de la construction de sa villa, dans un secteur non huppé de notre capitale.

ADOTEVI en bon sociologue, trouvait du temps pour s’intéresser au « local ». C’est ainsi qu’il n’hésitait pas à accompagner, quand cela était possible, Modeste OUEDRAOGO Naaba Saaga 1er de Kossouka, un membre de son administration, dans la province du BOULKIEMDE, dans l’accomplissement de ses devoirs coutumiers.

Faut-il rappeler que le célèbre écrivain et journaliste défunt Patrick Gomdaogo ILBOUDO, auteur notamment du roman LE HERAUT TETU, inspiré par ailleurs de la vie d’Ismaël DIALLO (Voir plus bas) fut son responsable à la communication ?!

ADOTEVI a surtout brillé dans sa mission officielle, soutenue par sa proximité politique et idéologique et son engagement personnel auprès des autorités révolutionnaires.

Ce fut le cas pour l’expérience emblématique de la Vaccination commando en 1984. En rappel, le programme de vaccination avait été élaboré en 1979. Il a démarré en juin 1980 à Bobo-Dioulasso pour se généraliser onze mois après l’avènement de la Révolution. Plus d’un million d’enfants de 9 mois à 6 ans ont été ainsi vaccinés contre la rougeole, la fièvre jaune et la méningite, au cours d’une campagne nationale de trois semaines qui a vu passer la couverture vaccinale de 19 à 77 %.

L’on se rappelle les familles qui quittaient les frontières des pays voisins pour venir se faire vacciner CHEZ NOUS ! Grâce aux Comités de défense de la révolution (CDR) avec aux commandes, le capitaine Pierre OUEDRAOGO, la mobilisation était de taille ! La stratégie de mobilisation épousait les contours de la politique. On se rappelle cette chanson que beaucoup fredonnait et qui disait en Mooré, une des langues majoritaires : Tampo la loko, adé vaccination commando ! (L’arc et le carquois : nous sommes dans la vaccination commando !)

Le lancement du slogan « un village, un poste de santé primaire (PSP) ! » a été possible grâce à l’appui de l’UNICEF et à la foi mobilisatrice et la détermination du ministre de la Santé de l’époque, le commandant Abdoul Salam KABORE.

L’HOMME MULTIPLE

Le diplomate Filippe SAVADOGO, qui fut Délégué général du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO), ancien Ministre de la culture, du tourisme et de communication, est bien placé pour apprécier les multiples dimensions de l’œuvre d’ADOTEVI, notamment dans le domaine de la culture où il a innové au FESPACO en créant divers prix spéciaux : Mère et enfant/Jeunes publics, etc., favorisant les rencontres entre cinéastes et promouvant le genre.

Il assure qu’ADOTEVI a aussi travaillé à bâtir des passerelles avec des structures des Nations-Unies, notamment le Programme des Nations-Unies pour le développement (PNUD) et permis plus généralement le renforcement du recrutement d’Africains dans le système des Nations-Unies. Il a inspiré des Think Tanks politiques, économiques et culturels qui ont fait tâches d’huile en Afrique.

Aujourd’hui, des hommes et des femmes dans la quarantaine se souviennent des cars de transport scolaire dont l’UNICEF avait doté le GROUPE SCOLAIRE KISWENDSIDA du brillant enseignant Alidou SORE et qui faisaient la fierté de ses élèves.

Nous vous offrons pour éclairer davantage le personnage, ce témoignage d’un autre diplomate ayant évolué dans les institutions internationales, le doyen à la retraite Ismaël DIALLO, à l’époque Directeur du Centre d’information des Nations-Unies. Il nous a reçu dans sa villa de la Zone du bois, et a accepté d’évoquer pour nous, avec émotion, le disparu :

« J’ai fait la connaissance de Stanislas Spéro ADOTEVI, d’abord en lisant NEGRITUDE ET NEGROLOGUES. Et là, j’ai trouvé vraiment qu’il était à mi-chemin, entre SENGHOR, d’un côté, et Wolé SOYINKA de l’autre. J’ai souri en écoutant un journaliste qui se débattait pour évoquer la vie de « STAN », comme nous l’appelions, parce qu’il a parlé, pas du différend, mais de la divergence intellectuelle entre ADOTEVI d’une part, et SENGHOR et CESAIRE de l’autre. Il a parlé, disons, de la partie plus « agressive » de Wolé SOYINKA. Parce que je trouvais que, même étant plus jeune, autant la négritude de SENGHOR me paraissait être une revendication un peu contemplative, un peu de faire valoir, autant ADOTEVI lui, parlait de négritude en mouvement, une sorte d’émancipation. En cela, nous y sentions des effluves du marxisme. C’était l’air du temps !

Et puis je l’ai connu ici, à Ouagadougou, en 1982, quand nous nous sommes retrouvés ici. Lui, était Représentant de l’UNICEF. Nous avons été de vrais camarades. De vrais vrais camarades ! Nous nous voyions souvent. D’ailleurs, une fois au téléphone, nous échangions et il me disait : « Au fait, comment allons-nous appeler SANKARA et BLAISE, sans prononcer leurs noms, si nous sommes en public ? »

Et nous sommes tombés d’accord : « On va dire : ALPHA et OMEGA. ALPHA pour SANKARA et OMEGA pour BLAISE. Vers fin 1983, chaque fois qu’on disait ALPHA ou OMEGA, on savait de qui on parlait. Un jour, je discutais à la maison avec STAN. Nous étions en pleine causerie quand ma fille qui avait quatre ans à peine, a souri et a dit : « ALPHA et OMEGA ! » J’étais abasourdi ! Je lui ai demandé : « Qu’est-ce que tu en sais ? » Et elle m’a répondu : « Tontons SANKARA et BLAISE ». ADOTEVI et moi étions vraiment dépassés ! Elle avait compris, en écoutant simplement nos conversations !

ADOTEVI s’est trouvé très à l’aise, vraiment très à l’aise avec l’élan révolutionnaire. Même si c’était une génération moins âgée que la sienne, il s’y retrouvait totalement. Il s’y était vraiment donné. Et toutes les suggestions que faisait SANKARA, il les épousait. C’est ainsi qu’il y a eu la Vaccination commando sur toute l’étendue du pays. Aux Nations-Unies, cela avait fait l’effet d’une bombe, parce que cela N’AVAIT JAMAIS ETE FAIT NULLE PART ! Cela avait été vraiment salué. Le Directeur général est venu à Ouaga et a vivement félicité SANKARA pour cette performance. »

L’HOMME MODESTE, DISCRET ET EFFICACE

DIALLO poursuit : « ADOTEVI, je ne dirai pas qu’il a « influencé », mais il a beaucoup « participé » à la révolution burkinabé, dans le domaine la réflexion et de la production des discours, avec une grande modestie. Il n’a jamais réclamé avoir fait ceci ou avoir été à l’origine de cela. Jamais ! Jamais ! Je me rappelle, il y a quatre ans, à une réunion au FESPACO, le ministre Abdoul Karim SANGO était là. Quand un cadre du ministère de la culture m’a invité à cette réunion. C’était pour parler de l’Institut des peuples noirs (IPN). Je lui ai demandé si ADOTEVI était informé. Il m’a répondu « Non ! »

Alors, je lui ai dit : « Il faut absolument que vous alliez voir ADOTEVI. Il ne peut pas être absent, s’il est à Ouaga ! Je lui ai donné son numéro. Il a téléphoné à ADOTEVI et ADOTEVI est venu à la réunion. Et pendant cette réunion, j’ai parlé d’ADOTEVI. J’ai dit à l’assistance : « Le monsieur que vous voyez, vous ne le connaissez pas, et vous avez tort de ne pas le connaître. C’est une intelligence, c’est un intellectuel. Il a un capital. Malheureusement, nous ne le savons pas. Et nous ne savons pas mettre en valeur le capital que nous avons en nos humains. Des hommes de son âge, nous les laissons végéter, parce que nous estimons qu’ils sont vieux. Parce que nous estimons qu’ils ont fait leur temps. Parce que nous prétendons, certains d’entre nous, que nous savons plus. »

Je suis d’une génération plus proche d’ADOTEVI que les jeunes auxquels je parlais. Je leur disais : « Vous avez intérêt à entrer en contact avec ADOTEVI, à le connaître et à aller voir la beauté et l’importance de sa bibliothèque, chez lui. Et je leur parlais de ce qu’il avait grandement contribué avec d’autres, à la réflexion qui a nourri le discours de SANKARA aux Nations-Unies. Il n’y a pas une personne qui peut prétendre au JE, au MOI SEUL suis l’auteur, le parrain ou le propriétaire de telle idée, de telle activité. Mais je sais personnellement qu’ADOTEVI a beaucoup fait.

Et voici donc l’homme qui est venu ici au Burkina, en tant que fonctionnaire de l’UNICEF, et qui est tombé amoureux du pays, et qui y est resté, qui a décidé d’y rester. Et qui y a construit sa maison. Qui, à la retraite, a décidé d’y résider. Il n’y a pas plus bel attachement que cela à un pays et à ses hommes. Il n’y a pas meilleur sentiment d’attachement au Burkina. C’est un homme qu’il faut saluer. Moi je continue de regretter qu’on n’ait pas su presser tout le jus qu’on aurait pu avoir de lui. Et c’est dommage ! Si les jeunes lisent ses écrits et s’en inspirent, il pourrait y avoir continuation d’ADOTEVI dans l’esprit des gens. »

NOUS NE T’OUBLIERONS « JAMAIS » !

Un autre témoignage aussi émouvant que sincère est celui de l’ancien Premier ministre et ministre du BURUNDI, son Excellence Pié MASSUMBUKO qui se rappelle :

« ADOTEVI et moi nous sommes rencontrés pour la première fois à Dakar en 1979, chez l’auteur de L’AVENTURE AMBIGÜE, Cheikh Hamidou KANE. Mais nous étions ensemble en France et militions au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). C’était l’époque de Jean-Paul SARTRE, et ALTHUSSER était à la mode. J’étais interne des hôpitaux à Paris et j’étais seul ! Je ne ratais aucune conférence de SARTRE. J’avais été ministre chez moi, ADOTEVI aussi, chez lui : même choc ! J’avais été à l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Notre véritable rencontre a eu lieu à Ouagadougou. J’étais au programme Onchocercose de l’OMS. C’était la période de mouvance révolutionnaire et l’atmosphère était pour nous positive.

ADOTEVI a donc trouvé à Ouaga, un milieu extrêmement favorable. Quand on a été en HAUTE-VOLTA puis au BURKINA, on n’oublie pas, on a des atomes crochus avec ce pays ! C’est un pays qu’il faut admirer. Je venais de loin et je peux le dire : le BURKINA a adopté un frère Africain digne de son projet de société. Je viens moi-même de temps en temps au Faso. Mais on ne trouve plus personne. C’est terrible », précise-t-il, avec un regret dans la voix ! TRES TOUCHANT !

Il poursuit : « Nos enfants se connaissent et se fréquentent toujours. ADOTEVI est un grand homme de culture, un grand Africain, une personnalité humaine, humble, discrète et fraternelle qui avait beaucoup de relations. Il était intellectuellement très droit, ne se fâchait jamais, toujours réfléchi, avec une aptitude à se mettre à la place de l’autre. »

Et laissant apparaître une dimension de foi et de conviction militante, il ajoute, en guise de conclusion : « On est des gens du village. Même Ouaga est un village. Les Africains doivent apprendre à rester simples. Tu es poussière et tu redeviendras poussière !

ADOTEVI, je ne l’oublierai jamais en tant que PETIT-FRERE ! Que ton âme repose en paix ! »

DORS DONC EN PAIX, VALEUREUX COMBATTANT ! LE BURKINA FASO TE SERA TOUJOURS RECONNAISSANT !

Dr Jean-Hubert BAZIE
Jeanhubertbazie@gmail.com

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