ActualitésDOSSIERS :: Burkina : « Attaques terroristes, intolérance, discours haineux,… il y a (...)

Face à la situation difficile que vit le pays, qualifiée par certains de « crise multi-dimensionnelle », et au moment où certains Burkinabè se demandent par où commencer, d’autres ont la ferme conviction que la solution se trouve dans l’éducation et la sensibilisation des populations. De ceux-là, Sanoussi Gansonré, expert et consultant en organisation de réseaux associatifs et en police de proximité. Avec des collaborateurs, l’expert parcourt des localités pour distiller des messages de sensibilisation. On en sait davantage sur l’enjeu d’un tel combat à travers cette interview …

Lefaso.net : En mars 2022, vous lanciez, avec votre organisation, le Cercle pour la prévention en matière sécuritaire, la promotion de la paix et du développement humain (CESEPAD), un projet de participation communautaire à la prévention de l’insécurité à travers des conférences éducatives sur le thème « Place et rôle de l’éducation et de la société dans la prévention des comportements déviants chez les jeunes » et mis en œuvre au sein des communautés. Pouvez-vous revenir sur la quintessence de l’initiative et le contexte de sa mise en œuvre ?

Sanoussi Gansonré : Tout d’abord, nous disons merci à votre illustre journal en ligne, qui s’intéresse depuis un certain temps à ce que nous faisons sur le terrain. Vous êtes un partenaire qui contribue à sa manière à la mobilisation sociale pour faire face à l’insécurité et aux autres tares que notre société dénonce au quotidien.

Pour la question, notre structure a eu, depuis sa création en 2011, pour vocation d’assurer une mobilisation sociale autour de la problématique sécuritaire, conformément aux textes sur la mise en œuvre de la police de proximité. Les conférences-ateliers évoquées dans votre question constituent un moyen efficace de prévention des différentes formes d’insécurité en ce qu’elles s’attaquent au facteur majeur de l’insécurité que constitue la défaillance de l’éducation vertueuse des enfants au sein des familles.

Tous les diagnostics sécuritaires de par le monde sont unanimes sur le fait que la déperdition des valeurs vertueuses, offertes par l’éducation, explique en grande partie nos problèmes sécuritaires. Les acteurs avisés vous diront également que l’éducation, à l’origine, visait à promouvoir la sécurité et la justice. C’est dire donc que si l’on a besoin de sécurité véritable, de justice véritable et durables dans la société, il faudra faire de l’éducation vertueuse un axe central pour toute initiative de développement. L’éducation vertueuse produit des Hommes aux pensées équilibrées, crée l’humanisme, la solidarité, la cohésion sociale et l’harmonie dans les familles et la société.

Permettez que je cite deux illustres personnages à cet effet. François Héritier qui est une anthropologue disait : « La seule manière de sortir de la violence consisterait à prendre conscience des mécanismes de répulsion, de haine ou encore de mépris afin de les réduire à néant grâce à une éducation de l’enfant relayée par tous ».
Helen Keller, écrivaine, notait que « Le meilleur aboutissement de l’éducation est la tolérance ».

Vous comprenez que notre choix d’orienter l’action de CESEPAD vers la promotion de l’éducation vertueuse se justifie aisément.
Le contexte du Burkina Faso, même avant les attaques terroristes, exigeait des initiatives fortes pour un retour à des valeurs vertueuses, pour nous sortir des différentes formes d’insécurité. Avec ce qui se passe en termes d’attaques terroristes, d’intolérance et de discours haineux à travers les réseaux sociaux et autres espaces d’opinion, l’on comprendra la nécessité de nous donner les moyens moraux pour éviter le pire et reconstruire un vivre-ensemble à visage humain.

Il n’y a pas d’autres alternatives. Tout le monde parle de la déperdition des valeurs morales comme cause profonde de notre malaise, mais rares sont ceux qui y trouvent des approches de solutions crédibles et pratiques. Nous, avec le CESEPAD, nous pensons avoir trouvé un bout de ces solutions à travers les conférences-ateliers organisées dans la région du Centre-Est et une commune du Centre-Nord.

Quels étaient les objectifs visés et comment se sont déroulés ces cadres qui ont placé, à leur centre, les populations elles-mêmes ?

L’objectif global de nos conférences-ateliers, qui s’étalent sur trois jours, est de susciter chez les participants des prises de position pour une éducation porteuse d’espoir dans la prévention des comportements déviants chez les jeunes. Ce sont des conférences-ateliers organisées avec l’appui financier d’un partenaire belge, pour la région du Centre-Est, et d’un partenaire minier pour la région du Centre-Nord. Elles se sont réalisées en tandem avec les autorités communales.

Chaque conférence regroupe une soixantaine de participants et permet d’aborder des thématiques comme les défis et menaces sécuritaires du Burkina ; la co-production sécuritaire et les attentes vis-à-vis des citoyens et des communautés ; la problématique de la consommation des stupéfiants ; les notions d’éducation, de valeurs vertueuses et de comportements déviants ; les profils de mère-éducatrice et de père-éducateur ; des recettes éprouvées pour une éducation vertueuse préventive et curative des comportements déviants et productrice de sécurité d’harmonie/cohésion sociale.

Quels sont les résultats de la mise en œuvre de ce programme et quelle analyse pouvez-vous en faire ?

En termes de résultats, on peut retenir l’organisation de 26 conférences-ateliers dans quatorze communes de la région de l’Est et la région du Centre-Nord ; 1 773 bénéficiaires directs composés d’hommes de femmes et de jeunes issus de différentes composantes de la société. Au titre des comportements des enfants, beaucoup d’enfants jadis insoumis acceptent désormais l’autorité parentale ; des jeunes qui s’adonnaient à pratiques indécentes (habillements, coiffures, consommation de stupéfiants et produits assimilés) sont revenus à la raison ; des parents jadis en situation de conflit avec leurs enfants ou d’abandon de leurs responsabilités ont renoué avec leurs enfants et leurs responsabilités parentales ; les violences scolaires ont diminué ; des QG (quartiers généraux) de pratiques réprouvées ont fermé.

Au titre de la sécurité, on peut retenir entre autres la réduction des risques de délinquance ; des abandons de la consommation de stupéfiants ; des abandons du commerce de stupéfiants ; des constats de réduction de vitesse dans certaines agglomérations ; des abandons d’actes criminels (braquages) par certains jeunes au profit de métiers nobles (ce sont des informations fournies par services de sécurité). On a aussi la réduction des plaintes auprès des services de sécurité et des mairies et la réduction de conflits entre enfants.

Vues partielles des conférences-ateliers à Sabcé (Centre-nord) et à...

Au titre de la cohésion sociale, plusieurs personnes en conflit se sont réconciliées assurant ainsi un climat de paix, de tolérance et de cohésion dans leurs cercles de vie et dans la société.

Sur le volet des relations au sein des couples, on note que beaucoup de couples ont renoué avec la tendresse et l’harmonie ; une ambiance familiale qualifiée d’extraordinaire, par les couples et les enfants.
Au titre de la scolarisation des enfants et de l’encadrement scolaire, on peut se réjouir du suivi scolaire des enfants par les parents ; de l’amélioration de l’encadrement pédagogique des enfants et du meilleur état d’esprit des enfants pour des résultats meilleurs.

Lorsque vous observez ces résultats dont les bénéficiaires seuls peuvent objectivement témoigner de la portée, vous vous rendez compte que tous les domaines de la vie humaine sont impactés. Réconciliation, cohésion sociale, sécurité des biens et des personnes, soumission des enfants à l’autorité parentale, résolution des problèmes de couples, solidarité entre citoyens, relation entre élèves et enseignants, relations FDS (Forces de défense et de sécurité) et populations civiles, intégration des communautés, sont autant de centres d’intérêt qui sont grandement impactés positivement.

Aussi, dans les différentes communes, les bénéficiaires ont mis en place des plateformes dédiées à des échanges et partages d’expériences sur l’éducation vertueuse. Ceux de Tenkodogo ont mis une association dénommée « beog biiga » (un enfant d’avenir : ndlr) pour la promotion de l’éducation vertueuse. Des émissions radio sont animées par des femmes et des jeunes sur la thématique.

Notons que de façon régulière, des échos de changements de comportements chez les enfants, les jeunes et les couples nous parviennent. Ainsi, beaucoup de jeunes ont étonné agréablement leurs parents, en opérant de véritables changement comportementaux qui les ont rendus plus sociables et plus droits.

Quelles sont les leçons que vous avez tirées de la mise en œuvre de ce projet et au contact avec les populations ?

La principale leçon apprise est qu’un discours bien construit peut changer durablement une communauté, pour peu qu’il réponde à un réel besoin ou une préoccupation et qu’il fournisse des solutions pratiques. Aussi, on peut obtenir des résultats immédiats et durables avec des moyens raisonnables. Nous avons également pu confirmer que l’éducation vertueuse est bien possible et est à la base de la résolution des maux dont souffre la société, surtout dans un contexte d’insécurité et d’intolérance.

...Béguédo (dans la région du Centre-est).

Quels sont les facteurs défavorables à une éducation vertueuse des enfants ?

Des facteurs défavorables à une éducation vertueuse et tels que définis lors des travaux de groupes, on peut citer le mimétisme de l’Occident, le refus de parler les langues nationales, la méconnaissance des règles de l’éducation par les parents, l’instabilité des couples et les divergences au sein des couples, l’usage incontrôlé des TIC et de la télévision, la prolifération des débits de boisson et des sites aurifères fréquentés par les enfants.

Par quels éléments peut-on lire le degré de déliquescence d’une société ? Qui doit y veiller et comment peut-on remonter la pente ?

Pour répondre à cette question, je vous cite le Pr Laurent Bado : « (…) Une école pervertie est une société dégonflée, sans repères et sans normes. Quand le sexe d’un peuple prend la place de son cerveau, ce peuple devient un peuple jouisseur, sans bornes et sans normes. Pour un tel peuple la nudité devient la règle et la vertu l’exception ; l’alcool, les jeux, les danses et les chansons érotiques deviennent le quotidien de la jeunesse. Ayez peur d’une telle nation ; elle va vers sa propre perte ; elle plante les germes de son autodestruction. »

Pour nous, pour y remédier, il faut assainir l’éducation. Il faut une éducation vertueuse qui promeut la sacralité de la vie, l’amour du prochain, la pudeur, l’amour du travail, l’honnêteté, la solidarité, la justice sociale, l’équité et la sécurité individuelle et collective, etc. C’est justement le credo de notre structure (Centre pour la promotion sécuritaire axée sur l’éducation et la communauté). Notons qu’à l’origine, et cela est valable aujourd’hui, l’éducation était fondée sur la promotion de la justice et de la sécurité individuelle et collective.

Peut-on avoir une idée de quelques recettes partagées avec les populations pour une éducation vertueuse et préventive de l’insécurité ?

Les recettes ne valent qu’avec les commentaires et récits qui les accompagnent. De la vingtaine de recettes, on peut vous citer les deux qui suivent : c’est vous parents qui décidez ; soyez plus têtus que l’enfant.
Notons que les recettes, dont les résultats sont indéniables, prennent en compte les aspects curatifs (pour les enfants déjà en situation de déviance) et préventifs (pour l’enfance en construction).

Quelles ont été les difficultés identifiées dans la mise en œuvre du projet et les perspectives envisageables ?

La principale difficulté est le manque de moyens pour élargir le nombre de bénéficiaires et de mettre à l’échelle, ces conférences-ateliers. Nous avons cherché à présenter les réussites à des ONG (Organisations non-gouvernementales) et programmes de développement, mais ceux-ci ne sont pas prompts à aménager des espaces de temps en la matière.

Nous sommes cependant convaincus que la prise en compte de notre approche par ces acteurs peut booster les résultats de leurs interventions sur le terrain. Parfois, on a l’impression qu’on se contente de ce que l’on fait, sans chercher ailleurs où on peut trouver des innovations plus porteuses d’impacts, surtout dans un contexte de défis sécuritaires majeurs.

En termes de perspectives, nous comptons construire un concept autour de notre action. Nous comptons ainsi en faire un label. Déjà, nous comptons exporter notre expérience dans les pays du G5 Sahel et autres pays francophones en Afrique de l’Ouest.

La plus grosse difficulté de ce pays semble être le manque de volonté politique pour accompagner de telles initiatives de fond. Dès lors, ne craignez-vous pas que votre travail n’ait pas l’impact escompté, sans volonté politique qui organise le cadre d’expression de vos actions et leur vulgarisation ?

La volonté politique a permis la mise en place de la loi qui permet à des structures comme la nôtre de travailler dans le cadre de la participation communautaire à la gestion de la sécurité par la prévention. C’est aussi grâce à cette volonté politique que des partenaires développent des programmes à la volonté politique que des programmes de développement sont mis en œuvre comme celui a permis d’accompagner le déroulement de nos conférences.

C’est à nous maintenant de développer des initiatives, renforcer notre action en la mettant à l’échelle et en facilitant des initiatives de pérennisation au sein des communautés bénéficiaires pour poursuivre l’œuvre de transformation enclenchée. Dans cette perspective, tous les acteurs institutionnels, les collectivités territoriales et les acteurs individuels sont interpellés pour accompagner la dynamique, dont les résultats affectent positivement la vie de tous les citoyens et même l’existence de la nation.

Quelles sont vos recommandations et qui sont les destinataires ?

Au regard de ce qui est dit précédemment, nous recommandons à toute organisation ou personne soucieuse de la promotion de valeurs morales éthiques comme moyens de transformation sociale dont la finalité est le mieux-être des populations bâti sur la sécurité, la justice sociale, la cohésion sociale, l’ éradication de l’intolérance, de la corruption, la solidarité humaine, à s’approprier ce concept ou à accompagner la dynamique hautement salutaire que nous avons amorcée.

Dès lors qu’il y a unanimité autour de la perte des valeurs morales comme cause de notre malaise social, il s’impose que si une offre en la matière produit des résultats évidents et durables, qu’il y ait une vague d’appuis à la dimension de la problématique.

Interview réalisée par Oumar L. Ouédraogo
Photos : Auguste Paré
Lefaso.net

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