Actualités :: Burkina/Mines : « Le cours de l’or est élevé mais les mécanismes pour capter (…)

Le secteur minier au Burkina Faso représente un pilier essentiel de l’économie nationale. La production 2023 qui a été vendue à 2 154,830 milliards de francs CFA a rapporté 529 milliards de francs CFA au budget de l’Etat, contre 540 milliards de francs CFA en 2022 et 470 milliards de francs CFA en 2021. Malgré la baisse de la production, les recettes d’exportation et les recettes versées au budget de l’Etat ont augmenté. La principale explication est la hausse du cours de l’or. Toutefois, le secteur est confronté à certaines difficultés. Pour mieux comprendre les enjeux, les défis, Lefaso.net s’est entretenu avec Elie Kaboré, spécialiste dans le traitement de l’information sur le secteur minier et par ailleurs directeur de publication du journal Minesactu.info. Dans cette interview, il a également formulé des recommandations pour assurer la croissance et la durabilité à long terme du secteur extractif.

Lefaso.net : Qui est Elie Kaboré ?

Elie Kaboré : Journaliste de profession, je suis actuellement directeur de publication du journal https://minesactu.info, spécialisé dans le traitement de l’information sur le secteur minier. Avant de créer ce journal, j’ai travaillé comme journaliste au journal L’Economiste du Faso et comme chargé de la communication au Réseau national de lutte anticorruption (RENLAC). Sur le plan associatif, je suis membre du Comité de pilotage Afrique de la coalition mondiale publiez ce que vous payez (PCQVP) et membre du Conseil burkinabè des mines, de la géologie et des carrières. Je suis formateur et consultant pour plusieurs ONG notamment.

Comment vous vous êtes retrouvé dans le secteur minier ?

Je suis arrivé dans le secteur minier par l’investigation sur la corruption dans le domaine foncier. Au début de ma carrière, l’actualité était focalisée sur les problèmes de lotissements en zone urbaine avec les dénonciations des agissements des maires, l’accaparement et les détournements des terres en milieu rural. C’était à une période où plusieurs mines industrielles s’installaient. Je me suis intéressé particulièrement aux questions d’accès à la terre par ces mines, notamment les processus de réinstallation des populations impactées, le barème des indemnisations, le respect des cahiers de charges par les sociétés minières, etc. C’est en m’intéressant à cet aspect du foncier que je me suis intéressé au secteur dans son ensemble, notamment les aspects liés à la gouvernance, les retombées, la protection de l’environnement, le cadre légal ; l’accès aux titres miniers, etc. Il faut dire que la mise en place de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives au Burkina (ITIE-BF) a facilité l’accès à certaines données. J’ai eu le privilège de bénéficier de plusieurs formations et de voyages d’études à l’extérieur du pays sur le secteur. J’ai produit plusieurs investigations sur le secteur avant de lancer Minesactu.info en 2022.

Quelles sont les principales ressources du potentiel minier au Burkina Faso ?

Le Burkina Faso exploite actuellement de l’or et des substances de carrières. Pour l’or, l’exploitation se fait de manière artisanale, semi mécanisée et industrielle. Si l’exploitation connaît un certain encadrement, des efforts sont à faire au niveau de l’artisanat. L’or extrait est souvent associé à d’autres ressources dont l’argent. On pourrait ajouter aussi le phosphate. Le Burkina Faso a exploité le zinc à Perkoa jusqu’à l’inondation de la mine en avril 2022. Il a exploité aussi le manganèse à Kiéré et Tambao. Mais le sous-sol burkinabè regorge d’autres ressources comme le cuivre et des indices de diamant, bauxite, nickel et vanadium, d’hydrocarbures, etc.

L’économie burkinabè est dépendante du secteur minier. Est-ce une bonne chose ou une mauvaise chose ?

Pour vous donner quelques chiffres, le secteur a produit 56,857 tonnes d’or en 2023 par douze sociétés minières industrielles, en baisse de 0,788 tonne par rapport à 2022. La production 2023 qui a été vendue à 2 154,830 milliards de francs CFA a rapporté 529 milliards de francs CFA au budget de l’Etat, contre 540 milliards de francs CFA en 2022 et 470 milliards de francs CFA en 2021. On constate que malgré la baisse de la production, les recettes d’exportation et les recettes versées au budget de l’Etat ont augmenté. La principale explication est la hausse du cours de l’or. L’or est le premier produit d’exportation depuis une quinzaine d’années mais sa contribution à la formation du produit intérieur brut varie entre 8 et 16%.

La contribution directe du secteur n’a jamais atteint un tiers des recettes de l’Etat et la contribution à la création d’emplois reste faible. On pouvait s’attendre à mieux. Personnellement, je ne suis pas satisfait de la gestion globale du secteur. J’estime que l’Etat a fait des efforts pour encadrer le secteur par des textes et promouvoir le secteur. Mais un accent n’a pas été mis sur la mise en œuvre des textes et le suivi contrôle du secteur. J’ajoute que des manquements constatés ne sont pas sanctionnés pour donner l’exemple. Enfin, on ne sent pas une action coordonnée au niveau du gouvernement pour permettre à ce secteur d’apporter plus au Burkina Faso. Le gouvernement a donc intérêt à diversifier les sources d’entrées d’argent parce que ce secteur est dépendant des aléas extérieurs.

Quels sont, selon vous, ses défis actuels ?

Les défis résident à plusieurs niveaux dont l’application du cadre juridique et réglementaire. Le Burkina Faso dispose de textes qui ne sont pas bien appliqués. Il faut une meilleure coordination au niveau institutionnel parce que plusieurs ministères ou structures interviennent dans le secteur. Un accent doit être mis sur le suivi-contrôle global des opérations et une meilleure lutte contre la fraude au niveau de l’exploitation artisanale. Le problème de la réhabilitation des mines reste posé et il faut le résoudre parce que, malgré le fait que les mines cotisent au Fonds de la réhabilitation et ont déposé des plans de fermeture, du côté gouvernemental, la réponse est lente. L’utilisation des revenus versés aux collectivités (patente, taxe superficiaire, fonds minier de développement local) est à revoir. La formation et le recyclage des agents de l’Etat pour un meilleur suivi du secteur reste un défi.

La mise en œuvre effective du contenu local pour créer plus de valeur ajoutée en termes d’emplois locaux, achats de biens et services locaux, l’accès des nationaux au capital des sociétés, sont autant de défis. On n’oublie pas le financement des grands projets de développement à partir du secteur minier, et la diffusion systématique des informations sur le secteur.

Quelle est la situation des flux financiers illicites dans le secteur extractif de l’or au Burkina Faso ?

J’entends par Flux financiers illicites (FFI), les capitaux acquis, transférés ou utilisés de manière illégale. Cette définition est de la Commission économique des nations unies pour l’Afrique (CEA). Elle met en exergue deux composantes dont l’origine illicite qui peut provenir de la fraude fiscale, la fraude à la production, la contrebande, la contrefaçon, le vol, la corruption, l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent, rétro-commission, etc. On retrouve une composante éthique comme l’évasion fiscale.

Les FFI dans le secteur minier burkinabè sont l’œuvre des multinationales qui cumulent, transfèrent et dissimulent des sommes vers des pays qui disposent de fiscalités non-contraignantes en matière de divulgation des informations. Ils sont aussi l’œuvre de certains acteurs qui interviennent dans la commercialisation de l’or produit artisanalement. Il est difficile d’arriver à quantifier de manière exacte la situation des flux financiers illicites dans le secteur minier au Burkina Faso. Toutefois, nos investigations nous permettent de parler des manifestations et un peu de l’ampleur.

Le premier élément est la fausse facturation commerciale qui se manifeste sous la forme de sous facturation et la surfacturation des biens à l’importation et à l’exportation pour ne pas payer notamment les droits de douane. Par cette pratique, le Burkina Faso a perdu en dix ans, en moyenne 299,200 milliards de FCFA par an entre 2009 et 2018. Des cas de fraudes à l’exportation sont rapportés tout comme la fraude sur la liste minière. Sur ce dernier point, les mines bénéficient d’un régime de faveur pour l’acquisition de certains matériaux. Mais des fraudes sont constatées dans l’établissement de la liste et on y retrouve des composantes qui ne sont pas éligibles à cette liste.

La non régularisation des admissions temporaires est une pratique qui fait perdre d’énormes sommes d’argent au Burkina Faso. La loi autorise les mines en construction à bénéficier d’un régime suspensif des droits de douane sur certains biens. Une régularisation doit intervenir après la phase de construction. Mais dans la pratique, plusieurs mines ont continué d’utiliser de manière illégale ce matériel pour l’exploitation.

Nos investigations ont révélé une faible fiscalisation de la surproduction. En cette période de hausse du cours de l’or, des mines ont tendance à produire plus que prévu sans informer l’administration. La faiblesse des sanctions encourage la surproduction. La participation de l’Etat dans le capital est de 10% gratuits. En plus des difficultés pour collecter les dividendes, aucun dispositif ne permet à l’État de prendre sous la forme d’actions, les investissements qu’il a réalisés pour mettre en exergue le potentiel légué gratuitement aux sociétés minières qui demandent le permis. Des soupçons de fraude existent au niveau de la fiscalisation des mines qui sont sur des codes miniers différents (avec des fiscalité différentes) et qui utilisent la même usine de traitement.

Enfin, le Burkina Faso perd des ressources au moment des cessions des titres miniers parce que tout se passe à l’extérieur. Pourtant le code minier exige l’accord du ministre des mines avant toute cession. Le secteur extractif est celui des exonérations fiscales. Malheureusement, aucun mécanisme ne permet que les économies faites par les mines sur ces exonérations soient réinvesties pour créer de la valeur ajoutée dans le pays. Je termine par la faiblesse des amendes infligées aux sociétés qui reconnaissent qu’elles ont fauté et qui sollicitent des règlements à l’amiable. Il est plus facile de fauter au Burkina Faso pour revenir négocier une faible amende.

Quelles sont les incidences de ce phénomène sur le développement économique du Burkina Faso ?

Ce sont des ressources que le pays perd alors qu’elles auraient pu être investies pour le développement socio-économique. Le pays doit souvent s’endetter pour financer les charges de l’Etat que ces flux non captés auraient pu combler. Les mines du Burkina Faso ont des durées de vie relativement courtes. Si le pays ne maximise pas pendant l’exploitation et succombe aux complaintes des sociétés minières, cela accentue les manques à gagner pour l’Etat. Actuellement le cours de l’or est élevé mais les mécanismes pour capter la rente en fonction des investissements réalisés par chaque mine n’existe pas.

Au plan national, quels sont les mécanismes mis en place pour juguler les FFI ?

Il existe plusieurs mécanismes efficaces de lutte contre ces flux financiers illicites au niveau international et africain que le Burkina Faso a internalisé dans son cadre légal et règlementaire. L’internalisation des normes du GAFI, du forum mondial, de l’ITIE participent à cette lutte. Des institutions de lutte contre la corruption et la fraude participent également à cette lutte. La Cellule nationale de traitements des informations financières (CENTIF), les régies de recettes comme la direction générale des impôts, la direction générale des douanes dans leur travail de tous les jours luttent contre les FFI. On a aussi la justice, à travers les pôles économiques et financiers. Mais il faut adapter les textes et former les agents pour qu’ils détectent facilement les FFI et aussi faire face à aux montages financiers complexes des multinationales. La coopération fiscale avec d’autres pays pour les échanges d’informations fiscales est en place mais peut-être améliorée. Je pense que le Burkina Faso doit engager des négociations avec les sociétés qui ont des contrats miniers à long terme. Ces mines exploitent depuis des années mais bénéficient de la stabilisation fiscale alors que les taux de certains impôts et taxes ont augmenté.

Quelle est votre évaluation de l’entrepreneuriat dans le domaine minier au Burkina Faso et pourquoi les investisseurs nationaux semblent-ils moins engagés dans l’exploitation minière ?

Pour investir dans un secteur, il faut le connaître, avoir confiance et prendre un risque. Les aînés nous informent qu’à un moment, le gouvernement a encouragé l’investissement national dans le secteur minier. Des permis de recherche ont été attribués à des nationaux qui n’ont pas prospéré. Mais ces dernières années, on sent un intérêt des nationaux dans plusieurs domaines du secteur. Une banque comme Coris Bank est annoncée comme le principal financier dans plusieurs projets miniers dont les plus importants sont Orezone Bomboré et Kiaka. La banque Visa, à travers sa société mère Lilium capital, a racheté deux permis d’exploitation industriels. Le groupe Soleil qui vient d’acquérir Burkina mining company (la mine de Youga), appartient à des nationaux. Nous retrouvons des entreprises burkinabè parmi les fournisseurs de biens et services miniers. Le gouvernement encourage leur expansion par l’adoption du décret pour encadrer la fourniture locale et un arrêté fixant des quotas d’achats à réserver aux nationaux. Nous avons plus de Burkinabè au niveau de la mine semi-mécanisée et de l’artisanat. Ces derniers temps, le gouvernement a entrepris de se lancer dans l’exploitation et la transformation des substances. Ne perdons pas de vue que le secteur est relativement jeune et la connaissance du secteur et l’intérêt des Burkinabè se fait de manière progressive.

Serait-il réalisable de créer une société nationale pour l’exploitation de l’or ?

A moins avis, aucune mesure n’est bonne ou mauvaise à priori. Tout est une question de vision et surtout de management. Les citoyens sont souvent contre les sociétés d’Etat à cause de la malgouvernance et de l’impunité qui entourent les actes des dirigeants. Mais un Etat doit se donner les moyens de biens connaître le secteur, former ses cadres pour le suivi. Pour ce faire, il est indispensable de disposer de ses propres mines. Je suis un partisan par exemple d’une mine école pour former et recycler nos cadres. Il est aussi nécessaire de renforcer l’existant comme le BUMIGEB pour la recherche et un meilleur suivi des teneurs à l’exploitation.

Interview réalisée par Aïssata Laure G. Sidibé
Lefaso.net

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