Actualités :: Burkina/Médias : « J’ai l’impression que l’on fait la confusion entre les (…)

Journaliste-reporter, rédacteur en chef adjoint, rédacteur en chef puis directeur de la radio nationale, Baba Hama n’est plus à présenter. L’homme pétri d’une solide expérience dans le monde des médias, est entré aussi dans le sérail de la haute administration burkinabè avec sa nomination comme ministre de la communication, porte-parole du gouvernement et aussi ministre de la culture et du tourisme. Le diplômé en journalisme de l’École supérieure de journalisme (ESJ) de Lille, en France, partage avec nous son expérience et son regard sur la pratique du journalisme actuel. Dans ce contexte de crise sécuritaire où les journalistes font souvent l’objet de critique, Baba Hama pense qu’il y a une confusion. Il dit avoir l’impression que des gens font la confusion entre les journalistes professionnels et les réseaux sociaux.

Lefaso.net : Comment expliquez-vous votre choix du journalisme ?

Baba Hama : Le choix du journalisme est purement personnel, beaucoup plus motivé par une vocation et le désir de faire ce métier. C’est valable pour tous les métiers que l’on choisit.

Comment êtes-vous arrivé dans le journalisme ?

J’ai eu la chance de faire des études qui concouraient à faire de moi un journaliste professionnel. Ma formation professionnelle a été faite à l’Ecole supérieure de journalisme de Lille, en France de 1984 à 1986. Après, je suis rentré au pays et j’ai immédiatement travaillé au sein de la radiodiffusion nationale du Burkina où j’ai pratiquement occupé tous les postes.

Après vos études, vous avez travaillé dans des médias en France. Pourquoi avez-vous fait le choix de retourner au bercail alors qu’il y avait une possibilité de travailler là-bas dans de meilleures conditions qu’ici ?

Effectivement, j’avais eu des opportunités pour travailler là-bas mais j’ai décidé de rentrer. Je vous rappelle que je suis l’aîné de ma famille.

Et quels sont les postes que vous avez eu à occuper ?

J’ai d’abord été pigiste, ensuite journaliste, reporter-rédacteur puis rédacteur en chef adjoint, rédacteur en chef et enfin directeur de la radiodiffusion nationale plus précisément de 1992 à 1994. A partir de 1994, ma carrière a été beaucoup plus administrative. J’ai été nommé secrétaire général du ministère de la Communication et de la culture jusqu’en 1996. Je me suis retrouvé au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) jusqu’en 2008. Après, j’ai été directeur de cabinet du ministre d’État, ministre de la santé à partir de 2008 et en 2009 j’ai été nommé directeur de la communication de la présidence du Faso. En 2011, j’ai été nommé ministre de la communication porte-parole du gouvernement. C’est une expérience qui a duré juste trois mois.

Pourquoi trois mois seulement ?

Vous avez connaissance des évènements de Koudougou. Il y a eu des émeutes suite à un incident à Koudougou (affaire Justin Zongo, Ndlr). Ce qui a amené un changement de gouvernement à partir d’avril 2011. Là, je me suis retrouvé ministre de la cuture et du tourisme jusqu’en 2014 avec les évènements d’octobre 2014 que vous connaissez aussi.

Vous avez fait le département de Lettres modernes à l’université. Comment vous vous êtes alors retrouvé dans le journalisme ?

Après mon baccalauréat en 1980, je me suis inscrit en Lettres modernes parce qu’à l’époque il n’était pas question d’envoyer directement les étudiants à l’étranger. Nous étions sous le régime du Comité militaire de redressement pour le progrès national (CMRPN). Il n’était pas question d’envoyer des étudiants directement en France, il fallait attendre le DEUG. Après le DEUG, on nous informe encore que ce n’est pas possible, qu’il faut la licence. Après la licence, on nous dit encore d’attendre après la maîtrise. Nous avons attendu pour avoir la maîtrise en 1984. Après, nous avons pu nous inscrire dans une école de journalisme en France. Je dois dire que c’est une chance parce que l’Ecole supérieure de journalisme de Lille est une école privée. Ce n’est pas une université publique et il fallait que l’État débourse des frais d’inscription. L’État a accepté. Nous étions trois, Lézin Didier Zongo, Seydou Ouédraogo et moi même.

De retour au pays sous l’ère de la révolution, dans quel environnement travailliez-vous ?

Dans la pratique, c’était en 1986 en pleine révolution. Le Front Populaire est intervenu en 1987. Donc il y avait une partie Conseil national pour la révolution (CNR) et une partie du Front Populaire.

Dans quelles conditions de travail avez-vous évolué ?

A l’époque, tout le monde devrait à priori être révolutionnaire. Il n’y avait pas d’opposition, de syndicat. L’essentiel du travail allait dans le sens de l’éveil des consciences et de la sensibilisation des masses.

Ils se dit que les journalistes étaient catégorisés à l’époque. Qu’il y avaient des journalistes révolutionnaires et des réfractaires. A quel camp apparteniez-vous ?

Non, les journalistes n’étaient pas catégorisés. Je pense plus à une commodité sémantique. C’est le régime, sous le CNR et le Front Populaire, qui a un moment donné avait estimé que dans les rédactions la ‘’vieille garde’’ n’était pas idéologiquement bien formée et qu’il fallait apporter du sang neuf. C’est pour cela que le régime a recruté des étudiants qui étaient pour la plupart à l’université de Ouagadougou qui ont été dispatchés à la radio nationale, à la télévision nationale et à Sidwaya. Leur travail était de faire des analyses et des commentaires sur les faits d’actualité. Ce qui permettait aux journalistes ‘’pas très idéologiquement imbibés’’ de faire le travail du factuel. Sinon, ce n’était pas une volonté de catégoriser les journalistes. Il n’y avait pas de démarcation physique au sein des rédactions. Je pense que ce phénomène du recours à du personnel pas professionnellement formé mais qui dispose d’un certain bagage intellectuel se poursuit de nos jours. Même si on les appelle pas des journalistes révolutionnaires, regardez dans les médias privés, il y a plein d’étudiants qui n’ont jamais fait un seul jour une école de journalisme mais qui animent les rédactions. Sinon à l’époque, ce n’était pas une volonté de catégoriser. De toute façon, tout le monde était censé être révolutionnaire sous la révolution.

Comment appréciez-vous la pratique journalistique actuelle ?

Elle est beaucoup plus intéressante, je trouve que vous avez la chance. Sous la révolution, vous êtiez soit révolutionnaire ou alors taxé de réactionnaire ; vous savez bien ce que cela peut vous coûter en termes de dégagement, de licenciement. Les débats n’étaient pas véritablement contradictoires dès l’instant que les partis politiques n’existaient plus sur la scène politique, les syndicats non plus ne donnaient pas de la voix. Il n’y avait pas d’effervescence ou de contradictions dans les débats. Je pense qu’à partir de 1991 avec l’adoption de la constitution et le retour à la vie constitutionnelle normale, cela a permis l’émergence de toute la presse privée à partir de 1992, ce qui a donné une certaine pluralité de tonalité.

Si je dois me permettre une comparaison c’est de dire que nous vivons une situation assez particulière de nos jours parce que nous sommes un pays qui est en guerre. De ce point de vue, cela implique une conduite qui nécessite la mobilisation de toutes les énergies vers un objectif, celui de la libération de notre territoire. Cela implique une certaine conduite mais que je ne vais pas comparer à ce qui se passait sous la révolution. S’il y a une comparaison à faire, pour chacune des périodes, il y a un objectif. Sous la révolution, l’objectif était l’éducation des masses, la lutte contre l’impérialisme, l’auto-suffisance, la décolonisation des mentalités et autres. Il y avait un vaste chantier qui était consigné dans le discours d’orientation politique (DOP) du 2 octobre. De ce point de vue, la presse dans l’ensemble accompagnait ce phénomène qui, du reste, était nouveau et qui emballait tout le monde.

Jusqu’à ce que la guerre nous soit imposée, vous avez vu que dans la presse il y avait des grands débats. Dès l’instant que nous sommes dans une situation particulière, il faut comprendre qu’on ne peut plus faire du journalisme comme avant. Aujourd’hui, le journaliste lui-même doit savoir que l’une de ses fonctions est de contribuer à libérer son pays.

Vous disiez que la situation sécuritaire implique une certaine conduite. Quelle est cette conduite ?

Quand je dis une conduite, vous n’allez pas quand-même pas donner la parole à vos adversaires ou dévoiler les faiblesses de votre pays. Le travail du journaliste c’est de donner de l’assurance au peuple par rapport à sa sécurité, galvaniser les gens autour de l’objectif commun. On a même pas besoin de sonner la cloche pour vous demander de le faire. Vous voyez même en Europe, lorsqu’il y a une guerre ou une opposition entre un pays européen et un autre et que l’enjeu c’est le pays, le journaliste est dans la mouvance. Sinon, c’est quoi votre objectif si c’est pour aller louer les hauts faits de votre adversaire ? Nous sommes tous des patriotes comme tout le monde. De ce point de vue, on doit plutôt travailler dans le sens de galvaniser, rassembler, mobiliser, favoriser la cohésion sociale.

Travailler dans le sens de galvaniser, pensez-vous que les journalistes burkinabè travaillent dans le sens de galvaniser, de favoriser la cohésion sociale ?

Je pense que oui. On a jamais pris un journaliste professionnel en train de faire le contraire. J’ai l’impression qu’on fait la confusion entre les journalistes professionnels et les réseau sociaux. C’est totalement différent, le problème se trouve au niveau des réseaux sociaux. Dans quel média burkinabè vous avez vu des articles écrits par des journalistes professionnels qui prônent la division ? Est-ce que vous avez déjà vu un journaliste professionnel qui a écrit un article qui pousse à la haine ? Avez-vous déjà vu un article d’un journaliste professionnel dans un journal professionnel qui professe la division ? Je n’en ai pas encore vu. Pour moi, le problème ne se trouve pas au niveau des médias, il se trouve au niveau des réseaux sociaux.

Hélas ! La guerre est venue trouver que l’évolution technologique à travers les réseaux sociaux, le numérique a permis à tout le monde d’obtenir de nouveaux canaux et modes de diffusion. Malheureusement comme d’habitude en Afrique, on utilise toujours très mal les outils qui auraient pu nous servir utilement à autre chose. Il y en a même qui parlent de journalisme citoyen. Ça n’existe pas, ça ne veut rien dire. Je sais qu’il y a des grands journalistes qui emploient ce terme, ça ne veut rien dire et je m’assume. J’accepterai ce terme le jour où vous aurez un médecin citoyen ou un mécanicien citoyen. Pour être journaliste professionnel on est formé n’est-ce pas ? La formation dont nous autres avons bénéficiée n’est pas seulement académique. Il y a aussi la formation sur le tas. C’est juste une question de durée. Si vous allez dans une rédaction pendant, deux, trois ans, c’est une formation. C’est pour cela que je suggère qu’il y ait une instance qui, au bout de cinq ans ou dix ans de pratique, non pas intra-muros dans une école mais plutôt une formation pratique sur le terrain, qu’il y ait une instance qui vous donne un diplôme qui ferait de vous un journaliste professionnel.

« Le journaliste n’est pas un communicant, ce n’est pas son travail », a affirmé Baba Hama

Il se dit que les journalistes n’accompagnent assez la dynamique de la reconquête du territoire. Vous en tant que journaliste et enseignant dans les écoles de journalisme, quelle est votre lecture de cette opinion ?

Je pense que les journalistes accompagnent bel et bien la dynamique de la reconquête. Je n’ai pas encore vu des journalistes qui sont en porte-à-faux par rapport à ce que le gouvernement fait. Il y a peut-être de mon point de vue une confusion dans le rôle du journaliste. Le journaliste n’est pas un communicant, ce n’est pas son travail. Il y a des gens qui sont formés pour être des communicants, on appelle ça de la communication. Ils ont des outils de communication. Par contre, les journalistes font partie de ces ‘’outils de la communication’’. Lorsqu’un communicant élabore une stratégie de communication, il est obligé d’utiliser les médias tout comme il est obligé d’utiliser les ‘’hors médias’’.

Ce stratège, en élaborant la communication de guerre doit savoir quand et comment il va employer les médias. En ce moment, le problème ne se pose pas. Les journaux vont suivre. Pour accompagner, il faut savoir où est-ce qu’on va en ayant toutes les informations. Il faut que le journaliste soit informé de ce qui se passe. On invente pas quand on est journaliste. S’il y a une synergie entre les communicants et les journalistes, vous allez avoir une bonne information. Dans le cas contraire, le journaliste ne peut pas inventer. Quand je regarde les communiqués officiels, je vois que les médias les diffusent. C’est une forme d’accompagnement. Remarquez que ces communiqués émanent d’une autre source que celui des reporters. Il faut mettre à la disposition des journalistes l’information et ils vont la communiquer. Dans notre métier, la seule chose qu’on nous demande, c’est la crédibilité de la source.

Le dernier rapport sur la liberté de la presse indique un recul. Quel est votre commentaire ?

On aime jaser pour rien. Reporters sans frontière ou le Centre national de presse Norbert Zongo par exemple n’ont pas fait les enquêtes ex nihilo. On connaît très bien les critères. Les critères ce sont entre autres, le contexte politique, le cadre légal, le contexte économique, le contexte socioculturel, la sécurité. Sur la base de ces éléments, on affecte des coefficients. A partir de ce moment, je ne vois pas quel autre résultat on voudrait avoir. Je pense aussi que l’éducation aux médias devrait être prise en compte par les journalistes. Il ne s’agit seulement pas de publier le rapport de certains organismes nationaux ou internationaux. Il faut aller au-delà et dire quels sont leurs critères. Si ces critères sont mis à la disposition du public, vous allez voir qu’il n’y aura plus de débat sur les résultats parce que les gens comprendront. Ce que vous pensez être une évidence ne l’est pas en réalité. Les médias doivent informer mais aussi éduquer.

Comment cette éducation aux médias doit se faire ?

C’est une science. Il s’agit simplement de montrer au public comment les médias fonctionnent. Par exemple, la ligne éditoriale. Il y a des gens qui ne savent pas que les journaux sont libres d’avoir leur ligne éditoriale et qu’en fonction de cela on peut choisir de parler d’un évènement ou pas. Si le public n’est pas informé sur la notion de ligne éditoriale ou ne sait pas quel est processus de collecte de traitement et de diffusion de l’information, c’est difficile pour lui de savoir faire la part des choses. J’entends des gens dire que les réseaux sociaux valent mieux que les médias. Ce qu’ils oublient est que le professionnel de l’information respecte cinq étapes.

La première étape, on lui dit qu’il y a un fait. Deuxième étape, il décide de couvrir suite à une conférence de rédaction, qui entérine l’importance du sujet le public. Une fois que c’est décidé, troisième étape, le journaliste va sur les lieux pour collecter l’information. La vérification est la quatrième étape de l’information. Après la phase de vérification, il y a la cinquième étape, la diffusion. Celui qui est sur Facebook ne cherche pas à vérifier. Le facebooker saute allègrement la quatrième étape qui est fondamentale en journalisme, c’est-à-dire la vérification des faits. Il ne faut pas que des médias soient frustrés outre mesure même s’il y a la pression pour demander qu’ils aillent à la même vitesse que quelqu’un qui n’est pas professionnel. La crédibilité des médias viendra de la véracité des faits qu’ils vont donner. Si les médias rentrent dans la course vers le scoop pour s’excuser au bout de deux ou trois heures après, leur crédibilité tombe à l’eau.

Vous avez un riche parcours professionnel. Dans la pratique journalistique, avez-vous toujours connaissance des évènements qui ont marqués votre esprit ?

J’ai vécu des évènements pendant que j’étais au sein de la rédaction qui ne m’ont pas à proprement parler négativement ou positivement marqués parce que je suis quelqu’un qui n’est pas dans l’émotion. Je peux au moins citer les évènements de 1987, les premières campagnes du retour de la démocratie, l’avènement des nouveaux médias. Ce sont entre autres des évènements marquants que j’ai vécus. Je suis un peu stoïque vis-à-vis de certains évènements. Je pense que j’en ai tiré des leçons, mais ça ne m’a pas affecté. Lire la suite

Serge Ika Ki
Lefaso.net

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