La déchéance de notre système de reproduction sociale : la source de nos problèmes ?Le Burkina Faso est à la croisée des chemins. L’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 a été l’expression, par une bonne partie des insurgés, d’un ras-le-bol face aux maux qui minent notre société depuis plus de trente ans. Les Burkinabè ont rêvé d’une nouvelle façon d’être gouvernée. Malheureusement, ce changement tant attendu n’a pas eu lieu. En effet, après la période de transition d’un an, plusieurs évènements majeurs ont mis à nu les limites profondes de nos politiques de gouvernance et celles des hommes politiques à la base du système socio-économique. Le terrorisme et la maladie à corona virus (COVID19) de décembre 2019, bien que ce soit des phénomènes à la mode et universels, ont trouvé un environnement favorable à leur épanouissement particulièrement au Burkina Faso qui est sans repère et dépourvu de capacité défensive, une société en décadence. A l’image des infrastructures (écoles, centre de santé, route) nouvellement construites qui s’écroulent sous les premières pluies de la saison, la société burkinabè a touché le fond : une phase de décomposition avancée. Quelles en sont les causes et conséquences ? A qui la faute ? I. Les causes de la déchéance du système de reproduction sociale Pour Monsieur Abdoul Karim SANGO, enseignant et homme politique, dans une interview parue dans le quotidien le pays n°7345 du 8 juin 2021, dans la rubrique Mardi politique, le Burkinabè n’a plus de repère depuis plus de trente ans. Dans cette même logique, soit les aînés n’avaient pas également de repères à transmettre au plus jeunes ou bien leurs repères n’étaient pas des modèles à suivre pour les plus jeunes. On comprend aisément, comment les valeurs et les principes d’antan comme l’intégrité, la solidarité, le patriotisme, la tolérance, le courage, la dignité, qui faisaient la fierté du Burkina Faso, ont foutu le camp. Aujourd’hui, au Burkina Faso, l’individualisme, l’égocentrisme, la méchanceté, l’incivisme se sont imposés comme les traits caractéristiques de la société au point que même si le bon Dieu ressuscitait le père de la révolution burkinabè, Thomas SANKARA, les mêmes vont encore le tuer une énième fois. 1. Les enfants sont éduqués par la rue, la télé, l’internet Pour comprendre que notre société n’a plus de repères, de bases, il suffit de jeter un coup d’œil sur les toits des maisons en ville comme en campagnes, c’est le monde des antennes paraboliques de canal plus, la chaîne de télévision cryptée, une entreprise française qui distille à longueur de journée, toute sorte d’émission, de films sans aucun contrôle de l’autorité. Nous sommes bien à l’époque où la télé remplace les parents pour reprendre les paroles du chanteur ZEDESS. Le « consommons burkinabè » relayé régulièrement par les autorités cache en réalité un complexe, un goût du luxe venu d’ailleurs. Le capitaine SANKARA n’avait-il pas vu juste en affirmant que la domination culturelle est la plus souple, la moins coûteuse mais la plus efficace ? Les déchets venus de l’Europe ne suffisent pas dans les rues des grandes villes du pays. 2. Le mauvais exemple par la promotion de la mal gouvernance : la source de l’incivisme La gestion des biens publics de l’Etat en tout lieu et en tout temps, manque de rigueur, d’équité, de justice et de transparence. Dans l’administration publique, de l’attribution des marchés publics à la collecte des taxes et impôts en passant par les services publics dans les administrations et dans le milieu des affaires, la corruption, le népotisme, le favoritisme ont été érigés en règle et sont devenus des valeurs, des principes les mieux partagés de la société burkinabè. Le contrôle des infrastructures par les premières pluies ont remis en surface, les pratiques mafieuses des marchés publics d’une part et la cupidité des commerçants, producteurs et vendeurs de matériaux de constructions d’autre part. Des commerçants se permettent de fabriquer les fers à béton en réduisant les dimensions standards et de commercialiser ainsi des matériaux de construction non conformes sans être inquiétés . Ce sont des pratiques anciennes et connues des institutions de contrôle. Tous les crimes sont entretenus voire encouragés par l’injustice, l’impunité totale depuis le sommet de l’Etat qui ne donne pas le bon exemple en matière de civisme. Le cas du ministère de la Sécurité en est la parfaite illustration. En effet, ce ministère refuserait d’appliquer les décisions de justice dans le cas du différend qui l’oppose à un groupe de policiers. Après une bataille judiciaire qui a suivi toutes les étapes de l’institution judiciaire du pays, le verdict est resté constant en faveur des policiers. En plus, c’est la rémunération des membres du gouvernement, révélée par un audit du CIFOEB qui ne respecterait pas les textes en vigueur. Des contributions avaient été demandées pour soutenir les forces de sécurité sur le terrain. L’enrichissement illicite dont est accusé l’ancien ministre de la Défense, l’affaire du charbon fin et les présomptions de blanchiment d’argent au haut niveau ont été également rendues publics. Si c’est au sommet de l’Etat, le garant du respect des textes qui s’illustre par le mauvais exemple c’est quel message envoie-t-on à la base, au peuple ? Quel message l’administration envoie aux administrés ? 3. La promotion de la médiocrité : une discrimination institutionnalisée Dans un contexte d’économie du savoir, de mondialisation sans frontières physiques, la compétence au Burkina est devenue un risque d’échec professionnel voire social. Dans les directions centrales de l’administration publique et les entreprises à capitaux publics, les directeurs généraux et centraux souvent des retraités, promus par les amis et copains politiques en plus d’être délinquants, n’ont aucun respect pour les lois de la république. Il est compréhensible qu’un directeur général par exemple manque de compétences techniques dans un domaine donné mais de là à être sans morale et incivique, c’est une illégitimité inacceptable. A leur tour, des protégés, des proches et amis ou encore des hommes de confiance sont promus à des postes de responsabilité voire stratégiques. Pour combler leurs insuffisances, des consultants voire des cabinets sont recrutés aux frais de l’entreprise pour assister ces promus incapables. Aujourd’hui, être différent, c’est-à-dire, ne pas se reconnaître dans ces pratiques, dans ces valeurs est un risque majeur : pour un rien, on te tue physiquement et ou moralement. Pour leurs intérêts, ils sont prêts à tout. II. Les conséquences de la déchéance Aujourd’hui, face à la précarité et aux difficultés de la vie quotidienne, les populations vulnérables, en particulier la jeunesse abandonnée à elle-même, sont prêtes à toutes les promesses susceptibles d’améliorer leurs conditions de vie. 1. Une jeunesse désœuvrée et désespérée Feu le professeur KI-ZERBO, ne disait-il pas que notre système éducatif actuel alimente la crise en produisant des inadaptés économiques et sociaux ? En d’autres termes, notre système éducatif ne répond pas aux besoins de la société. Or, selon le dernier recensement général de la population , les jeunes représentent environ 51.3% d’une population d’environ vingt millions cinq cent mille (20 500 000) habitants. Chaque diplômé ne rêve que de décrocher un poste dans la fonction publique, l’employeur le plus sûr. Pour les concours de la fonction publique, session 2020, un million deux cent quatre-vingt-dix mille cent quarante-deux (1 290 142) candidatures ont été enregistrées pour quatre mille sept cent vingt un (4 721) postes à pourvoir, soit une augmentation de quarante-deux mille sept cent soixante-dix-sept (42 777) candidatures par rapport à 2019 . Dans cet environnement d’incertitude, tous les coups sont permis. C’est ainsi que la plupart des vendeurs d’illusions recrutent leurs fidèles. Cette prophétie est aujourd’hui une réalité. Incivisme à tous les niveaux, terrorisme qui endeuille les familles et plonge le pays dans une psychose indescriptible. C’est la course effrénée à l’enrichissement au point que les jeunes disent préférer avoir vingt (20) millions aujourd’hui et mourir demain qu’une longévité de vingt (20) ans dans la pauvreté. 2. L’ignorance et la misère du peuple, des opportunités d’affaires pour l’élite politique Notre pays est pris en otage par les politiciens. Ils exploitent l’ignorance et la misère du peuple à des fins électoralistes. La politique est aujourd’hui, le domaine de prédilection des affaires, du business qui prospère avec les meilleurs taux de rentabilité et les délais de retour sur investissement les plus courts, le temps d’un mandat électif (présidentiel, législatif et municipal de 5 ans). Beaucoup ont bien compris que mieux vaut investir en politique que d’investir dans d’autres domaines. En 2020, selon le communiqué n°2020/00017/ MATDC/SG/DGLPAP du 3 septembre 2020, c’est environ 143 partis politiques légalement constitués qui pouvaient prendre part aux élections présidentielles. III. A qui la faute ? A des degrés divers, nous sommes tous responsables de cette situation. Les politiciens véreux et apatrides au premier rang ont pris le pays en otage. « Notre histoire a toujours été la somme des choix faits et des actions entreprises individuellement par chaque homme et femme. Elle a toujours dépendu de nous », affirme Barack Obama (2020). Donc, la situation du pays n’est rien d’autre que la résultante de nos choix individuels et collectifs. Maintenant que ce chemin est sans issue, n’est-il pas temps que nous changeons notre fusil d’épaule ? D’ailleurs, Albert Einstein ne disait-il pas que « la folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent ». Les Burkinabè sont donc des fous. 1. Une déchéance structurellement construite Ce délabrement de la société n’est malheureusement pas conjoncturel. Il a été structurellement construit depuis des années. Après les évènements tragiques d’octobre 1987 sous la houlette des rectificateurs, plusieurs programmes aux impacts contrastés sur la société se sont succédé. De la SCADD au PNDES en passant par la loi du développement durable, le Burkina Faso est resté l’ombre de lui-même. Pour le deuxième mandat, le parti au pouvoir sans rendre public son bilan de sa promesse à la population est en train d’élaborer le successeur de son PNDES. Le nouveau référentiel national de développement (RND) de 2021 à 2025 pour le mandat du président (2020-2025) a été adopté et son budget est estimé à environ dix-neuf mille milliards. Il accuse déjà un retard d’un an. Et le cycle du processus recommence. Tant que les programmes structurants vont se limiter au temps d’une durée de mandat présidentiel, il faut oublier un quelconque avenir pour ce pays. Au lieu de servir le peuple, les élus se servent bien. Par exemple, pendant les lotissements, ils se partagent les parcelles oubliant leurs électeurs des zones nouvellement loties. Le rapport d’une commission parlementaire sur le foncier en dit long sur les pratiques dans le domaine. Récemment, l’express du Faso dans son n°5522 du mardi 22 juin 2021 titrait à la une : « Arrondissement 7 de Bobo, le procureur poursuit les conseillers municipaux pour 3 054 parcelles ». Voilà tout ce qui intéresse les politiciens véreux et apatrides. 2. L’assistance technique de la déchéance structurelle de notre société Des structures comme la Banque mondiale et le Fond monétaire international qui tirent leurs revenus dans l’incapacité des pays à être économiquement viables peuvent-elles faire des propositions à même de rendre un pays autonome ? Dit autrement, peuvent-elles accompagner un pays ou leur client pour qu’il n’ait plus besoin de leurs services ? Il faut être fou pour scier le tronc de l’arbre qui te donne les fruits. Il suffit de regarder les taux auxquels ces structures prêtent l’argent à nos pays qualifiés de risques élevés comparés aux pays occidentaux. Le taux d’intérêts des prêts pour le Burkina à la banque mondiale était de 8,8% en 2005 pour s’établir à 5,1% en 2017 . Elles nous ont imposé les programmes d’ajustement structurels qui ont conduit à des privatisations sauvages et au désengagement de l’état dans beaucoup de secteurs de services sociaux de base. Ou en sommes-nous aujourd’hui ? Conclusion Pour finir, la profondeur de la fracture sociale est telle que la reforme actuelle du système de l’éducation et la création d’un ministère dédié à la réconciliation n’y pourront rien. Tant que le diagnostic est mal posé, il n’y aura point de bonne prescription. Tout le monde crie au changement mais chacun pense que le changement c’est chez l’autre. En d’autres termes, tout le monde veut le changement mais personne ne veut changer. Or, comme le souligne un adage populaire, si les êtres humains ne sont pas transformés individuellement, il n’y aura aucune transformation dans le monde et au Burkina en particulier. Malheureusement ou heureusement, c’est selon, ce changement est obligatoire et s’impose à nous tous. Il vaut mieux le penser maintenant que de le retarder. Nous pouvons légitimement nous demander par où commencer, vu que nous faisons face à des défis et enjeux conjoncturels et structurels à la fois. La suite dans un article à venir... Singapinda ZAGRE À la date du 10 juin : 170 infrastructures publiques sont concernées selon le compte rendu du conseil des ministres MC-RP n•021-2021 du 16. Juin 2021 Le phénomène sociologique qui conduit à la transmission des positions sociales, des façons d’agir ou de penser, d’une génération à une autre. |
Vos commentaires
1. Le 5 août 2021 à 23:30, par Nestor HEMA En réponse à : La déchéance de notre système de reproduction sociale : la source de nos problèmes ?
Propre monsieur ZAGRE. Avec une telle analyse on est content d’être toujours burkinabè. Rien à dire.
2. Le 6 août 2021 à 08:02, par Obliviator ! En réponse à : La déchéance de notre système de reproduction sociale : la source de nos problèmes ?
Bien mal acquis ne prospère pas ! Il y’en a dans le Burkina Faso actuel pire que ceux qui ont tué "L’Eternel Homme Intègre Thomas Sankara" pour pouvoir jouir du pouvoir et du luxe au dépend des millions de Burkinabè. Pourtant le passage sur Terre d’un homme est très éphémère. Je ne perds pas espoir que le temps viendra où la mauvaise herbe parmis les Burkinabè disparaîtra dans les âbimes des ténèbres pour laisser de nouveau place aux gens dignes, intègres et éclairés pour conduire les peuples dans une nation africaine prospère.
3. Le 6 août 2021 à 09:39, par Wendmi En réponse à : La déchéance de notre système de reproduction sociale : la source de nos problèmes ?
En attendant on sait comment le régionalisme a pesé dans le recrutement de certaines personnes à la SONHABY. Dites également à vos compagnons de l’ANEB qui sont au Gouvernement de relire leurs déclarations qu’ils faisaient sur le campus.
Il est facile de faire la critique mais difficile de se faire une autocritique.
4. Le 6 août 2021 à 11:18, par Kinkester En réponse à : La déchéance de notre système de reproduction sociale : la source de nos problèmes ?
Moi c’est simple. Depuis que les Burkinabè sont sortis massivement pour mettre fin au régime pourri et corrompu jusqu’à la moelle de Blaise Compaoré pour immédiatement le remplacer par ceux qui faisaient la pluie et le beau temps de ce régime de merde, j’ai mesuré le courage mais aussi les incohérences et les contradictions de ce brave peuple. Le peu d’éducation politique des électeurs nous a plongés dans l’immobilisme. J’ajouterai à ça les naissances incontrôlées qui vont faire de ce pays un véritable enfer dans les les 20 prochaines années. Dans mon village aucune femme ménopausée n’a moins de 6 enfants. Le manque de moyens des parents leur fait quitter l’école assez jeunes. Et comme les terres cultivables sont de moins en moins disponibles du fait du grossissement continu du village, ils tournent en rond et finissent par quitter leur lieu de naissance en direction des sites aurifères pour ceux qui ne peuvent pas se payer la traversée du désert et de la Méditerranée pour l’Europe. Et quand leurs rêves d’enrichissement rapide se brisent faute d’or, les plus faibles mentalement sous tramadol s’engagent dans les groupuscules armés et tout le monde connaît la suite. Si on y prend garde, le grand banditisme fait d’enlèvements contre rançons comme au Nigeria sera monnaie courante sous nos cieux. 40 millions de Burkinabè dans une dizaine d’années franchement ça fait peur !