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75 millions de francs détournés aux Impôts : Qui peut faire la leçon à M. Kalmogo Tonnoma Pierre ?

Ceci est une tribune de Daouda Ouédraogo sur l’affaire des 75 millions emportés par un agent des impôts.
jeudi 23 mars 2017.

 

Qui peut faire la leçon à M. Kalmogo Tonnoma Pierre ? Qui peut sérieusement, dans le Burkina Faso d’aujourd’hui faire la leçon à cet agent des impôts qui se serait évanoui dans la nature avec 75 millions de francs. Personne ou presque.

Si cette affaire a de quoi révolter, la vérité, c’est que c’est moins à cause du montant de la somme subtilisée que de la méthode utilisée. Ceci pour dire que les détournements de fonds publics et autres enrichissements illicites, connus ou inconnus sont devenus si courants dans l’administration que cela ne choque plus personne, sauf ceux qui viennent de rentrer de 30 ans de voyage. Bien entendu M. Kalmogo Tonnoma Pierre est présumé innocent, je me garderai tout naturellement donc de le condamner par avance. Mais je voudrais profiter de cette énième affaire, sordide s’il en est pour dire tout le mal que j’ai à me sentir fils de ce pays qui à force me donne l’impression d’avoir usurpé son nom de « patrie des hommes intègres ».

Ce billet d’humeur va-t-il y changer quelque chose ? Pourrait-il simplement faire prendre conscience de la gravité de la situation dans laquelle l’on se trouve ? Hélas, je ne me fais aucune illusion tant les maux sont profonds. Ils sont si profonds qu’il faudrait être d’un optimisme à toute épreuve pour espérer un sursaut, que dis-je une rémission à court ou à moyen terme.

De fait, l’état actuel du pays a véritablement de quoi rendre malade. A y regarder de près, rien ou presque ne réjouit, à part peut-être la performance des Etalons lors de la dernière CAN. Le constat est en effet celui d’un système éducatif délabré, un système de santé médiocre, des infrastructures en ruine, un niveau d’incivisme jamais atteint, une corruption qui s’est banalisée, une jeunesse laissée à elle-même, une situation sécuritaire des plus préoccupantes, un corps social en pleine déliquescence, une abdication des intellectuels, une justice à deux vitesses et le plus dramatique une classe politique sclérosée, dépassée, sans aucune vision qui ne vit que pour elle-même. A cette faillite politique, sociale et économique s’est donc ajoutée une faillite éthique dans laquelle chacun a renoncé à sa conscience individuelle au profit d’une inconscience collective. L’adage selon lequel le Burkinabè a trahi le Voltaïque n’aura donc jamais été aussi vrai.

En lisant ces lignes, certains ne manqueront pas de me qualifier de naïf, d’autres d’idéaliste. Si penser que le bien public est sacré et que personne ne doit pouvoir en disposer selon son bon vouloir, c’est être naïf et idéaliste, alors oui je le suis. Si penser que les richesses du pays doivent profiter au maximum, à défaut de tous et non pas à une toute petite minorité, c’est être naïf et idéaliste, alors oui je le suis. Si penser qu’une fonction publique inégalitaire où certains sont privilégiés quand d’autres sont méprisés est inacceptable, c’est être naïf et idéaliste, alors oui je le suis. Par contre, je n’entends ici donner de leçon à personne. Même si de plus en plus de Burkinabè renoncent à user de leur cerveau, j’ai la faiblesse de penser que chacun peut comprendre que le système qui prévaut actuellement dans notre pays, dans lequel il trouve peut-être son compte, n’a aucun avenir car fait d’injustices, d’inégalités, de corruption, de mensonges et de frustrations. Que chacun pense alors au pays qu’il veut laisser à ses enfants.

Lire aussi : Recherché par sa famille, Kalmogo Tonnoma Pierre serait parti avec la caisse de 75 millions de francs

A coup sûr, beaucoup approuveront le contenu de ce billet quand bien même ils retomberont (avec plaisir, allez savoir) dans les travers d’un système qui semble ne laisser aucune alternative et contre lequel il n’y aurait rien à faire, sinon que d’attendre que le temps fasse son effet, les mots et même les morts de l’insurrection n’ayant pas réussi à le terrasser. La bonne nouvelle, c’est que chaque système porte en lui-même les germes de sa propre destruction. Vivement alors que le nôtre s’écroule vite de lui-même afin que l’on puisse en construire un nouveau, sur de meilleures bases.

Daouda OUEDRAOGO
Doctorant, Université de Bordeaux
Mail : daou-ouedraogo@outlook.com



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