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Burkina/ Promotion de l’agrobusiness : « Sans accompagnement, les ressources naturelles sont détruites et les rendements faibles » (Pr Amadé Ouédraogo)

Publié le mercredi 1er mai 2024 à 21h00min

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Burkina/ Promotion de l’agrobusiness : « Sans accompagnement, les ressources naturelles sont détruites et les rendements faibles » (Pr Amadé Ouédraogo)

Dans cette dynamique de la promotion de l’agro-business dans notre pays, alors que les impacts des changements climatiques se font également de plus en plus sentir sur notre environnement, comment concilier ce type d’agriculture et la protection des ressources naturelles, la possibilité de produire en grande quantité et préserver les ressources naturelles, mais également les exemples de bonnes pratiques ? Pour répondre à ces questions, nous sommes allés à la rencontre du botaniste de spécialité biologique et écologie végétales, le Pr Amadé Ouédraogo. Lisez plutôt !

Lefaso.net : Qu’est-ce que l’agriculture durable ?

Pr Amadé Ouédraogo : L’agriculture durable, il faut entendre par là, cette pratique agricole qui ne cause pas de dommage aux ressources naturelles. C’est-à-dire, qu’elle concilie l’exploitation avec la préservation des ressources naturelles, parce qu’il faut comprendre que l’exploitation agricole utilise les services de la nature ou services écosystémiques. Si d’aventure ces services n’existent plus, il n’y aura plus de production agricole. Donc, il faut pratiquer une agriculture qui permet de préserver les ressources naturelles qui sont le support de la production.

Justement, est-ce que cette agriculture pratiquée au Burkina a un impact sur nos ressources naturelles ?

Cela dépend de quel côté l’on se met. Oui, l’agriculture pratiquée autrefois en milieu traditionnel ne causait pas trop de dommages à l’environnement. Parce que, les populations locales, traditionnelles savaient utiliser de façon rationnelle les ressources naturelles. Si fait que l’exploitation agricole traditionnelle permet de préserver les ressources naturelles. Si vous prenez par exemple la mise en jachère, c’est une pratique traditionnelle consistant à cultiver sur un espace donné sur un certain nombre d’années et à le mettre en repos pendant quelques années afin de permettre la reconstitution des ressources.

Donc cette pratique est une pratique qui montre que les populations locales savaient comment utiliser de façon rationnelle les ressources. Mais aujourd’hui avec l’explosion démographique, l’amenuisement des terres, la pression est forte sur les terres et il n’y a pratiquement plus de jachère et l’agriculture telle que pratiquée de façon extensive cause beaucoup de dommages aux ressources naturelles. L’attention doit être attirée aujourd’hui sur certaines pratiques agricoles néfastes telles que l’utilisation anarchique des herbicides, pesticides et des engrais de synthèse. Il faut promouvoir des pratiques qui préservent la vie du sol et celle de la végétation et de la faune, bref qui causent moins de violence à notre environnement.

Mais nous sommes dans une ère ou l’agrobusiness est promu. Il est d’ailleurs vu comme ce qui va nous permettre d’atteindre le développement…

Vous dites vrai. Est-ce qu’on peut développer un pays avec l’agriculture pratiquée de façon traditionnelle et avec des moyens rudimentaires ? Je dirai non. Il faut aller à une autre étape où on va utiliser des moyens plus modernes, mais adaptés à notre environnement. Les moyens modernes ne sont pas forcément synonymes de destruction massive des ressources naturelles. On peut bien les utiliser pour une exploitation rationnelle des ressources naturelles.

Vous avez tantôt parlé de l’agrobusiness, mais véritablement ceux qui se sont lancés dans l’agrobusiness ne sont pas réellement des agrobusiness men. Parce qu’il y a des gens qui ne connaissent rien à la pratique agricole, ils vont acheter de larges superficies de terre, raser toute la végétation sur des centaines d’hectares, et peut-être, c’est moins d’une dizaine d’hectares qu’on exploite. Et quelle exploitation on en fait ? Certes, on a tenté de faire la promotion de l’agrobusiness, mais il fallait que la promotion soit accompagnée pour une véritable contribution à la production agricole.

Cela pouvait être une exploitation qui se fait de façon intensive plus tôt qu’extensive. On n’a pas besoin de prendre des centaines d’hectares pour faire de l’agrobusiness. On peut utiliser une dizaine d’hectares et rentabiliser de façon substantielle. Donc véritablement cette politique de la promotion de l’agro business n’a pas eu d’accompagnement et cela a eu des effets pervers sur l’environnement et même sur le plan social.

C’est quoi une exploitation intensive ?

C’est pratiquer l’agriculture sur des superficies réduites en maximisant sur les rendements plutôt que d’étendre la surface d’exploitation. Quand je prends aujourd’hui, ce que nous faisons au Burkina, c’est plutôt de la pratique agro-pastorale extensive que nous pratiquons. Aujourd’hui, on défriche un champ sur un espace donné, une ou deux années après, on défriche une nouvelle surface, ainsi de suite, c’est-à-dire que la surface défrichée s’étend à longueur d’années.

Alors que dans une pratique intensive, on peut faire l’exploitation sur une surface donnée pendant plusieurs années. Certes, cela demande l’utilisation d’intrants, mais cela peut se faire par un accompagnement pour que l’utilisation puisse être bien rationnelle de sorte à maximiser la production agricole, mais à préserver aussi les ressources, notamment les ressources en sol qui constituent le support de la production agricole.

Vous parliez également d’une agriculture rationnelle. Qu’est-ce que c’est ?

Je vais plutôt au-delà pour parler d’une utilisation rationnelle des ressources naturelles. C’est exploiter juste ce dont on a besoin. C’est vrai que la promotion de l’agrobusiness ne vise pas une production de subsistance mais plutôt commerciale, qui fait qu’on maximise sur la production, mais la pratique n’est pas faite de façon accompagnée, de façon durable, cela a un impact sur les ressources. Donc rationnelle, c’est justement l’exploitation qui concilie la production avec la préservation des ressources.

Cela peut se faire en utilisant les intrants appropriés pour une culture donnée. Donc, la responsabilité, c’est dans ce sens, c’est-à-dire l’exploitation qui se fait en ayant le souci de préserver le support de l’exploitation, c’est-à-dire le sol. Si on utilise le sol de façon anarchique, dégradante et qu’il perd sa vie, il devient un sol improductif et ces sols existent. Si vous allez dans certaines régions du Burkina, vous avez ce qu’on appelle les « zipeelé » en langue locale « sol nu », qui sont des sols improductifs, pourtant c’était des sols qui produisaient, il y a des années.

En plus de la mauvaise exploitation de l’homme, il y a la péjoration climatique, c’est vrai que l’action de l’homme exacerbe l’action du climat. Ces deux facteurs combinés, font que nous sommes dans une situation où les sols sont menacés de dégradation. La rationalité va dans le sens d’utiliser tout en ayant en esprit de conserver le support de la production.

A vous entendre parler, c’est comme si vous êtes contre l’agrobusiness…

Non (rires), je ne suis pas contre l’agro-business. Pas du tout. Bien au contraire, la promotion de l’agrobusiness peut éventuellement contribuer à atteindre la sécurité alimentaire. Aujourd’hui, le Burkina est à un niveau ou on n’est pas en sécurité alimentaire. La production agricole faite traditionnellement, vous l’avez dit 80% de la population y est impliquée, pourtant, nous n’arrivons pas à satisfaire les besoins en denrées alimentaires. Ce qui veut dire que notre système de production doit être amélioré, l’agrobusiness peut y contribuer, mais il doit se faire avec un accompagnement, pas tel qu’on le voit actuellement.

Aller défricher des centaines d’hectares, couper les arbres, raser et laisser un sol nu et n’exploiter que 5 ou 10 hectares et encore qu’elle exploitation, parce que là encore les rendements sont souvent faibles. Donc l’agrobusiness, il faut en faire la promotion, mais il faut l’accompagner. Que ceux qui veulent s’y lancer se fassent accompagner par les structures techniques habilitées et qui peuvent les aider dans une production qui soit rentable, mais qui préserve aussi les ressources.

Est-ce qu’il y a des exemples en matière de production agricole durable que vous conseillez à ceux qui sont intéressés ?

Oui, il y a des exemples de pratiques, et je crois que ce n’est pas des exemples de production à grande échelle, mais ce sont plutôt des démonstrations que certaines ONG font. Ce sont des champs écoles ou des gens peuvent aller voir des pratiques durables et rentables de production. Je vais prendre pour exemple, le champ école du « bocage sahélien » qui est développé, en collaboration avec l’ONG Terre Vertes à Guié qui montrent comment on peut exploiter les terres sahéliennes, tout en préservant le peu d’arbres qu’on a sur ces sols. Il ne faut pas forcément viser les grands rendements, mais il faut avoir des rendements acceptables qui permettent de préserver les ressources et de s’assurer qu’on peut le faire de façon durable, plutôt que d’avoir un gros rendement sur une ou deux années et après le sol devient improductif, cela ne sert pas vraiment. Il faut le faire dans la durabilité et dans la durée.

Donc, la possibilité de produire en grande quantité et préserver les ressources naturelles est exclue ?

Si, c’est possible (rire). D’ailleurs l’agrobusiness man qui produit, ce n’est pas pour manger seulement, c’est la production pour se faire de l’argent. Donc évidemment, il faut produire en grande quantité avec des exigences voilà, mais elles ne doivent pas compromettre les ressources naturelles. C’est encore une fois, la responsabilité, parce que si le support de la production n’existe plus, vous n’allez plus produire. C’est pour dire qu’on peut bien les concilier, c’est-à-dire aller dans le sens des intrants appropriés et parmi ces intrants, il y a d’abord la base de la production qu’est la semence.

Aujourd’hui, nous avons plusieurs instituts de recherches qui proposent des semences appropriées. C’est-à-dire des semences à haut rendement, et qui sont adaptées à l’environnement (cycle court, résistant à la sécheresse). Donc pour commencer, il faut choisir les semences appropriées, adopter les pratiques d’utilisation de sol approprié. En somme, on peut pratiquer l’agriculture pour atteindre les objectifs de grosses productions pour le business, en le faisant de façon intensive, mais ce qu’il faut véritablement éviter, c’est la production de façon extensive. Si on arrive à maîtriser un système de production intensive, on préserve beaucoup de terres. Sinon, tant qu’on va produire de façon extensive, on va exposer de grandes superficies de terres à la dégradation.

Mais qu’est-ce qu’il faut dire à ces personnes qui se sont déjà lancées dans l’agrobusiness par la production extensive et qui tirent leur épingle du jeu

Il faut envisager des actions de sensibilisation, avec l’ensemble des acteurs pour corriger les erreurs du passé. Mais il revient aussi à ceux-là qui sont intéressés d’approcher les services appropriés pour se faire aider et accompagner.

Il y a des gens qui le font déjà, parce que l’agrobusiness man doit se mettre en tête que la terre qu’il a acquise, c’est son patrimoine, c’est la base de sa production, c’est-à-dire que c’est une ressource qu’il doit préserver, protéger jalousement, parce que c’est le support de son investissement. S’il gère mal la terre, il va se retrouver avec des centaines d’hectares improductifs. Les départements ministériels en charge des questions agricoles et environnementales peuvent aussi développer des initiatives qui pourront être adressées à ces agro-business men et aux agriculteurs amateurs.

Yvette Zongo
Lefaso.net
Crédit photo et vidéo : Auguste Paré

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