Actualités :: Disparition de Salifou Diallo : Trois ans après, son chargé de missions, (...)

Il y a trois ans (19 août 2017-19 août 2020), disparaissait le président de l’Assemblée nationale, Dr Salifou Diallo, alors président du parti au pouvoir (le Mouvement du peuple pour le progrès, MPP). A la faveur du troisième anniversaire de cette disparition, nous avons rencontré un de ses proches collaborateurs et chargé de missions, Yacouba Ouédraogo. Dans cet entretien, « Colonel », comme aiment à l’appeler ses proches, revient sur l’héritage politique de Salifou Diallo.

Lefaso.net : Trois ans après…, quelle image gardez-vous de Salifou Diallo, dont vous étiez l’un des jeunes proches collaborateurs ?

Yacouba Ouédraogo : Avant de répondre, permettez-moi d’avoir une pensée pieuse, à la faveur de ce douloureux anniversaire, pour l’illustre disparu. Je profite de votre espace pour également présenter mes condoléances les plus attristées à son épouse, maman Chantal, et à toute la famille, pour la disparition de notre Mamy (grand-mère, ndlr) ; la maman de Salifou Diallo est décédée il y a quelques semaines. Nous souhaitons que la terre libre du Burkina lui soit légère.

A chaque fois qu’il s’agit de lui, Salifou Diallo, c’est comme écrire un livre. Les leçons politiques qu’il nous a données, les actions politiques qu’il a posées pour le Burkina Faso et pour le MPP sont si immenses qu’il sera difficile de les décrypter en une interview. Je retiens simplement un compagnon fidèle au président du Faso, un frère et un camarade de lutte pour celui-ci. Il a été pour le MPP un pilier très important, car il a conçu le parti avec Roch (Kaboré), Simon (Compaoré) et d’autres camarades et ont, en moins de deux ans, pu conquérir le pouvoir d’Etat. Ils ont mené un combat pour l’idéal du Burkina depuis le CDP, et c’est cela d’ailleurs qui a conduit à leur départ de ce parti.

Même depuis le CDP, il était connu comme un homme d’action pour son franc-parler, un homme qui avait le courage de regarder le chef et lui dire qu’il n’est pas d’accord, lorsqu’il estimait que telle ou telle autre action n’était pas bien. C’est ce qui a amené à son interview sur la patrimonialisation du pouvoir et qui lui a valu tous les traitements politiques, mais l’histoire lui a donné raison. Salifou Diallo était le technicien, le juriste, le manager…, et l’infatigable. Voilà un homme qui finissait ses tournées en provinces, à la rencontre de la base, et qui arrive à son pied-à-terre à 21h ou 22h. Pendant que nous, jeunes, déjà épuisés, étions pressés de rejoindre nos chambres, lui, avait une foule importante qui l’attend pour les audiences qu’il va gérer jusqu’à 1h, 2h du matin.

Le lendemain, à 6h, il est déjà sur pied en train de prendre son thé et prêt à entamer la journée. Et à chaque contact avec ses militants, il avait toujours une inspiration incroyable, il savait toucher le cœur des militants, décortiquer leurs problèmes et faire des propositions concrètes. C’est un politique qui sait utiliser à la fois la carotte et le bâton. Quand il se fixe un objectif, il se donnait toujours le moyen de surmonter les obstacles pour l’atteindre. Il ne laissait jamais tomber un ami, un frère, quand il avait un problème.

Pour le MPP, il était également le père de famille, au-dessus des questions de clans. Il savait donner de son temps pour former en politique ; être à ses côtés, c’est comme si tu étais à une université politique et de management des hommes. C’est avec lui que nous avons appris par exemple que le leadership est la capacité d’influencer, de mobiliser et d’impacter son environnement, tout en restant fidèle à ses idéaux et à ses principes. Il nous a appris à rester fidèles à un homme : Roch Kaboré. Il nous a appris à nous battre avec détermination pour le MPP et pour le Burkina Faso. Il nous a donc dit d’accepter les sacrifices et les coups pour le parti.

Je retiens aussi qu’il nous a dit qu’on ne fait pas la politique pour des postes et qu’un homme politique doit être flexible (quand tu cherches une position élective et que le parti ne le fait pas, c’est qu’il a ses raisons qu’il faut accepter et attendre demain). C’est avec lui aussi que nous avons appris que la politique, c’est le terrain et qu’il faut y foncer. Le pouvoir se conquiert sur le terrain et il se conserve sur le terrain, n’importe qui peut être sollicité pour accompagner l’exercice du pouvoir sur le terrain (mais si vous n’avez pas les hommes et femmes capables de mener le combat sur le terrain, de voler au secours des militants, votre combat sera vain).

De lui, je retiens toujours également que la solidarité, la loyauté, la sincérité sont très importantes en politique. Il faut tout faire pour garder ces valeurs et rester soi-même. C’est tout cela qui fait de la jeunesse du MPP, celle qui se distingue de celle des autres partis politiques. Aux moments de détresse, il suffisait de rencontrer Salifou Diallo (le Gorbatchev national, comme on aimait à l’appeler) pour avoir le sourire : il savait avoir les mots justes pour galvaniser, il savait encourager matériellement et financièrement. C’est un homme pragmatique, qui, au moment où tu es en train de lui poser ton problème, prend immédiatement son portable pour appeler celui qui peut le résoudre ou il le fait lui-même sur le champ, quand il peut le faire.

Par jour, que ce soit avant l’arrivée du MPP au pouvoir ou pendant, les audiences qu’il accordait s’estimaient à plusieurs dizaines (déjà à 6 h, son domicile était rempli et le soir, jusqu’à tard dans la nuit). Lors de nos sorties, son pied-à-terre était pareil (des nationaux comme des non-nationaux, du militant du parti au citoyen anonyme).

Avant notre arrivée au pouvoir par exemple, un soir je suis allé chez lui avec une association de femmes qui étaient venues pour voir dans quelle mesure elles pouvaient rencontrer Salifou Diallo, juste pour lui témoigner leur soutien au MPP. Effectivement, il les a reçues, elles ont expliqué leur problème et Salifou Diallo leur dit : votre combat est noble, personnellement, je ne vous veux pas forcement au MPP, mais je vous demande une chose : soyez sérieuses dans tout ce que vous faites, je vais vous dépanner avec tel montant, qui n’est pas un crédit, c’est un don personnel.

Allez-vous organiser, je vais vous faire suivre par une femme, si votre affaire prend, je vais tripler le montant que je vous ai donné. Il était un altruiste, ce leader qui avait compris l’être humain. Bref, trois ans après, on peut affirmer que le décès de Salifou Diallo est une perte pour le pays, il manque beaucoup à ses camarades de lutte, à ses frères Roch Kaboré et Simon Compaoré.

A votre avis, qu’est-ce que le parti n’a jusque-là pas réussi à combler ?

Combler le vide d’un homme comme Salifou Diallo, en si peu de temps, c’est un peu difficile. Mais nous pouvons dire que nous sommes satisfaits de la vie du parti ; de tout ce qu’il a laissé (idéologie, ressources, valeurs politiques…). Le parti a, grâce à l’impulsion au plus haut niveau, su maintenir la flamme. Les leaders du parti, notamment Roch Kaboré et Simon Compaoré, ont su rassembler tout le monde autour de l’idéal et du combat commun ; faire en sorte que tous ne fonctionnent que pour le parti et pour soutenir le président Roch Kaboré.

Donc, c’est un parti bien costaud, sous le leadership d’un combattant, d’un infatigable, au four et au moulin, Simon Compaoré, qui s’apprête aujourd’hui pour d’autres conquêtes. Individuellement pris, chaque militant a, à son niveau, donné du sien pour maintenir haut, le flambeau du parti. Donc, physiquement, Salifou Diallo nous manque aujourd’hui, mais les rudiments qu’il nous a laissés nous permettent de surmonter n’importe quel obstacle et c’était d’ailleurs son souhait de voir maintenir allumée cette flamme.

Même au niveau de l’Assemblée nationale, on a su faire le choix de la personne qui l’a remplacé ; Bala Alassane Sakandé travaille avec admiration, donne le meilleur de lui-même, dans le style qui lui est aussi propre. Nous, jeunes du parti en particulier, allons tout faire pour que, de là où il se trouve en ce moment, il sache qu’il a laissé une jeunesse politique consciente, techniquement compétente et socialement sage pour poursuivre son combat.

Quel est encore l’impact de cette disparition sur la vie politique nationale ?

Un homme de sa trempe, sa disparition ne se ressent pas seulement par son parti, c’est toute la vie nationale qui en prend un coup. Sa disparition a sans doute tiré l’animation et le niveau de la vie politique nationale vers le bas, parce que l’homme avait des astuces pour placer haut le débat. Il savait anticiper les décisions, lire en avance les problèmes et prendre très tôt le bon chemin.

Il était toujours en avance sur les autres. Au niveau du parti, sa disparition a donné à entendre qu’il y a un clan Salifou, un clan Simon, un clan Roch. Mais en réalité, il n’y a jamais eu de clans au MPP ; l’idée de clans n’arrange que ceux qui pensent que dans une telle configuration, ils peuvent s’en sortir. Sinon, nous sommes tous unis et indivisibles, mobilisés derrière Roch Kaboré.

C’est normal que dans un parti politique, les gens se battent pour des positionnements, mais cela n’implique aucunement l’existence de clans. Au plan politique national, il y avait ce grand projet de réunir tous les partis progressistes, qui ont une certaine vision, autour du président du Faso. Malheureusement, il n’a pas eu le temps d’achever le projet, mais les acteurs politiques qu’il a laissés sont restés toujours fidèles à ses idées en se mobilisant toujours derrière le président du Faso. Il était ouvert à tout le monde, même aux opposants.

Il savait les écouter, les valoriser, même si parfois il fouettait aussi, en bon Yadéga. Il inspirait donc toute la classe politique par sa façon de faire. Vous comprendrez donc que sa disparition laisse un vide, même pour les adversaires politiques. Aujourd’hui, au MPP, nous n’oublions pas le combat ; celui de soutenir Roch Kaboré et accompagner Simon Compaoré dans l’encrage du MPP sur toute l’étendue du territoire national. Je souhaite donc plus de cohésion, d’entente, de détermination autour du président du Faso.

On sait que c’était un homme qui avait un intérêt également pour ce qui se passe dans la sous-région. Et au moment même où nous sommes en train de réaliser cet entretien, Bamako ne respire pas la forme (il est question de mutinerie, de coup d’Etat). Comment suivez-vous la situation et quelle analyse en faites-vous ?

C’est simplement un moment difficile pour nous, parce qu’il l’est pour mes frères et le peuple frère du Mali. De son vivant, Salifou Diallo n’allait pas cautionner l’arrivée au pouvoir par des méthodes autres que démocratiques. Pour le moment, on ne peut pas parler de coup d’Etat, parce qu’il n’y a eu aucune déclaration, mais je dirais simplement que ce qui arrive est triste à plusieurs niveaux.

D’abord, avant tous ces évènements, nous avons assisté à l’enlèvement du chef de file de l’opposition, Soumaïla Cissé, (dont on est jusque-là sans nouvelles), ensuite des soubresauts socio-politiques depuis les dernières élections. Lorsque les filles et fils d’une nation n’arrivent pas à s’asseoir autour d’une table pour trouver solution à un problème crucial, ce n’est pas du tout bon.

Je connais très bien le Mali ; c’est un pays qui ne connaissait pas du tout ces difficultés, c’est un pays où il faisait bon vivre, un pays où le dialogue, l’entraide, la solidarité étaient des valeurs partagées par tous et très poussées. Alors, que les Maliens arrivent à demander le départ d’un président démocratiquement élu, en cours de mandat, je me demande ce qui n’a pas fonctionné. Je ne donnerai raison ni au pouvoir ni à cette catégorie qui manifeste, je souhaite simplement que la paix revienne au Mali. La paix du nord du sud, de l’Est à l’ouest, en passant par le centre. Que les Maliens puissent se retrouver autour d’une même table pour dialoguer.

Aujourd’hui, en tant que jeune démocrate, je ne souhaite pas voire encore en Afrique, une prise du pouvoir par la force. Nous voyons ce qui se passe aux Etats-Unis, en France…, ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord avec le président qu’on va interrompre son mandat pour lequel il a été démocratiquement élu.

Que la jeunesse africaine refuse de se faire manipuler. Nous avons voulu la démocratie, alors, il faut l’accepter. La démocratie a un prix et il faut l’assumer. Si on ne veut pas d’un président, on attend à la fin de son mandat et on ne le vote pas ! Sinon, procéder par la force, c’est un éternel recommencement, nourri par des haines de clans, ethniques, religieuses, etc.

Nous sommes tous les filles et fils d’une nation et nous devons respecter les principes que nous nous sommes, nous-mêmes, fixés, à savoir la loi du nombre (la démocratie). Dans cette façon de procéder, je crains fort que le pays ne bascule dans une situation encore plus difficile avec des conséquences énormes au plan sécuritaire, sur la vie sociale, économique, etc. Je souhaite donc la paix et la quiétude au peuple malien. Que, vivement, Soumaïla Cissé recouvre, le plus vite possible, et sain et sauf, la liberté pour un peuple réconcilié avec lui-même.

En mots de fin ?

Les élections, c’est pour bientôt. Je souhaite qu’ensemble, tous les partis politiques, le peuple burkinabè, nous y entrons avec un esprit sain, un esprit de fraternité afin de ressortir des élections sans problème. Que chaque partie accepte les résultats des urnes et qu’ensemble, les Burkinabè puissent relever les défis auxquels fait face le pays. Que Dieu apaise le cœur de chaque Burkinabè qui se sent frustré et touché par un mal être quelque part.

Nous sommes tous les enfants de la même nation, on peut avoir des couacs entre nous, mais ne perdons pas de vue que nous devons vivre ensemble, pleurer ensemble, rire ensemble et combattre ensemble. Que Dieu bénisse le peuple burkinabè, que Dieu bénisse le Burkina Faso !

Propos recueillis par O.H.L
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